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Dossier
#11
RÉSUMÉ >  Une nouvelle génération de parents d’élèves, socialement plus aisée, a remplacé celle des cheminots. Malgré ce renouvellement, l’esprit villageois est encore bien présent.

Gilet jaune fluorescent sur les épaules et sifflet en main, René Veillaud brandit un panneau stop pour immobiliser les voitures. « Quentin, Marguerite et Manon, vous pouvez y aller mais sans courir. » Cet agent technique de la ville connaît tous ceux qui fréquentent l’école Villeneuve. « Matin, midi et soir, tous les jours, sauf le mercredi, je les vois. Quand je suis absent, les parents le remarquent et à mon retour, ils me demandent si j’étais malade. Et je reçois des boîtes de chocolats pour les étrennes. »
Cette école publique de la rue Ginguené est la deuxième à avoir été construite, en 1935, après celle de Quineleu. Depuis, d’autres établissements primaires ont ouvert leurs portes : Mauconseil et Oscar-Leroux, en 1955. Enfin, Albert- de-Mun a été fondée et jumelée à Quineleu en 1961. Quatre écoles publiques, trois privées : « C’est le quartier rennais le mieux doté en équipements scolaires », précise Lénaïc Briéro, adjointe au maire et élue du quartier sud gare. Au total, un peu plus de 1 500 places.

« Par rapport aux quartiers alentour, nous avons notre propre identité », soutient Pascal Chevrel, président du conseil local de la fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) d’Oscar-Leroux et administrateur départemental. « Il y a 95 adhérents à Sud-gare. Ils sont très impliqués, présents aux conseils, et membres des associations sportives et culturelles. »
Chacune des six écoles reflète les particularités de sa zone. « On accueille tous ceux qui le souhaitent, on ne choisit pas. C’est la sociologie du quartier qui fait celle des écoles », insiste Yves Biguier, le référent de l’enseignement catholique à la ville de Rennes. Même constat à l’école publique de Mauconseil qui compte une seule classe maternelle et deux élémentaires pour 57 enfants. « Elle est à l’image de son environnement pavillonnaire et les enfants inscrits sont plutôt privilégiés », note Luc Pham, responsable de l’antenne sud à la Direction de l’éducation et de l’enfance. Des pavillons construits par les cheminots à la fin des années 1940, et qui symbolisent la solidarité entre ces anciens travailleurs.
Aujourd’hui, encore, les parents parlent volontiers de « village ». « C’est une petite ville dans la ville. Les habitants changent peu. Je connais les parents et les enfants ; ils vont dans les écoles primaires de la rue puis, pour la plupart, au collège les Ormeaux », résume Georges Marci, directeur du cercle Paul-Bert Ginguené. À Sud-gare, l’« entre-soi » continue donc de s’exprimer, même si le cadre familial a bien changé : les familles autrefois ouvrières sont maintenant de classes plus élevées. « L’identité cheminote n’existe plus », confirme Pascal Chevrel, représentant de la FCPE.

L’évolution a été progressive. « À Villeneuve, à part les professions, peu de choses ont changé », raconte Odette, 81 ans. Ses deux enfants, aujourd’hui cheminot et employé d’hôtel, y ont été scolarisés. Ses cinq petits-enfants sont inscrits à Villeneuve et Saint-Joseph. Son amie Denise, 92 ans, renchérit : « J’habite ici depuis 1957. Le parc de Villeneuve a toujours été le lieu de rassemblement. Aujourd’hui, je continue de m’y promener. D’un côté, les parents et les enfants sont toujours là, de l’autre, les plus vieux. J’aimerais y mourir, à l’ombre, sous l’un des grands arbres. »
Encore loin de ces préoccupations, les deux enfants de Valérie Bobinnec fréquentent l’école proche du parc. Pour les inscrire, elle a obtenu une dérogation. « C’était plus pratique pour me rendre au travail. Mais il faut aussi dire que des amies m’avaient vivement recommandé cette école : elle connaît très peu d’échecs scolaires. » La famille a emménagé il y a dix ans. Parmi les nouveaux arrivants, elle n’est pas la seule attirée par la réputation du quartier et de ses écoles : « Les parents des enfants que je garde sont juriste et architecte. Ils viennent de Paris et se sont installés ici, il y a deux mois. Ils ont vraiment été charmés par le cadre », raconte une baby-sitter. « On fait partie de ces «bobos» qui ont investi le quartier », reconnaît une pédiatre, mariée à un professeur. L’amie avec laquelle elle discute est assistante sociale, son époux médecin. « Architectes, ingénieurs, c’est le règne des beaux métiers ici », commente René Veillaud, en ôtant son gilet et son sifflet.
 

Cette gentrification a une conséquence directe : une mixité sociale en baisse. « C’est vrai qu’il y a moins de diversité qu’il y a vingt ans, quand mes enfants étaient au cours élémentaire », remarque la pédiatre. Le clivage semble prononcé. « Pour les personnes du milieu ouvrier, l’intégration à l’air assez difficile », observe Philippe Boltenhagen, chercheur à l’Institut de physique de Rennes. Il cite le cas d’un parent d’élève : « Il patiente toujours tout seul. Et à côté, les autres parents sympathisent entre eux. » En riant, sa femme, Gina ajoute : « À la sortie de l’école, on aperçoit des parents bien habillés, avec des mallettes parfois, et de grosses voitures ». Elle est à la recherche d’un emploi.
Dans un immeuble HLM de la rue Ginguené, Fatima*, mère au foyer, vit avec son mari, intérimaire, et leur trois enfants. « Je ne connais pas les parents. On se dit bonjour et c’est tout ; ils n’ont pas l’air d’avoir le temps de discuter avec moi. » Ses enfants, eux, sont très bien intégrés. « Un de mes fils est allé chez son camarade de classe de Villeneuve pour fêter son anniversaire. Quand mon mari l’a récupéré, il m’a dit que les parents avaient les moyens et une maison qu’on ne pourra jamais acheter », confie t-elle.

À la périphérie du quartier, le brassage est plus visible. Proche du Blosne, Oscar-Leroux fait figure d’exception. « Les parents du quartier gare ont un statut élevé, mais le mélange avec ceux de la zone urbaine sensible permet une mixité des catégories socio-professionnelles », argumente Didier Dedelot. Pour ce directeur, les parents du quartier gare s’engagent réellement en faveur de leurs établissements scolaires. « Le comité des parents d’élèves est très actif. Certains militent pour que le collège de la Binquenais, réputé difficile, compte plus de familles aisées, qu’il ne devienne pas un ghetto. »
Au coeur du quartier, c’est la crèche Alain-Bouchart qui fait désormais office de laboratoire de la diversité. Elle accueille 44 enfants par jour. « Il y a dix ans, on ne comptait pas de parents sans emploi ou en situation précaire. Cette année, nous en avons dix au chômage », relate Isabelle Gandon, la co-directrice. Depuis 2008, le centre d’informations de la petite enfance, attribue les places en crèche. « Notre logique est celle de la mixité sociale. Pour cela, nous plaçons en priorité les bénéficiaires d’aide sociale, les familles monoparentales, nombreuses et dont le parent est à la recherche d’emploi », explique Laurence Gueguen, responsable de la direction petite enfance de la ville. En 2014, les logements sociaux prévus par le projet de la Zac Alma devraient aussi favoriser cette mixité. « Les nouveaux immeubles apporteront sans doute de la diversité sociale et ethnique ; un souffle nouveau sur le quartier, qui devient un peu vieillot », espère Pascal Chevrel, représentant de la FCPE.
Dans quelques années, aux côtés des « fils d’architectes et d’ingénieurs », René Veillaud fera sans doute traverser la rue à des élèves dont les origines sociales seront plus variées.