par Herbert George Wells
On a peine à imaginer le succès planétaire que connut celui qui sous la signature de « H.G. Wells » publia une cinquantaine de romans, une centaine de nouvelles et pas moins de 80 essais. Cet Anglais, célèbre et admiré au point que Roosevelt puis Staline le convièrent à leur table, doit son immense notoriété à quatre romans publiés coup sur coup à la toute fin du 19e siècle : La Machine à explorer le temps, L’Île du Docteur Moreau, L’Homme invisible et La Guerre des mondes. D’emblée, Wells surgit comme l’inventeur d’un genre nouveau, celui qu’on appelle science-fiction ou roman d’anticipation. Herbert George Wells (1866-1946) fut un penseur politique très ancré à gauche (malgré sa défense de l’eugénisme) et aussi un grand amoureux multipliant les liaisons extraconjugales avec des féministes dont la romancière Rebecca West avec laquelle il eut un fils. Parmi ses maîtresses, retenons le nom d’Odette Keun qui devint à ses dépens le personnage du roman Dolorès.
En 1938, paraît à Londres sous la plume d’un Wells de 72 ans un roman intitulé A propos of Dolores qui deviendra Dolorès dans sa traduction française en 1946. C’est un roman plutôt raté, un bric-à-brac plombé de digressions philosophiques. Son intérêt (pour nous) est de se passer en Bretagne. Wells s’y acharne à régler ses comptes avec une femme qu’il a aimée pendant près de dix ans et avec laquelle il a rompu en 1933. Odette Keun est une extravagante. Née de père hollando-levantin et de mère italogrecque, cet « écrivain-voyageur » fut d’abord nonne dominicaine à Tours avant de vivre une foule d’aventures, dans le désert ou en Russie, publiant en 1922 Sous Lénine, notes d’une femme déportée en Russie par les Anglais. Peu après, elle devint folle de Wells, passion sexuellement torride si l’on en croit David Lodge dans sa biographie de l’Anglais, Un homme de tempérament (Payot). Keun retient Wells en France. Ils voyagent, se construisent la villa Lou Pidou sur les hauteurs de Grasse. Mais Wells en a marre de la jalousie et des ardeurs de la dame. Rupture. Elle se venge en écrivant des critiques assassines sur les livres de son amant. Lequel se venge avec Dolorès.
Le roman est l’histoire d’un éditeur qui vient se ressourcer en Bretagne. Sa femme Dolorès le retrouve dans une station balnéaire du Finistère. Les amants se déchirent, Dolorès se suicide. L’éditeur n’est pas fâché. Il se console en tombant amoureux d’une jeune femme à Saint-Malo…
« L’Hôtel Moderne [rue de la Monnaie] n’affichait pas un modernisme trop agressif. […] Son personnel était le plus jeune, le plus facile à amuser ou à frapper de terreur qu’on pût imaginer, et le mécanicien du garage était une vieille dame en bonnet noir ».
« Il est difficile d’expliquer, bien que ce soit parfaitement clair à mon sens, pourquoi Rennes m’apparut, ce soir-là, comme un épitomé de la satisfaction humaine. » [épitomé = le condensé d’une chose].
« Rennes donne l’impression d’être une ville complètement achevée. Elle ne se hâte pas, elle semble satisfaite d’elle-même. Elle a le calme doux d’une aquatinte. » [aquatinte = gravure à l’eau-forte]. « Il y a des tas de petites boutiques pimpantes […] dans une grand-rue qui va capricieusement et qui change de nom toutes les fois qu’elle tourne. »
« Au coin, près du pont de la Vilaine, alors que je suivais le quai, un agent de belle prestance avait arrêté ma voiture. J’ai toujours eu peur des agents […]. Mais il arriva tout sourires et tout excuses à la portière. »
« La cathédrale ne ressemble en rien à toutes ces pétrifications gothiques de mystère et de ferveur qui s’élancent vers le ciel. Elle vit entièrement dans la ville, et est sans grâce et sans prétention. »
« Pour Rennes, la marée de l’histoire commença à se retirer au moment des guerres révolutionnaires et acheva son reflux sur quelques exécutions… et depuis il n’est rien arrivé. »
« Rennes est sur la route du Finistère ce qui revient à dire sur la route de nulle part. »
« J’ai quitté Rennes à regret, mais je n’ai pas osé m’y attarder de peur de rompre le charme. »
Rennes occupe une place de choix dans Dolores : les vingt premières pages puis quelques pages en fin de volume en forme de conclusion. Car pour le romancier, Rennes est le lieu du bonheur paisible et possible. Le héros le ressent quand il revient en octobre 1934 dans la capitale bretonne découverte en août sur le chemin de Paris au Finistère. « Je trouvai Rennes inchangée. Elle vint à ma rencontre et m’annexa incontinent ». Pour Wells, Rennes prend la figure d’une jeune fille « pas mal du tout » entrevue en août au café de « La Paix ». Il note : « Elle aurait pu poser pour la Bretagne en bronze devant l’hôtel de ville et peut-être une de ses arrière-grands-mères l’avait-elle fait ». Oups ! Voilà une double bourde. 1 – En 1934, la statue d’Anne de Bretagne dans la niche de l’hôtel de ville avait disparu depuis son dynamitage deux ans plus tôt ! 2 – Il est peu probable que l’arrière-grandmère ait posé en jeune fille pour le sculpteur Jean Boucher puisqu’il termina cette fameuse statue en 1911 ! À travers les yeux de cette demoiselle, écrivait le narrateur en août : « C’est Rennes qui semblait m’adresser une question et un appel ». Revenu en octobre, il la revoit en imagination : « Mais cette fois, je ne la tins pas à distance. Je découvris qu’elle était aussi simple, aussi gaie, aussi avenante que son visage. (…) Peut-être, ne serait-il pas mauvais de retourner à Rennes de temps en temps, pour se retremper à cette sensualité innocente, semblable à celle du dix-septième (siècle) ». Wells connaît Rennes pour y avoir séjourné en amoureux avec Odette Keun en novembre 1925, sur le chemin de la Bretagne. À l’époque, la statue de l’Union de la Bretagne à la France était toujours debout. Wells a sans doute ignoré qu’elle fut ensuite détruite.