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Dossier
#05
Au manoir de Limoëlou, « On m’appelait Jacques Cartier… »
RÉSUMÉ > À Saint-Malo, sur les hauteurs de Rothéneuf, le manoir de Limoëlou où mourut en 1557 Jacques Cartier, le découvreur du Canada, revit depuis son rachat en 1978 par la fondation Macdonald Stewart. Une mise en lumière de la façade, accompagnée d’un spectacle a lieu quatre soirs par semaine jusqu’au 4 septembre. Le manoir est membre du réseau Si tous les ports du monde qu’il accueillera le 25 juin.

     S’écartant de la mer après l’avoir longé depuis la ville close de Saint-Malo, l’ancienne route de Normandie, au temps de Jacques Cartier, escalade les maigres hauteurs de Paramé et de Saint-Ideuc pour atteindre le point culminant de la ville. À la croisée du chemin qui descend vers le bourg de Rothéneuf, la ferme de Limoëlou se dresse depuis le siècle précédent. C’est sa situation dominant toute la baie de Saint-Malo, du cap Fréhel à la pointe du Meinga, qui attire l’attention de celui qui vient d’accomplir deux voyages de découvertes vers ce pays neuf du Canada.
       Ancien pilote du Roy, Jacques Cartier a su convaincre François 1er, de prendre route vers l’ouest pour atteindre le Cathay, nom anciennement donné à l’empire du Milieu, et surtout les richesses de la Chine tant rêvées depuis le voyage de Marco-Polo et lues dans son livre Le Devisement du Monde. Cet ouvrage a tant marqué les Européens que, le plus souvent, on le cite sous le nom de Livre des Merveilles
     Pourtant, ce rêve médiéval s’est éloigné avec la chute de Constantinople en l’année 1453. La route des épices et de la soie est rompue. Point d’aboutissement de la longue route de la soie, les richesses d’Extrême-Orient sont tombées sous le contrôle des Ottomans et des Vénitiens qui s’arrogent le droit de commercer avec la Chine.

     Le monde européen s’est trouvé transformé. La France et l’Angleterre sont encore dans la crainte de voir ressurgir le conflit qui les oppose depuis plus de cent ans. Personne n’a encore confiance dans le résultat de la bataille de Castillon remportée par les Français. Les Anglais sont boutés hors de France. Bientôt, le nouveau roi, Louis XI, s’attache plus à créer une nation qu’à rechercher une solution pour répondre à la pénurie de ces richesses orientales.
     Au contraire, le Portugal s’est lancé dans la conquête des rivages africains. La découverte de la caravelle et de sa capacité à remonter le vent lui a permis, au temps d’Henri le Navigateur, de dépasser la frontière mythique du cap Bojador. La route du Sud est ouverte et en 1488, le cap de Bonne Espérance est dépassé. La route s’infléchit enfin vers le Nord. La route de l’Inde et de la Chine est découverte. Fiers de ce résultat, les Portugais conquièrent le monopole du commerce de l’Afrique.
     Leur voisine, l’Espagne, engluée dans sa reconquête de l’Andalousie maure ne peut que conserver quelques droits et la propriété des Canaries. Mais une fois libérés de l’occupation musulmane, les souverains de Castille et d’Aragon se voient exclus du contournement de l’Afrique et sont contraints d’écouter les visées d’un Gênois. En leur demandant le droit d’armer pour un voyage en Chine par l’Ouest, Christophe Colomb leur donne un nouveau continent : l’Amérique.

Deux voyages encouragés par François 1er

     Un peu moins d’un demi-siècle plus tard, en 1532, au Mont-Saint-Michel, Jacques Cartier convainc son souverain de la possibilité de rejoindre le Cathay par une nouvelle voie maritime par le nord de ce Nouveau Monde. Un mot suffit pour recevoir l’avis favorable de François 1er : l’or, car Jacques Cartier lui assure que, sur le chemin, il trouvera certaines îles où il est dit qu’il existe de « grandes quantités d’or », ce métal précieux devenu rare en Europe, mais que son ennemi Charles Quint reçoit à profusion depuis la conquête du Mexique.
     En deux voyages, Cartier a réussi à découvrir et à remonter une grande voie fluviale. Découverte le 9 août, elle reçoit le nom de Saint-Laurent. De salée, elle devient d’eau douce. La puissance de la marée l’a amené cependant très en amont jusqu’au promontoire de Stadaconé où s’élèvera plus tard la ville de Québec, sous Champlain, là où se rétrécit le fleuve comme veut le dire la langue amérindienne d’alors. Bientôt, après le lac Saint-Pierre, un mont s’est révélé à ses yeux. Mont Royal, Montréal, Cartier vient de découvrir le site de la métropole de la province de Québec. Des rapides l’ont empêché cependant d’aller plus loin. Plus tard, on les dénommera rapides de Lachine, témoignage de l’ambition des conquérants du Canada.

     Après un premier hivernage au cours duquel périt de scorbut le quart de son équipage, Cartier ne peut réaliser son rêve d’y retourner dans l’espoir d’installer une véritable colonie. Malheureusement, la situation politique intérieure et le conflit avec Charles-Quint éloigne François 1er de ce projet. Il faut au Malouin attendre quelques années pour qu’un troisième voyage se prépare dans le port de Saint-Malo et c’est quelque temps avant ce départ que Jacques Cartier porte son choix sur cette ferme de Limoëlou pour en faire sa résidence où il viendra passer les chaleurs de l’été, en compagnie de son épouse Catherine des Granches qui n’a pu lui donner d’enfants.
     Il est en mer, en ce mois de juillet 1541, quand il en devient le nouveau propriétaire et c’est son beau-père, connétable de la ville de Saint-Malo qui réalise, en son nom, l’« appropriement » de la propriété. Ouvrant chaque fenêtre et chaque porte, ce dernier prend possession de cette demeure encore modeste. À son retour, déçu de n’avoir ramené dans ses cales que pyrite, quartz et mica en lieu et place de l’or et des diamants tant rêvés, Jacques Cartier décide de ne plus reprendre la mer. Il a 52 ans. Il a désormais d’autres ambitions. En ce lieu, il rêve d’un beau manoir semblable à ces nouvelles constructions qui fleurissent dans les landes bretonnes. En façade, il veut une tour pour contenir un escalier afin de rejoindre sa chambre. Chaque soir, il posera sa main sur le mât de navire qui en constitue l’axe, sans doute un de ces mâts qui le conduisirent vers cette terre du Canada. Depuis sa chambre, il a voulu également une large ouverture vers le septentrion. Inhabituelle en cette Bretagne exposée au vent dominant du nord-ouest, elle lui procure une incomparable vue sur la mer qui l’emmena vers de nouvelles terres. C’est là qu’il s’éteindra un soir d’épidémie, le 1er septembre 1557.

     Quatre siècles plus tard, meurtri, aménagé en ferme, l’ancien manoir de Jacques Cartier allait vivre une nouvelle vie au travers d’une véritable transformation qui allait faire de lui une résidence adaptée au mode de vie moderne. C’est à ce moment que le mécène canadien David Macdonald Stewart et son épouse Liliane sont alertés par leur conseiller Jean Palardy. En 1975, décidés à acquérir le manoir de Limoëlou pour le restaurer et le transformer en musée, ils prennent l’initiative de mettre sur pied les Cent Associés de la Fondation des Amis de Jacques Cartier dans le but de financer ces opérations. Organisme canadien à but non lucratif constitué de particuliers, d’entreprises industrielles et commerciales sans oublier des sociétés publiques, les Cent Associés contribuent au fonds de dotation de la fondation pour assurer également l’entretien, la bonne marche et la mise en valeur du Musée Jacques Cartier.
     C’est ainsi que le projet prend vraiment corps. Comme le rappelle Liliane Stewart, en signe du destin, « la neige tombait à petits flocons sur le sol et les toits d’ardoises des maisons de Saint-Malo, le jour où mon mari signa l’acte d’acquisition du manoir de Limoëlou au nom de la Société des Amis de Jacques Cartier, au printemps de l’année 1978. Nous étions tous les deux émerveillés par la beauté de ce paysage au coloris de l’hiver canadien ». Malheureusement, David Macdonald Stewart ne pourra pas assister à la réalisation de son rêve. Il meurt le 27 avril 1984, à quelques jours seulement de l’ouverture du musée. Après une remarquable restauration réalisée sous le contrôle et l’autorité de Jean-Michel Germaine, architecte des Bâtiments de France, Liliane Stewart inaugure, seule, sous une pluie battante, en présence de très nombreuses autorités et de Raymond Vayva, président de l’Association Malouine des Amis de Jacques Cartier, comité Pays de Rance de l’association nationale France-Canada. David Macdonald Stewart lui a confié, la gestion bénévole du manoir et la surveillance des travaux et la mission d’être, en France, l’oeil de la fondation et de la société montréalaise des Amis de Jacques Cartier.

     Vingt-cinq ans plus tard, la fondation canadienne se voit reconnaître par le gouvernement français en recevant le Prix de Grand Mécénat dans les salons du ministère de la Culture et de la Communication. Quelques semaines plus tard, Marc Lortie, ambassadeur du Canada en France, inaugure en présence de René Couanau, député-maire de Saint-Malo, de M. Monnet, représentant Liliane Stewart qui ne pouvait être présente. Cette commémoration a été le préambule de la saison estivale qui s’est s’est développée avec un partenariat culturel avec le réseau Tous les ports du monde dirigé par Loïc Frémont.
     Ce choix est apparu naturel. Jacques Cartier a voulu donner une dimension universelle à la navigation depuis le port de Saint-Malo. Le parallèle apparaissait évident avec la dimension internationale du réseau. Gênes, patrie de Christophe Colomb, Cadix, ville jumelle de Saint-Malo entre lesquelles se sont nouées des relations prolongées, et bientôt Montréal ne font-elles pas partie des villes phares de cette organisation. La réflexion s’est alors portée sur l’orientation à donner à cette année anniversaire . Aussitôt, l’idée d’un spectacle original autour de la mémoire du découvreur du Canada et d’une projection audiovisuelle sur toute la façade du manoir s’imposa à Loïc Frémont. Elle reçoit l’aval des membres de la fondation canadienne. En quelques jours seulement, la décision est prise et contact est aussitôt pris avec la société Spectaculaires, les Allumeurs d’images, installée à Saint-Thurial, près de Rennes.

Un livre ouvert sur la façade de Limoëlou

     Cette société s’est déjà distinguée par différentes manifestations comme la Fête des lumières à Lyon ou, plus près de nous, lors des animations de fin d’année sur la façade de la Mairie de Rennes. En quelques semaines, l’équipe de Benoît Quéro s’attelle à l’ouvrage et accomplit une exceptionnelle et émouvante évocation d’un Jacques Cartier, agonisant dans sa chambre et revoyant sa vie défiler devant lui, depuis ses souvenirs d’enfant jusqu’à la désillusion des faux diamants du Canada. C’est ainsi que, depuis le rêve de Malo et de Brendan que lui racontait son père, depuis les Vikings, depuis le songe de Marco Polo et la chute de Constantinople, toute l’aventure de la découverte du monde revient à ses yeux emplis de fièvre. Puis, il revit les premières pages de l ’histoire contemporaine du Canada qu’il a écrite lui-même. Tel un livre qui se déploie sur l’ensemble de la façade du manoir, ses trois périples invitent les spectateurs au voyage.
     Avec l’aide des guides conférenciers qui accueillent d’ordinaire le public au Musée Jacques Cartier, mais cette fois habillés en costume, les visiteurs d’un soir sont invités à se plonger dans le monde de la Renaissance, dans l’attente que la nuit tombe pour l’illumination du manoir de Limoëlou, Malgré cette année 2009 détest able sur le plan météorologique,  500 spectateurs sont venus admirer cette scénographie audiovisuelle, mise en valeur par les textes d’Isabelle Pirot qui avait déjà animé l’année 1984 avec le spectacle Jacques Cartier, pilote du Roy sous l’égide du gouvernement canadien . Cette réalisation est le témoignage d’une collaboration entre plusieurs partenaires : Société des amis de Jacques Cartier de Montréal , Association malouine des amis Jacques Cartier , Réseau Si tous les ports du monde, Théâtre de Saint-Malo…
     Cette nouvelle année 2010, membre à part entière du réseau, le manoir de Jacques Cartier sera heureux d’accueillir l’assemblée générale du Réseau Tous les ports du Monde pour son dixième anniversaire, le 25 juin. Tous les membres participants pourront contempler la réalisation de ce spectacle qui va renaître pour une nouvelle saison. Quatre soirs par semaine, les mercredis, jeudis, vendredis et samedis, le Musée Jacques Cartier s’illuminera de nouveau pour évoquer la vie du découvreur du Canada.