Anne, ici, a 11 ans et demi; elle n’est duchesse que depuis une semaine. Son père, François II, est mort le 9 septembre, la laissant orpheline et en charge d’un duché en plein désarroi.
Après la victoire des troupes royales contre l’armée réunie par le duc à la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier (28 juillet 1488), la Bretagne s’est en effet vu imposé le traité du Verger qui la met pratiquement sous la tutelle de Charles VIII, puisque celui-ci garde le contrôle de plusieurs places fortes des marches de Bretagne et que son accord est nécessaire pour tout mariage des filles du duc, Anne, l’héritière, et sa sœur Isabeau.
Après l’enterrement de son père, Anne a quitté Nantes où sévit une épidémie et s’est réfugiée à Guérande où elle se trouve au moment où elle écrit cette lettre. Nous avons sans doute ici l’un des premiers exemplaires de sa signature, tracée d’une main mal assurée de petite fille.
Elle y demande aux habitants de Rennes de lui envoyer six « bons personnaiges » choisis parmi « les gens d’Église, de conseil ou bourgeois ». Elle souhaite les consulter « promptement et en diligence », avant de convoquer les États de Bretagne. Ceux-ci doivent en effet ratifier le traité du Verger et elle a prévu de les réunir à Vannes le 29 septembre suivant. Elle veut donc connaître l’avis des responsables rennais sur les suites qu’il convient de donner à cet accord. C’est le premier contact officiel de la duchesse avec la ville.
La petite duchesse a jusqu’alors eu peu de relations avec Rennes, même si sa nourrice, dame Eon, était l’épouse d’un riche marchand rennais. Son enfance s’est en effet déroulée entre les châteaux de Nantes et de Vannes, avec parfois des séjours l’été à Suscinio.
La plupart des affaires du duché se traitent à Nantes, où l’administration ducale est concentrée. Mais Rennes est la ville du couronnement des ducs ; ils y font leur entrée solennelle par les Portes mordelaises, accueillis par l’évêque, et sont ensuite couronnés dans la cathédrale. Rennes a donc un fort pouvoir symbolique dans l’équilibre du duché, à côté de Nantes et, dans une moindre mesure, de Vannes.
C’est ainsi que, quelques mois après ce billet, Anne vient à Rennes pour y être couronnée le 10 février 1489. Elle s’installe dans le « logis des ducs » et la ville devient alors le théâtre de sa destinée. En 1490, elle y épouse par procuration Maximilien de Habsbourg, futur empereur romain germanique, mariage dont on sait qu’il sera plus tard annulé par le pape.
En réaction à cette alliance avec un ennemi du royaume, Charles VIII envoie alors une armée en Bretagne afin d’y rétablir son autorité. Durant l’été 1491, Rennes est assiégée par le duc de La Trémoille. La duchesse n’a plus alors comme solution que de négocier avec le roi de France: l’accord qui en résulte prévoit le mariage d’Anne et de Charles VIII. Celui-ci vient alors en personne à Rennes dès la mi-novembre 1491 et les fiançailles sont célébrées le 17 au couvent des Jacobins. Début décembre Anne quitte la ville, accompagnée d’une délégation de bourgeois de Rennes, pour Langeais où le mariage a lieu le 6 décembre… Elle est alors écartée de l’administration de la Bretagne qui passe aux mains du roi.
Jusqu’à la mort de son époux le 7 avril 1498, elle reviendra très peu souvent dans son duché. Mais devenue veuve, elle en reprend en main le gouvernement avec volonté et énergie et dès septembre 1498, elle convoque les États de la province à Rennes où elle s’arrête brièvement – pour la dernière fois – avant de continuer vers Nantes d’où elle va gérer les affaires de Bretagne pendant quelque temps.
Actuellement le souvenir d’Anne, duchesse de Bretagne, et de ses deux années passées à Rennes ne se perpétue qu’à travers une plaque apposée sur le couvent des Jacobins et le nom d’un boulevard.