Il faut remonter le boulevard Jacques-Cartier en direction de la rue de Nantes. Là, les murs de la maison d’arrêt en imposent. Ils renferment un passé douloureux qu’accentue la perspective des cellules à l’abandon, visibles depuis la rue. Deux époques se trouvent figées par l’architecture des bâtiments. Un monstre de béton gris prolonge une bâtisse de schiste pourpré et de briques, flanquée d’une coupole. Aux abords, l’atmosphère est sinistre. Pas un chat. Une brocante peu fréquentée, un café orphelin fermé au coeur de l’après-midi. Mais le quartier résidentiel apprécie le calme récent. En mars 2010, tous les détenus ont été transférés à la prison flambant neuve de Vezin-le-Coquet.
À la fin du 19e siècle, le Rennes méridional n’a pas grand chose à voir avec l’actuel quartier Sud-gare. En lieu et place des maisons et immeubles d’aujourd’hui, des champs et des marécages. Mais la ville voit plus grand. Trente ans après l’inauguration du chemin de fer, le chantier de la prison Jacques-Cartier démarre. La proximité de la gare facilitera le maintien des liens familiaux des futurs détenus. Jean-Marie Laloy, architecte municipal de l’époque, à qui l’on doit notamment l’école d’agronomie de Rennes, se voit confier la construction de la maison d’arrêt. Elle s’achève cinq ans plus tard, en 1903. L’urbanisation grignote rapidement la campagne du sud de Rennes. Ruraux et migrants affluent en ville. Les maisons et immeubles envahissent les champs. Entre les boulevards Jacques-Cartier et Georges-Clemenceau, la prison se retrouve bien malgré elle au coeur du quartier. Une situation paradoxale, entre intégration dans la ville et mise à l’écart derrière de hauts murs. C’est alors tout le quartier qui vit au rythme de sa prison, notamment lorsque les lieux sont récupérés par les soldats allemands à l’automne 1940. De nombreux résistants y sont enfermés et torturés avant d’être le plus souvent déportés de l’autre côté du Rhin. Un épisode tragique qui marque le quartier et ses habitants. Autrefois lieu de vie autant que d’exclusion, cette prison n’est aujourd’hui plus qu’un souvenir. Elle reste cependant un témoignage rare au coeur de la ville.
En mars 2010, au moment du déménagement des détenus vers Vezin, élus et administration pénitentiaire se félicitent d’en finir avec une prison vétuste et surpeuplée – entre 400 et 450 détenus pour 350 places. Si certaines associations dénoncent la froideur et le manque d’humanité de la prison high-tech de Vezin-le-Coquet, tout le monde est soulagé d’en finir avec Jacques-Cartier. Cette dernière, qui fait partie du décor pour la plupart des habitants, suscite parfois de vifs débats, accentués par le manque d’informations. Lassés des nuisances sonores liées à la proximité de la prison, certains auraient préféré l’arrêt de l’activité pénitentiaire. Les riverains ont longtemps subi les affres des parloirs sauvages, feux de Bengale, projections de téléphones portables ou d’ordures... « C’était le bataclan ! » confirme un voisin des lieux. « Les jours de visites, il y avait des voitures partout, c’était impossible de circuler », ajoute Maryse, infirmière libérale dans le quartier. Les réactions oscillaient alors entre soumission silencieuse, par peur des représailles, fatalisme ou banalisation. Lorsque Ti Tomm, maison d’accueil des familles de détenus, ouvre ses portes en 2001, le voisinage respire. « Il y avait moins de gens dans la rue, souligne Marie-Claire Guernalec, présidente de l’association. Pourtant rares sont les riverains qui venaient pousser notre porte. »
À la suite de la mise en vente de la prison en juin 2010, la mairie lance en partenariat avec l’administration pénitentiaire, une étude qu’elle présente aux riverains à l’automne, lors de la Caravane des quartiers. Pour Anne- Sophie Cortinovis, chargée de communication de la Direction interrégionale de l’administration pénitentiaire, une seule certitude émerge : « Le terrain appartient au ministère de la Justice. C’est le service des domaines qui s’occupe de le mettre en vente. L’administration pénitentiaire souhaite conserver 5 000 des 13 000 m2 afin d’y abriter les locaux du service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip), un centre de semi-liberté d’une cinquantaine de places (CSL), et un pôle centralisateur de surveillance des bracelets électroniques. »
La Caravane des quartiers, unique moment d’information des riverains sur l’avenir de la prison, a cristallisé les antagonismes. A l’annonce du projet de déplacement du CSL depuis la prison des femmes, située à quelques encablures de là, vers celle de Jacques-Cartier, certaines réactions sont particulièrement violentes : « Beaucoup pensaient être définitivement débarrassés de la prison, ils ne veulent pas du centre de semi-liberté », confie Frédéric Bourcier, adjoint au maire délégué à l’urbanisme et à l’aménagement. Même si pour le moment personne n’est en mesure de savoir quand le centre sera mis en activité, la plupart considère cette mutation comme un moindre mal.
Pourtant, même la « certitude » qu’expose Anne-Sophie Cortinovis semble en suspens. Pour cause, les divergences d’opinion entre les deux principaux acteurs, la ville et l’État. « Ce n’est pas nous qui menons le projet. Il est en cours d’étude par Rennes Métropole et la mairie mais il n’y a pas de date et l’administration pénitentiaire est bloquée tant qu’elle n’a pas de réponse de leur part », explique Anne-Sophie Cortinovis. Frédéric Bourcier, lui renvoie la balle : « L’État ne sait pas ce qu’il va faire six mois à l’avance. Parmi tous ceux qui ont compétence sur le site, personne n’est d’accord ! » Julien Fée, directeur des quartiers Sud-gare et Bréquigny, concède : « Pour l’instant, la ville est en retrait quant au projet. L’État a deux ans pour trouver acquéreur. »
Quelques irréductibles, dont Michel Coignard, secrétaire des Amis du patrimoine rennais, continuent d’espérer une reconversion respectueuse de l’héritage architectural et historique de la ville. L’association lutte pour la sauvegarde des bâtiments d’exception et refuse d’envisager la destruction de la prison centenaire, partie intégrante de l’identité du quartier. Pour elle, conserver la prison Jacques- Cartier est une nécessité : « Nous sommes conscients que la ville évolue. C’est normal, mais il faut absolument conserver des traces du passé. Sinon les gamins ne sauront rien de l’histoire de leur quartier. » Ni classée, ni protégée malgré ses trois étoiles au Patrimoine d’intérêt local, la prison est menacée de destruction.
L’interrogation majeure concerne donc les 8 000 m2 libérés par l’administration pénitentiaire. Aucun acheteur ne s’est encore manifesté. Même s’ils estiment que proposer des idées de reconversion n’est pas leur rôle, les Amis du patrimoine tentent de faire émerger des projets, Michel Coignard se veut optimiste : « Une auberge de jeunesse ou une cité universitaire par exemple. Des étudiants en architecture se sont penchés sur cette dernière idée, ils ont fait un excellent travail. Quand on veut, on peut ! »
Malgré tout, la situation stagne et un grand flou règne autour des différentes propositions. Si la reconversion prend autant de temps, c’est qu’aujourd’hui, plaide Frédéric Bourcier, « ni l’État ni les collectivités n’ont les moyens de la financer ». Pour les Amis du patrimoine la frilosité des élus locaux et de l’État s’assimile plus à un désengagement : « Il y a la possibilité de faire des choses peu coûteuses et de conserver ce bâtiment exceptionnel. » L’adjoint s’inquiète : « Quel promoteur va vouloir investir ? L’idée de faire un hôtel de luxe est aberrante. Quelle est la pertinence d’un projet là-bas ? Le site est excentré et mal desservi par les transports en commun. C’est un paradoxe. Alors, transformer la prison, j’ai du mal à y croire ! »