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Dossier
#28
« 1 500 titres sont publiés chaque année en Bretagne »
RÉSUMÉ > Quelle est la situation du livre à Rennes et en Bretagne ? On a coutume de dire que la région occupe une place d’exception, liée par exemple à son excellence intellectuelle. Il n’en est rien, nous dit Christian Ryo, le directeur de Livre et Lecture en Bretagne. Rennes et la Bretagne sont dans la bonne moyenne nationale, ce qui est déjà très bien.

PLACE PUBLIQUE : Deux poids lourds dominent le paysage de l’édition à Rennes : les Presses universitaires de Rennes et Ouest-France. Parlons d’abord des PUR.

CHRISTIAN RYO : Les PUR, c’est fondamental et ce n’est pas suffisamment connu, y compris à Rennes. Je pense que l’édition universitaire ou para-universitaire a un bel avenir devant elle car la société a de plus en plus besoin d’éditorialiser. De mettre en forme le savoir et l’information, de transmettre des textes de recherche au-delà d’un cercle restreint. Le grand éditeur franco-américain André Schiffrin qui vient de mourir insistait beaucoup sur cet aspect, très important aux Etats-Unis. Cette part « non lucrative » de l’édition est essentielle en matière de recherche et développement. Schiffrin constatait d’ailleurs que beaucoup de revues très pointues étaient rachetées par des gros groupes américains. Pas pour des raisons de notoriété mais parce que ce sont des lieux stratégiques pour l’avenir. Un investissement sur le très long terme.

On trouve à Rennes un autre éditeur d’importance, Édilarge, à savoir les éditions Ouest-France.
Avec Ouest-France et les PUR, ce sont 500 nouveaux titres qui sont publiés chaque année à Rennes. Sans compter les rééditions. Il s’agit aussi des deux seules maisons qui, à partir de Rennes, ont réellement une diffusion nationale. Édilarge, il faut le souligner, n’est pas un éditeur régional ni d’un éditeur régionaliste, mais l’éditeur des régions françaises, la nuance est importante. La part consacrée à la Bretagne n’est pas si importante que cela dans son catalogue. C’est un concept unique.

Le thème du tourisme reste un axe fort des éditions Ouest-France. Mais c’est aussi une manne pour toute l’édition en Bretagne ?
Je pense qu’Édilarge a influencé dans ce domaine l’édition bretonne en impulsant quelque chose. En même temps son travail a été copié, ce qui n’est pas forcément une bonne idée. Le problème c’est qu’aujourd’hui on s’en tient à des images stéréotypées. On retrouve toujours les mêmes choses : le phare, la tempête… Cette édition touristique est assez ambivalente. Elle cherche à se dégager des clichés et en même temps elle les exploite commercialement. Le résultat est que souvent un auteur breton est contraint de parler de crêpe et de galette, faire son petit Jakez Hélias. En ramenant la Bretagne au sujet histoire, patrimoine, tourisme, on bloque un peu les auteurs, on les empêche de parler de la modernité de la Bretagne.

La Bretagne serait donc victime, éditorialement parlant, de sa forte identité régionale ?
C’est une vraie question. Si cette identité n’est pas réinterrogée par les artistes et les écrivains, elle devient paralysante. Dire cela, c’est risquer d’être taxé d’anti-breton. Mais n’oublions pas que l’identité, c’est mouvant, que c’est précisément sur cette question que travaille un écrivain.

Considérez-vous qu’il y a une surdose de livres touristiques et patrimoniaux en Bretagne ?
Il faut nuancer. On trouve dans ce domaine des livres bien faits pour peu qu’ils fassent appel à des spécialistes et qu’ils n’essaient pas d’imiter les éditeurs parisiens. Notons que les livres sur le patrimoine qui marchent bien en Bretagne sont des livres très exigeants, comme ceux dirigés par Alain Croix, par exemple. À l’inverse, tout qui ressort de la fibre touristique, un peu superficielle, cela va peut-être intéresser les gens de passage mais pas ceux qui habitent en Bretagne. Le credo « coiffe-galettes », ça ne marche plus ! Je pense que sur le patrimoine au sens large des choses inventives se font et restent à faire : la vision des peintres, la vision des photographes, le patrimoine immatériel, par exemple.

En même temps que cet activisme sur le « livre de Bretagne », on constate une quasi-absence d’éditeurs de littérature en Bretagne ?
C’est vrai, ici, très peu de maisons se consacrent vraiment à la littérature si l’on met à part Apogée et La Part Commune à Rennes. Aucune n’a d’aura nationale comme le Diable Vauvert dans le Gard, Finitude à Bordeaux, Gaïa dans les Landes, Zulma à Toulouse. Il est surprenant aussi qu’on ne trouve pas ici de maisons d’édition consacrées à la littérature étrangère. Il y a bien eu l’exception Gallmeister dans le Morbihan, mais cette maison est retournée à Paris.

Comment expliquer ce déficit, voire ce déclin des éditeurs littéraires en Bretagne ?
D’abord les maisons d’éditions parisiennes absorbent beaucoup d’écrivains. Paradoxalement, beaucoup d’auteurs vivent en Bretagne, mais ils sont peu à publier ici, peut-être par crainte d’être assimilés au régionalisme. Par ailleurs, la culture littéraire a régressé partout en France. Il y a de moins en moins de vrais lecteurs. La sociologue Michèle Petit le dit : « lire de la littérature, même dans les milieux cultivés, c’est devenu quelque chose de rare, une pratique dévalorisée. Réduite à un petit produit pour femmes en quête d’évasion. »

Se lancer dans l’édition littéraire, ce n’est donc pas viable ?
C’est quelque chose de fou mais il en a toujours été ainsi. Cette difficulté explique qu’éditer soit devenu une activité annexe. Il y a peu d’éditeurs qui ne soient qu’éditeurs. L’édition, ce peut être des collectifs d’auteurs qui se mettent à éditer, ce peut être lié au spectacle vivant, à des associations. L’édition prend des formes très variées, il faut plutôt parler de structures de production. Leur nombre prouve que ne vivre que de l’édition est devenu périlleux.

En dehors d’Édilarge et des PUR, comment se compose le paysage éditorial breton ?
Hormis ces deux grandes maisons, l’édition en Bretagne est éclatée en une foule de petites et très petites structures. En gros, il se publie 1 500 titres nouveaux chaque année en Bretagne.

Justement, sur le plan quantitatif, comment se situe la Bretagne par rapport aux autres régions ?
Nous ne sommes pas la région qui édite le plus. Devant nous, il y a Rhône-Alpes, Aquitaine, Provence Alpes Côte d’Azur (Paca). Disons que l’on est dans la moyenne. De même quand on dit qu’il y a en Bretagne beaucoup plus d’éditeurs qu’ailleurs, c’est faux, même s’il est vrai que l’on trouve beaucoup de « structures éditoriales » comme je l’ai dit tout à l’heure. On estime à 300 le nombre d’éditeurs en Bretagne, dont 100 en Ille-et-Vilaine. Ce chiffre recouvre évidemment des réalités très différentes avec parfois des gens qui ne publient qu’un seul titre par an. Ce n’est pas vraiment de l’édition.

La lecture, se porte-t-elle bien en Bretagne ?
Pour le nombre de librairies et la lecture publique, nous nous situons là aussi dans la moyenne. Sauf peut-être à Rennes qui occupe une place à part et où la lecture se porte bien. La bibliothèque des Champs Libres enregistre une augmentation de ses abonnés, c’est le cas aussi des bibliothèques des communes de Rennes Métropole. Globalement, Rennes est plutôt une terre de lecteurs.

Et la librairie, comment va-t-elle ?
Nous bénéficions d’un bon maillage, excepté dans les zones rurales. Même si les cafés-librairies – qui sont une spécialité bretonne – ont investi la ruralité, ce qui est exceptionnel. Nous avons pas mal de librairies indépendantes qui globalement se portent plutôt bien. Les fermetures, quand il y en a, ne sont pas liées à des questions économiques. À Rennes, on constate aussi le nombre important de librairies spécialisées : BD, polar, jeunesse, religion, voyage, art… On voit que la librairie va plutôt dans le sens de l’indépendance puisque les groupes ont tendance à abandonner les centres-villes (ainsi Chapitre ou Virgin). Chacun trouve sa place. Une autre particularité rennaise doit être mentionnée, c’est l’apparition de nouvelles librairies dans la périphérie : Cesson, Betton, Liffré, Bruz… On voit que cela fonctionne, et même plutôt bien.

Et les grandes surfaces culturelles, Leclerc, Cultura, etc. ?
Je n’ai pas de chiffres, mais on constate qu’elles n’ont pas absorbé la clientèle des librairies, ce qui était la crainte au départ. À Rennes, les gens circulent, la ville n’est pas immense, si bien que l’on passe facilement de la périphérie au centre et inversement. Ce sont les mêmes personnes qui fréquentent ces différents types de magasin, mais pas pour le même type d’achat. Je pense ainsi qu’un équilibre s’est créé sur le territoire de Rennes Métropole. Un équilibre certes fragile mais qui existe et qui permet à tout le monde de trouver son compte.