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Dossier
#19
RÉSUMÉ > La ville-archipel, c’est une île principale (Rennes) reliée à des îlots (les communes) dans un océan de verdure. Ce modèle tant vanté de la métropole rennaise a-t-il du plomb dans l’aile à l’heure du développement durable, de l’exigence de réduction du CO2 et du coût de l’essence qui flambe? Non, estime Emmanuel Couet, élu en charge de l’aménagement. La ville-archipel continue de s’inventer, aujourd’hui à la Courrouze, demain à ViaSilva.

PLACE PUBLIQUE > Longtemps, dans l’agglomération rennaise, c’est la ville centre qui a porté seule le logement social. Est-ce toujours le cas?

EMMANUEL COUET >
Depuis le début des années 2000, on assiste à une évolution significative, avec l’idée que l’offre de logements locatifs sociale (Hlm) doit être répartie équitablement sur l’ensemble du territoire, et que l’ensemble des communes, sans exception, doit contribuer à l’effort d’accueil des populations, y compris celles de condition modeste. Cette idée-là est aujourd’hui admise par tous. C’est le fruit d’une impulsion politique et d’un travail de l’ensemble des élus qui s’est traduit par le premier programme local de l’habitat. Celui ci, portant sur la période 1998-2006, fixait de grandes orientations qui étaient plutôt incitatives. Notre Plh actuel, beaucoup plus abouti, fait l’objet d’un consensus politique assez exceptionnel autour de l’idée que chacun doit prendre sa part dans l’accueil de toutes les populations. Rennes a été dans l’anticipation des objectifs de la loi Solidarité et renouvellement urbains (Sru). L’application des principes de la loi a été d’autant plus aisée que cette approche a été largement anticipée.

PLACE PUBLIQUE > Est-ce compatible avec la notion de ville-archipel ?

EMMANUEL COUET >
Tout à fait! Car cette initiative conforte notre modèle de développement urbain. Je dirais même que ce patrimoine politique commun vient consolider le concept de ville-archipel. Il y a, en creux, l’idée que chaque commune a vocation à se développer, à accueillir des habitants et des activités nouvelles. Nous sommes sur un modèle de croissance où la ville centre n’est pas seule à participer au développement de l’agglomération toute entière.

PLACE PUBLIQUE > Quelles sont les conséquences de ce choix stratégique en matière d’aménagement urbain?

EMMANUEL COUET >
Cela signifie qu’il faut que toutes nos politiques d’aménagement soient cohérentes les unes par rapport aux autres. À cet égard, le Plh resterait un voeu pieu s’il n’était pas traduit en actes dans chacune des opérations publiques déployées sur l’agglomération.

PLACE PUBLIQUE > Pourtant, ce modèle peut sembler menacé: l’expansion urbaine menace la ceinture verte, par exemple…

EMMANUEL COUET >
Il est vrai que le modèle de ville-archipel est aujourd’hui interrogé par la politique du développement durable, par les questions de consommation d’espace et de mobilités. Est-il pour autant dépassé? Je ne le pense pas, au contraire, surtout si l’on retient d’abord de ce concept la nécessité d’avoir un aménagement des espaces rythmé par des secteurs urbains, des zones dédiées à l’agriculture périurbaine, des espaces naturels… Avec la ville-archipel, la qualité des espaces de l’agglomération demeure constituée de successions nettes d’espaces bâtis, d’espaces agricoles et naturels, avec des limites franches qui contribuent à cette impression de « ville sans banlieue ».

PLACE PUBLIQUE > À ce rythme, on ne construit plus !

EMMANUEL COUET >
Au contraire! Il ne faut pas que ce soit un concept défensif, qui empêcherait un développement nécessaire à l’affirmation des fonctions métropolitaines de l’agglomération. La ville-archipel doit irriguer notre développement, pas être un frein à celui-ci ! Évidemment, ce modèle de développement multipolaire nous amène à nous poser la question des mobilités, des flux domiciletravail. La réflexion sur le bilan carbone et les émissions de CO2 liés aux déplacements est centrale. Dans ce contexte, il ne s’agit pas d’être pour ou contre la ville archipel, mais de s’interroger sur son évolution par rapport aux enjeux nouveaux. Nous devons inventer la ville-archipel de demain, avec des pôles plus compacts, plus denses, constitués pour permettre la mise en place de transports collectifs performants et efficaces. Il est indispensable de limiter la place de l’automobile sur notre territoire si l’on veut atteindre les objectifs du plan Énergie- climat et offrir une alternative crédible, à l’aide de transports collectifs performants. Cette évolution passera nécessairement par un renforcement des polarités urbaines.

PLACE PUBLIQUE > Avec quel impact sur les communes de la périphérie?

EMMANUEL COUET >
Cela signifie à terme que nous aurons des pôles secondaires vraiment puissants et attractifs. Ils seront sans doute structurés autour de 10 000 habitants, mais cette évolution ne se résume pas à une question de population! Il existe des communes comme la mienne (Ndlr: Saint-Jacques-de-la-Lande) qui ne joueront jamais une fonction de polarité, alors que d’autres, comme Mordelles par exemple, vont renforcer encore cette attractivité déjà réelle. Demain, nous devrons donc donner plus de sens et plus de force à nos concepts de centralité, au-delà des noyaux urbains.

PLACE PUBLIQUE > Les habitants sont-ils prêts à cette évolution?

EMMANUEL COUET >
Nous observons tous, depuis cinq ou six ans, une évolution extrêmement forte des mentalités. Il y a une prise de conscience réelle, à tous les niveaux, du fait que nos ressources sont limitées, en matière d’énergie comme d’espace. En tant que maire et vice-président de Rennes Métropole à l’aménagement, je sens vraiment cette évolution à l’oeuvre. En matière d’urbanisme, il y a eu longtemps une résistance face à la question de la hauteur des immeubles, avec des inquiétudes, des blocages psychologiques. Je ressens, au moins pour la ville de Rennes, que les lignes bougent à ce sujet, avec la diffusion d’une culture éco-citoyenne, qui remet en cause le modèle longtemps dominant des lotissements pavillonnaires dans les communes périphériques.

PLACE PUBLIQUE > Et la place de l’automobile dans la ville?

EMMANUEL COUET >
C’est vrai que les crispations, lorsqu’elles existent, se focalisent sur la voiture. Les habitants ont évolué sur la consommation d’espace, mais les mentalités évoluent plus lentement par rapport à la possession et à l’usage de la voiture. Pour une famille de deux actifs avec deux enfants, tout l’enjeu consiste donc à réussir à « lâcher » la deuxième voiture.

PLACE PUBLIQUE > Dans ce contexte compliqué, comment Rennes Métropole compte inventer la ville-archipel de demain?

EMMANUEL COUET >
Jusqu’à présent, la seule opération mixte d’aménagement de compétence communautaire était la Zac de la Courrouze. Ce fut la première grande opération par son importance et son échelle: 100 hectares, 5 000 nouveaux logements ! Puis est venu le projet d’aménagement du quartier de la gare et du pôle d’échanges multimodal EuroRennes, qui concentre l’ensemble des enjeux de mobilités autour de la nouvelle gare. Troisième opération communautaire: ViaSilva, où là aussi, l’échelle de l’opération donne la mesure de son ambition, avec un objectif de 40 000 habitants et 40 000 emplois d’ici à 2040. Il est d’ailleurs à noter que cette opération est pilotée par Rennes Métropole en lien étroit avec la commune de Cesson-Sévigné, directement associée à sa conception. Tout l’enjeu consiste donc à faire de ces trois grandes opérations une concrétisation de nos ambitions dans le domaine de l’aménagement durable, avec le plus haut niveau d’exigence possible en termes d’économie d’espaces, de gestion des mobilités, de la gestion des déchets, etc… C’est d’ailleurs passionnant de voir qu’il s’agit de trois approches complètement différentes en matière d’aménagement urbain, mais avec le même degré d’ambition.

PLACE PUBLIQUE > Ces différences sont pour vous un parti-pris revendiqué?

EMMANUEL COUET >
Tout à fait ! Je plaide pour que l’on retrouve de la diversité dans les opérations. Nous devons être capables de mobiliser les compétences d’architectes et d’urbanistes qui ont des approches différentes. Demain, EuroRennes ne ressemblera pas à la Courrouze, Via Sylva sera également différente, et c’est tant mieux!