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Dossier
#04
RÉSUMÉ > Sans promoteurs, pas de construction. Sollicités par Rennes Métropole pour produire 4 500 logements par an, les opérateurs immobiliers de la place rennaise ont joué le jeu du Programme local de l’habitat (PLH). Sans difficulté. Moteur de croissance, puis remède anticrise, le PLH a trouvé un écho favorable chez les promoteurs privés comme les organismes HLM, en dépit des contraintes posées par la maîtrise foncière ou par son volet social.

     Nexity, Marignan, Icade… Jusqu’à présent, les grandes enseignes nationales de la promotion immobilière avaient largement ignoré les chantiers de l’agglomération rennaise. Ce n’est plus le cas. Le PLH est passé par là, transformant la capitale bretonne en terre promise de la construction neuve.
     Chiffres à l’appui, les opérateurs locaux confirment que cette volonté politique forte, mise en acte par des moyens financiers conséquents, a dopé leurs activités depuis 2005. « En 2009, nous avons livré 127 logements sur Rennes Métropole. Grosso modo, notre activité a doublé, recentrée à 80 % sur le territoire métropolitain », témoigne François Chaussavoine, le gérant de Coop Habitat. Même son de cloche chez l’organisme HLM Aiguillon, habitué à mettre en chantier 150 logements locatifs sociaux par an. « Depuis 2005, nous tournons plutôt autour de 280 logements, corrige Denis Bimbenet, son directeur général. Les subventions du PLH nous permettent d’équilibrer plus facilement nos opérations ». À de rares exceptions près, petits ou grands, publics et privés, tous ont donc signé.

     Ancienne, la tradition de planification urbaine et foncière de la puissance publique n’a pas bouleversé les pratiques du secteur, bien conscient de son intérêt. Pour certains, davantage centrés sur les métiers de la transaction, le PLH a donné un coup de fouet à l’activité de la promotion. C’est le cas de Blot. « Mais nous n’avons pas sacrifié notre indépendance. Nous n’avons jamais apporté une réponse de convenance aux élus, tempère Sandra Blot, dirigeante de la filiale Pierre Promotion. Nous nous portons candidat dans la mesure de notre disponibilité, quand les programmes offrent de bonnes garanties financières ». Ailleurs, le lancement du PLH a créé des emplois. « Nous avons embauché une dizaine de techniciens pour assurer le suivi des opérations du PLH, indique Jérôme Launay, directeur général du groupe Launay. Le PLH nous offre l’opportunité de nous faire connaître dans d’autres communes de l’agglo, de gagner en notoriété et en crédibilité ».
     Accélérateur de croissance en période faste, le PLH a joué par ailleurs un rôle vital d’amortisseur en temps de crise. Ces dernières années, les aides au financement et les opérations du PLH ont maintenu l’activité du BTP à flot, mettant en lumière la valeur contracyclique de la commande publique. Les promoteurs s’en félicitent. « Grâce aux subventions et à la maîtrise du foncier, le PLH rend solvable des ménages aux revenus modestes. Il créé des débouchés », résume François Chaussavoine.
     De facto, faute d’acquéreurs, plusieurs promoteurs ont transformé leurs programmes d’accession libre en accession aidée ou en locatif intermédiaire. Avec la bénédiction de Rennes Métropole, des bailleurs sociaux ont même racheté des programmes privés (VEFA1) à la dérive. Ce reclassement in extremis a permis d’atteindre les objectifs fixés par le PLH pour la production de logements locatifs sociaux, tout en dépannant les promoteurs privés.

Un outil de développement complémentaire

Relais de croissance et vaccin contre la déprime économique, le PLH a offert des débouchés importants aux promoteurs immobiliers. Mais ces derniers rappellent aussi que d’autres dispositifs nationaux ont accompagné la relance de la demande et le secteur de la construction. Les incitations fiscales de la loi Scellier et du prêt locatif social (PLS), le doublement du prêt à taux zéro, la baisse des taux, le crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt, la diffusion du Pass-Foncier… Autant de mesures qui ont contribué à amortir fortement la chute des ventes.
     À ses débuts, le PLH a même donné du fil à retordre aux opérateurs. Entre 2005 et 2007, la forte demande publique a tiré vers le haut les tarifs des entreprises et les prix des matériaux. « Mais les prix de sortie des logements aidés, eux, sont fixés par Rennes Métropole une bonne fois pour toutes : 1 800 €/m² pour une maison, 1 900 €/m² pour un appartement, regrette Daniel Alliaume, président de la SOREIM. Notre marge de manœuvre était minime. Il a fallu serrer les boulons et batailler ferme pour maîtriser les coûts de production ».
     Les opérateurs rappellent enfin que la réussite du PLH est conditionnée par l’engagement de la collectivité dans d’autres secteurs. Sans politique de transports ambitieuse, sans politique d’équipement commercial, sans souci de préservation de l’environnement… pas d’habitat. « Construire est une chose. Ensuite, il faut vendre, rappelle Sandra Blot. Si le secteur est mal desservi par le réseau de bus, éloignée des commerces ou des écoles, l’opération sera périlleuse ». Aux yeux des promoteurs, quoique bénéfique à leurs activités, le PLH ne représente ni l’alpha, ni l’oméga du développement métropolitain. Un levier essentiel, oui. Un outil miracle, non.

     Sur le papier, Rennes Métropole s’est fixé comme objectif de produire 36 000 logements entre 2005 et 2012. Pour relever le défi, la qualité des relations entre les communes, l’agglomération et les promoteurs immobiliers est primordiale. Visiblement, la coopération est au beau fixe. « Les procédures sont claires, les dossiers sont solides. On travaille dans un climat de confiance. On trouve de la réactivité et une volonté sincère de comprendre nos contraintes, en matière de coûts de construction par exemple », se réjouit François Chaussavoine. Ses confrères partagent son avis. « Le service habitat de Rennes Métropole est compétent. L’agglomération s’est donné l’ingénierie et les moyens humains nécessaires pour épauler les communes et remplir ses objectifs. C’est appréciable », indique Jérôme Launay.
     À l’heure de la révision du PLH, ce dialogue fructueux permet aux opérateurs de faire entendre leurs suggestions, y compris sur le sacrosaint principe de la densité. Quand le PLH impose un minimum de 50 % de logements collectifs ou semi-collectifs, les promoteurs font dorénavant remarquer qu’il faudrait remettre au goût du jour la maison individuelle, en habitat groupé. « Quand on construit du collectif, on réalise peu de grands appartements. Dès lors, comment loge-t-on les familles ?, s’interroge Dominique Mouillard (SOREIM). En périphérie, certaines écoles perdent des élèves. Les familles aspirent à l’indépendance, un petit bout de jardin. Sur de petites parcelles, avec des formes innovantes, on sait faire de la densité en maison individuelle ». À l’écoute des professionnels et des habitants, Rennes Métropole révise aujourd’hui son point de vue, vers davantage de souplesse dans la composition urbaine. Les communes rurales apprécient.
     En revanche, le PLH ne transigera jamais avec le principe de mixité sociale. Mais les promoteurs s’en accommodent sans problème. Le choix de pratiquer la mixité à l’échelle de chaque opération, et non de la ville, est perçu comme une injonction de bon sens. « On décloisonne le logement social, on évite la ghettoïsation de certains quartiers », se félicite Denis Bimbenet. Le PLH a aussi placé tous les acteurs autour de la table, en favorisant le rapprochement entre les organismes HLM et les opérateurs privés. L’ouverture d’esprit des Rennais fait le reste. Daniel Allliaume cite un exemple : « Sur le quai Saint-Cyr, on a mis en chantier 80 appartements dont la moitié de logements aidés, l’autre moitié à 4 500 €/m². Aucun problème de vente à signaler ».

      À mi-parcours du PLH, les promoteurs notent que les livraisons vont se ralentir dans les mois à venir. « Entre septembre 2008 et septembre 2009, nos ventes ont sensiblement baissé. On a donc repoussé la réalisation de certains programmes pour écouler d’abord nos réserves de logements invendus », confirme François Chaussavoine. Contre la frilosité des banques ou la peur du chômage des Français, le PLH ne peut rien.
     Dorénavant, la détente des prix de construction autorise les promoteurs à s’aventurer davantage sur le marché du logement intermédiaire ou en accession aidée. Mais la crise économique assèche en retour leurs marges sur le marché du libre, rendant l’équilibre des opérations mixtes plus aléatoire. Quant au choix de l’implantation, l’heure est désormais au recentrage. « Certains promoteurs avaient fait le choix de prospecter en troisième couronne, au-delà de Rennes Métropole, se souvient Jérôme Launay. Le foncier y était moins cher, les prix de vente plus attractifs. Avec la crise, la demande s’est recentrée vers les grands pôles de vie et d’emploi. Pour économiser de l’essence, pour rechercher un emploi… Avec le recul, il valait mieux accepter le cadre réglementaire du PLH, contraignant mais fiable, plutôt que de chercher à faire fortune ailleurs ».
     D’un côté, le logement social. De l’autre, les investisseurs. Actuellement, ce sont les deux locomotives de la construction neuve métropolitaine. En raison du contexte économique, les promoteurs s’accordent à dire que le PLH néglige une part importante de la population, les classes moyennes et les jeunes ménages actifs. « Les revenus de ces foyers sont supérieurs aux plafonds du logement social et de l’accession aidée. Mais ils ne leur permettent pas d’acheter dans le secteur libre », résume Daniel Alliaume. Faut-il relever les plafonds ? « Rennes Métropole ne peut pas aider tout le monde… ». Les communes doivent-elles encadrer davantage le prix de sortie des logements sur les terrains libres qu’elles cèdent aux promoteurs ? « Si elles vendent au plus offrant, l’heureux élu augmente logiquement ses tarifs de vente », rappelle Jérôme Launay. Outil politique vivant, le PLH peut s’accommoder finalement d’une certaine souplesse, à l’épreuve des faits. Avec les promoteurs, le dialogue existe. Au-delà des chiffres, c’est donc aussi la méthode qui plaît.