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Histoire & Patrimoine
#39
La barrique, le bistrot
et la mobylette
RÉSUMÉ > Découvrir l’histoire de la ville à travers une photographie d’archive, tel est l’objectif de cette rubrique proposée par l’historien David Bensoussan, en partenariat avec le Musée de Bretagne, aux Champs Libres à Rennes. Celui-ci accueille jusqu’au 30 avril une exposition intitulée « Boire », sur les boissons et les buveurs. Cette photographie des années 1960 évoque la place importante que les bistrots de quartier occupaient alors dans la ville.

     Prise au début des années 1960, dans le quartier populaire de la Madeleine, juste au sud-ouest de la gare, peu avant la percée du boulevard Georges Pompidou qui va sensiblement en modifier l’aspect, cette photographie de Charles Barmay nous rappelle, quoiqu’indirectement, la place persistante du café dans la sociabilité et la physionomie urbaines.

     À l’intersection, aujourd’hui disparue, de la rue de Mauconseil, qu’une plaque permet d’identifier, et de la rue de Nantes, dont on voit en arrière-plan la façade d’un commerce de parfumerie, plutôt approvisionné comme une droguerie, commerce si emblématique de ces années-là, on devine, en effet, un café. C’est en partant d’un angle de vue original que le photographe choisit de nous révéler, non sans malice, la diversité de l’offre que cet établissement propose aux clients, habituels ou de passage, venus s’y désaltérer.

     Au premier plan, devant le pignon décrépi de l’habitation comportant le café, se trouve une immense barrique en bois, sûrement en chêne, cerclée de très nombreux feuillards, et pouvant contenir aisément plusieurs centaines de litres. Quartier de la Madeleine La barrique, le bistrot et la mobylette Plutôt que de cidre, boisson très prisée à Rennes jusqu’au début du 20e siècle, mais en très fort recul depuis les années 1950, il s’agit sûrement de vin, boisson populaire par excellence, dont la consommation était alors très importante ce que la barrique, sans doute vide, vient d’ailleurs accréditer. À l’offre de « pinard », venu peut- être des régions méridionales du pays, s’ajoute celle de la bière, autre boisson de prédilection des habitués, ici originaire d’Alsace si l’on en juge par l’enseigne publicitaire située près de la plaque de rue. Mais, en ce début des années 1960, les générations du baby-boom voient également dans le café un lieu de sociabilité majeur et tout tenancier qui se respecte se doit donc de leur fournir une boisson plus adaptée aux modes adolescentes. Plus que l’apéritif à base de vin blanc, d’origine italienne, dont on devine le nom, sur un vantail publicitaire à l’entrée du café, c’est une célèbre boisson américaine qui est proposée aux apprentis teen-agers. Sa bouteille, au format reconnaissable entre toutes, ainsi que son logo, tout aussi emblématique, occupent la majeure partie du même espace publicitaire et le slogan qui les accompagne est un appel à l’épanchement gazéifié.

     Que choisir pour étancher sa soif, c’est ce que doit se demander ce client, dont on parierait aisément qu’il est un habitué du lieu et dont on distingue au premier plan la mobylette, sans doute une Motobécane AV44, de couleur jaune, agrémentée de sacoches, alors un des modèles les plus vendus en France. Si l’hésitation l’a saisi, on peut douter que ce soit à la lecture de la grande affiche publicitaire, paradoxalement située sur le mur du café, comme une sorte de provocation, et qui fait la promotion du lait en poudre pour une célèbre marque parvenue jusqu’à nous. Solidement appuyé sur sa béquille, l’engin motorisé attend patiemment le retour de son propriétaire, peut-être irrémédiablement perdu au fond de cette barrique !