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Dossier
#07
RÉSUMÉ > Parmi les modifications de l’environnement provoquées par le développement des villes et susceptibles d’affecter la dynamique des espèces animales et végétales, le climat est une variable-clé. Les modifications de l’occupation du sol (bâti, voirie) et la modification de la rugosité des surfaces modifient en effet le bilan local de l’énergie et contribuent à faire des villes des îlots de chaleur urbains : la température y est plus élevée que dans la campagne environnante.

     L’extension considérable des espaces urbanisés durant le 20e siècle a eu des effets climatiques sensibles à l’échelle locale. Ils ont porté surtout sur les températures : les conditions de rayonnement propres aux états de surface urbains (bâti et couverture du sol) favorisent la mise en place d’îlots de chaleur urbains (ICU), ce qui peut avoir des effets sur la répartition des espèces végétales et animales. La poursuite du programme Écorurb (Écologie du rural vers l’urbain) et la collaboration entre l’équipe de recherche Costel et Rennes Métropole devraient mettre en évidence l’accroissement de l’îlot de chaleur urbain de Rennes dû à l’extension de l’agglomération et aux modifications climatiques et biologiques là où les changements d’utilisation du sol seront les plus importants. 
     Commencé en 2003 et prévu pour dix ans, ce programme rassemble des chercheurs de plusieurs disciplines (agronomie, écologie, géographie, sociologie…) et de divers organismes (Inra, Universités Rennes 2 et Rennes 1, CNRS). Il a obtenu un soutien financier et logistique important de Rennes Métropole et de l’Institut fédératif de recherche Caren (Centre armoricain de recherches en environnement). Le travail s’appuie sur la comparaison des mesures obtenues par des stations météorologiques réparties depuis le centre-ville jusqu’à des zones rurales périurbaines.
     Les caractéristiques d’un îlot de chaleur urbain sont fonction de l’absorption du rayonnement solaire par les matériaux pendant la journée et de sa lente restitution sous forme de chaleur sensible durant la nuit. L’ICU est la résultante d’un bilan énergétique modifié par les surfaces urbaines artificielles et l’émission de gaz issus de la combustion, ce qui se traduit par des températures décroissantes depuis le centre-ville jusqu’à la périphérie.

Des écarts parfois supérieurs à 10° la nuit

     L’intensité et l’extension spatiale de l’ICU dépendent du site de la ville, de sa morphologie (forme et densité du bâti, nature des matériaux de construction et des activités industrielles…), des conditions climatiques régionales et de la succession des types de circulation et de temps. L’ICU apparaît d’autant plus nettement que le vent dominant est faible (à Paris, l’ICU peut se faire sentir sous le vent de la ville jusqu’à une quarantaine de kilomètres environ), que l’air est stable (situation anticyclonique) et que le ciel est clair (les écarts sont parfois supérieurs à 10°C en fin de nuit). Une averse, un temps nuageux peuvent atténuer, voire faire disparaître l’ICU par l’homogénéisation des températures. L’ICU est donc un phénomène variable dans le temps : son intensité dépend des faconditions météorologiques et de l’alternance du jour et de la nuit.
     Pour pouvoir être cartographiées, les transitions climatiques entre le centre-ville et les espaces ruraux périphériques doivent être mesurées par un réseau suffisamment dense de postes de mesures dans et autour de l’agglomération étudiée. Les grandes métropoles bénéficient de réseaux météorologiques denses qui ont déjà permis des analyses spatiales fines ; par contre, pour les villes moyennes, le plus souvent, seule la valeur du contraste climatique ville-campagne et sa variabilité peuvent être étudiés. L’imagerie satellitaire fait ressortir les espaces urbanisés dans l’infrarouge thermique mais les résultats sont difficilement exploitables à une échelle locale, de l’ordre du kilomètre, surtout pour estimer la température de l’air (les radiomètres des satellites ne mesurent que le rayonnement émis par la surface). À l’échelle de la Bretagne ou de la région de Rennes, la « tache chaude rennaise » apparaît nettement sur les images satellites. Cependant, la température de surface mesurée par les satellites est différente de la température de l’air qui nécessite la mise en place de stations météorologiques.

Un réseau de stations météo soigneusement localisées

     Pour réaliser une cartographie de l’îlot de chaleur urbain, le réseau d’observation classique (Météo France) est insuffisant. Il faut donc installer un réseau de mesure spécial. Le coût des stations météorologiques et le petit nombre de sites appropriés à leur installation limitent cependant le nombre des points de mesures. Pour une première étude, on a privilégié des installations de stations fixes et automatiques qui permettent de mesurer en continu l’ensemble des paramètres intéressants.
     Dix-huit stations ont été installées pour la première série de mesures : température, hygrométrie, vent (vitesse et direction), pression et pluviométrie. Les données mesurées selon une fréquence qui peut aller d’une mesure toutes les minutes à une mesure toutes les deux heures sont archivées sur place. Selon la fréquence retenue, la nécessité d’effectuer le relevé de la station est plus ou moins rapprochée (environ un mois pour un pas d’archivage d’une heure, période choisie pour cette étude). Une des contraintes importantes est celle de l’alimentation électrique de la station, dont la consommation est faible (6 W) mais indispensable en continu pour ne pas perdre de données. L’alimentation solaire, possible de mars à octobre en Bretagne, est trop aléatoire pendant l’hiver. L’ensemble du parc est donc branché sur le secteur (220 V) avec une pile 9 V de secours en cas de coupure du réseau.
     Pour cette étude, nous avons donc consulté le plan cadastral du bâti de l’agglomération rennaise afin de repérer les secteurs a priori favorables à l’installation des stations. Logiquement, les espaces disponibles sont essentiellement les parcs mais aussi les cimetières, les enceintes de bâtiments scolaires et de certaines administrations. La nécessité de pouvoir accéder aux stations nous a fait écarter les installations dans des sites sensibles. Nous avons privilégié plutôt les établissements scolaires avec lesquels il est, en outre, possible de proposer une activité pédagogique autour du matériel installé.
     Enfin, les sites retenus doivent être à proximité des parcelles de suivi de la biodiversité, être répartis de façon assez homogène sur l’agglomération (la partie nordest étant cependant privilégiée pour l’étude écologique) et tenir compte des types de bâtis existants (grands ensembles, lotissements…). De façon plus précise, les obstacles à proximité des stations restant nombreux en ville, nous avons également cherché à placer les stations dans des sites bien dégagés vers le sud (pour éviter les effets d’ombre pour la mesure des températures maximales) ainsi que vers l’ouest afin de mieux tenir compte des vents dominants. De façon délibérée, il a donc été choisi de privilégier les mesures de températures, celles-ci étant, par hypothèse, le phénomène le plus susceptible d’affecter la répartition des espèces.

À Rennes, des écarts de température surtout la nuit

     Les résultats montrent que l’îlot de chaleur urbain est bien marqué pour les températures minimales (moyennes et absolues), plus que pour les températures maximales. En juillet 2006, par exemple, l’écart moyen pour les minima atteint ainsi 2,8°C contre 1,4°C pour les maxima ; l’écart entre les températures moyennes est également plus modeste mais dépasse tout de même 2°C certains mois (septembre 2007). Ces données, montrent que le gradient campagne – centre-ville atteint 1,5° à 2° en moyenne en fin de nuit mais peut dépasser 7°C dans certaines situations : deux écarts records de 8,1°C et 8,2°C ont même été observés le 22 septembre 2005 à 21 h et le 19 juillet 2006 à 5 h ! Dans le détail, cependant, l’environnement immédiat de chaque station laisse apparaître des nuances liées à l’hétérogénéité du bâti ou l’existence de parcs intra-urbains : ainsi, la station centrale du Thabor (principal parc du centre ville) enregistre des températures minimales un peu moins élevées que celle de la rue du Griffon située dans une cour fermée sans végétation, dans le centre historique.
     Les données saisonnières et horaires montrent clairement les variations de l’îlot de chaleur urbain dans le temps. Pour illustrer ce point, deux stations extrêmes, l’une en centre-ville (Griffon), l’autre en proche périphérie rurale (La Lice) ont été retenues. Ainsi, en 2007, l’intensité de l’ICU a été plus marquée en fin de nuit pendant l’été (plus de 2°C en moyenne), qu’en hiver (1°C à 1,2°C). Il est à noter qu’en 2007, les températures moyennes des maxima observées, soit 28,9°C furent les plus chaudes après celles d’août 2003. En revanche, pendant la journée, les écarts moyens horaires entre le centre- ville et la campagne ne dépassent pas quelques dixièmes de degrés.
     Toujours pour les stations du Griffon et de la Lice, les écarts des températures moyennes horaires permettent de mettre en évidence les heures favorables à la formation de l’ICU à Rennes au cours de l’année. Ainsi, en 2007, des situations atmosphériques favorables (situations anticycloniques à ciel clair et vent faible) en avril et septembre ont favorisé le développement de l’ICU pendant la nuit. En revanche, l’été 2007 doux (températures minimales et maximales proches de la moyenne), couvert et pluvieux, notamment en juillet (71 mm de pluie contre 45 en moyenne), n’a pas été propice à sa formation. Au total l’ICU rennais est bien marqué jusque dans la moyenne annuelle, l’amplitude pour ces deux années, étant proche de 1°C entre ces deux stations.
     L’observation des températures moyennes des minimales et des maximales entre les deux sites pour 2007 révèle la présence de l’ICU quotidiennement tout au long de l’année. L’ICU est visible par un écart constant des températures moyennes minimales entre le centre et la campagne avoisinante. En revanche, les températures maximales demeurent homogènes entre les deux stations.
     La synthèse mensuelle pour le mois de septembre 2003 (ci-dessus) montre comment évolue l’îlot de chaleur urbain au cours de la journée : en fait, il n’existe pas au cours de l’après-midi, la différence de température entre le centre-ville et la campagne étant négligeable. Sa formation a lieu en fin de journée et semble relativement rapide car, dès 20 h, la différence entre ville et campagne dépasse 2°C en moyenne. Une certaine stabilité est observée au cours de la nuit, l’écart se maintenant autour de 3°C de 22 h à 6 h le lendemain. À partir de 7 h, l’écart de température se réduit, d’abord rapidement jusqu’à 9 h puis de façon plus lente jusqu’en milieu de journée où il disparaît.

     Les villes transforment l’occupation du sol et concentrent les activités (industries, centres commerciaux, circulation). Ainsi, elles modifient localement le climat. L’étude de l’îlot de chaleur urbain d’une ville moyenne comme Rennes montre que celui-ci est bien marqué, notamment pendant la nuit. Par ailleurs, le gradient de température ville-campagne est d’autant plus marqué que le vent et la nébulosité sont faibles. La poursuite du programme Écorurb jusqu’en 2012 et la collaboration entre l’équipe Costel et Rennes Métropole devraient permettre de mettre en évidence l’accroissement de cet ICU avec l’extension prévue de l’agglomération et les modifications climatiques et biologiques à venir dans les quartiers où les changements d’utilisation du sol seront les plus importants.
    Dans un contexte de réchauffement climatique, le climat urbain pose la question des impacts concrets et sensibles d’un phénomène global au niveau local. Il est donc nécessaire de comprendre les mécanismes climatiques locaux afin d’évaluer les effets futurs du réchauffement climatique en ville et de s’adapter. L’observation du comportement de l’îlot de chaleur urbain à Rennes permettra d’étudier l’évolution du climat rennais. Les scénarios proposés à l’échelle de la région pourront être intégrés à l’échelle locale. Ce passage de l’échelle régionale aux échelles fines, et notamment à l’échelle des agglomérations, est un enjeu majeur. Par la création d’un modèle intégrant les problématiques liées à l’ICU dans un contexte de réchauffement climatique, les acteurs de l’aménagement urbain bénéficieront d’un outil d’aide à la décision.