PLACE PUBLIQUE : Vous êtes toujours intéressé par la politique ?
KARIM BOUDJEMA : Je n’ai plus d’activité politique, seulement des relations, avec ce que cela suppose de liberté d’expression. Avec le recul, je me rends compte que ce qui m’a fait le plus souffrir à l’époque, c’était de ne pas pouvoir m’exprimer sans être enfermé dans un discours formaté, avec toujours, derrière, cet esprit de scission. Je ne suis pas un homme de combat ! Je préfère la recherche du compromis et l’échange d’idées. Il n’est pas nécessaire selon moi de s’invectiver pour parvenir à se faire comprendre.
C’est une situation dans laquelle vous vous êtes senti prisonnier ?
Oui. Je n’avais jamais eu auparavant d’engagement politique et c’est quelque chose qui s’apprend très tôt, cela s’appelle parfois la langue de bois ! Mon métier m’a également formaté dans cet esprit de sincérité, dans un mode d’expression calme et maîtrisé. Un médecin parle toujours en ménageant l’autre. Ce n’est pas du tout l’esprit du débat politique, où il faut se démarquer et essayer de convaincre qu’on détient la vérité. Ce fut pour moi une révélation. L’autre point qui m’a surpris, c’est qu’il y avait beaucoup de similitudes entre les acteurs politiques quel que soit leur parti, mais chacun se démarque en criant haut et fort que l’autre est dans l’erreur.
Vous dites avoir souffert de cette période. C’est un mot fort…
Oui, j’ai vécu des moments difficiles. J’en ai peu parlé. Ceux qui me connaissent bien se sont rendus compte qu’après trois ou quatre mois de campagne, les choses se sont accélérées, et durcies. À un moment, je ne me reconnaissais plus, j’ai failli tout arrêter, mais au nom de l’engagement, j’ai poursuivi jusqu’au bout. Je n’ai pas toujours été compris, ni aidé. J’ai alors décidé de changer de registre, quitter l’habit de soignant, et d’y aller.
Vous avez changé de rôle ?
Oui, et le terme est bien choisi, car c’est bien d’un jeu d’acteurs dont il s’agit, avec ce que cela suppose de légèreté. Mais moi, dans ma vie professionnelle, je ne joue pas ! Il s’agit de la vie d’hommes et de femmes. Je ne me suis pas retrouvé dans cette superficialité. Evidemment, toutes ces évidences ne me sont apparues qu’avec le recul du temps.
Vous avez siégé très peu de temps après l’élection.
Je n’ai participé qu’à deux conseils municipaux : celui de l’installation du nouveau maire, d’abord. J’ai trouvé la cérémonie très solennelle et extrêmement intéressante. Et le second, où la bagarre a commencé, avec les petits mots pas sympathiques, les coups bas, y compris dans mon propre camp, avec des prises de paroles qui n’étaient pas prévues. Je n’ai pas l’habitude de travailler comme cela. Dans mon équipe, au CHU, personne ne fait ce qu’il veut dans son coin, on se concerte. Là, c’était chacun pour soi ! Je me suis rendu compte que je m’étais trompé, de camp, d’hommes… J’ai décidé d’arrêter, par honnêteté. Pourtant, la démarche qui consiste à s’engager dans la société continue de m’intéresser. Et je me demande si la voie dans laquelle je me suis engagée était la bonne.
Comme cela avait-il commencé ?
Je faisais partie de la vie publique rennaise. J’avais eu droit à quelques articles dans les journaux sur mon travail de chirurgien, je croisais régulièrement Edmond Hervé, on se serrait la main. J’étais un homme public dans la ville. Lorsque j’ai été approché, j’ai pensé : puisque je soigne les malades, je vais peut-être aussi participer à prendre soin de la société !
C’était une forme d’idéalisme !
Sans doute. De naïveté, même. Je suis allé dans une élection difficile. Les municipales, c’est confiné géographiquement, un peu à la manière d’une arène. L’exposition est permanente. Et en raison du mode de scrutin, il faut constituer une liste, et c’est ce qui m’est apparu le plus compliqué. Lorsque vous chatouillez les egos, les réactions sont violentes ! Pour maîtriser cela, il faut être un dur. Je ne suis pas de ces hommes-là, capables de dézinguer à tout va.
Tout n’a pas été sombre, tout de même !
Bien sûr que non ! D’abord, j’ai appris à connaître Rennes, et cela a été merveilleux ! Je me suis rendu dans les quartiers, à la rencontre des rennais. J’ai croisé des gens modestes, qui avaient beaucoup de sympathie pour le médecin que j’étais, beaucoup moins pour le camp que je représentais ! Mais j’ai toujours été accueilli avec gentillesse. J’ai aussi rencontré le monde de l’entreprise, les médias, les hommes politiques, au plan local et national.
Cette expérience a-t-elle changé votre vie ?
Beaucoup. Avant, j’étais dans le bocal de l’hôpital et j’ai brisé un aquarium où certes il y avait quelques requins, mais sans commune mesure avec la violence du monde politique.
On ne vous retrouvera pas dans la bataille électorale?
Non, vraiment. Mais si j’avais la possibilité de m’engager dans la vie sociale, dans la vie de la cité, en apportant ma réflexion, ma capacité à fédérer les gens, je le ferai. Je suis même en quête de missions !
Depuis combien de temps êtes-vous à Rennes ?
Depuis quinze ans. J’arrivais de Strasbourg, qui m’a enseigné la rigueur. Et à Rennes, j’ai plongé dans le génie breton ! Les Bretons sont des travailleurs discrets, et cela me plaît. L’Alsacien est rigoureux, au point parfois d’être incapable d’aller au-delà des limites qu’il s’est fixé et qui le rassurent. Alors que le Breton est un explorateur ! Dans les deux cas, il y a aussi l’influence de la religion, le protestantisme en Alsace, le catholicisme, ici. Je me sens proche du personnalisme : l’idée selon laquelle il faut s’épanouir soi pour ensuite en faire profiter les autres me plaît ! Je crois beaucoup en l’Homme, et çà me rassure.
Revenons à la politique : que pensez-vous de l’absention?
Le désengagement de la société civile à l’égard du politique s’accroît, la défiance atteint des niveaux inédits. C’est peut-être le signe que la politique telle qu’on l’a conçoit doit être renouvelée. Arrêtons de scinder, de cliver ! Et puis je suis frappé par l’importance de l’argent, qui est partout en politique. Il est temps que tout ceci évolue. Et il est temps d’apprendre à réformer.
Votre sentiment sur les prochaines échéances ?
Tel que je vois les choses, je pense que Bruno Chavanat aura les mêmes difficultés que moi en 2008 à constituer son équipe. Si c’était à refaire ? Table rase de tout ce groupe qui est là depuis 20 ans. Ces gens-là ne font pas de la politique, ils sont dans la politique. Leurs ambitions, leurs idées, leurs programmes ne sont pas clairs. On ne peut pas gagner en prenant le contrepied systématique de l’autre, il faut être en capacité de proposer.
On vous sent serein, en accord avec vous même…
Oui, tout à fait. Je n’ai rien à envier à la gauche lorsqu’elle avance qu’elle est le détenteur de la générosité et de la bonté, il n’y a pas qu’elle, à droite aussi il y a des gens biens ! Et puis il faut sortir de cette bipolarité, aller de l’avant, être en prospective.
Quel regard portez-vous sur la fabrication de la ville ?
Je pense que le social dans la ville devrait être plus visible. D’autre part, je crois que Rennes devrait d’abord cultiver son image de « petite ville moderne, du futur », sans forcément se rêver en grande métropole européenne. Rennes pourrait alors être un exemple de ville durable, s’inscrivant dans une démarche résolument positive. Un projet passionnant.