A l'approche des élections municipales de mars 2014, une relève générationnelle va s'opérer à Nantes, à Rennes, à Saint-Nazaire mais aussi à Vannes. Pour les majorités sortantes de gauche, les têtes de liste déjà désignées par le PS traduisent une volonté de rajeunissement et de féminisation : à Nantes la succession de Jean-Marc Ayrault, nommé premier ministre en 2012, est briguée par Johanna Rolland, 34 ans, première adjointe de Patrick Rimbert ; à Rennes, Nathalie Appéré, 38 ans, la première ajointe de Daniel Delaveau depuis 2008, députée depuis 2012, est sur les rangs. Cette relève semble annoncer dans plusieurs cités la fin d'un cycle politique ouvert en 1977 avec l'arrivée aux commandes municipales de militants socialistes comme Alain Chenard à Nantes, Edmond Hervé à Rennes, Francis Le Blé à Brest, Louis Chopier à Saint-Malo, Jean-Marc Ayrault à Saint-Herblain1... Qu'en est-il des évolutions politiques au niveau municipal de 1977 à 2008 ?
La forte poussée municipale de la gauche en France en 1977 est remise en question en 1983, moins de deux ans après l'alternance politique de mai 1981. Après l'arrivée de la gauche au pouvoir qui a vu une « vague rose » déferler sur l'Ouest et les grandes réformes de 1981-1982, la situation économique du pays est difficile, le débat porte sur l'inévitable tournant de « la rigueur » pour les uns, de « l'austérité » pour les autres. L'opposition de droite est en position de reconquête de ses villes perdues en 1977. Une nouvelle loi municipale, avec une part de proportionnalité, permet de dégager des majorités stables tout en donnant une représentation aux listes minoritaires. Avec une forte participation, la droite est majoritaire dans les grandes villes au premier tour. Ainsi, la gauche et Alain Chenard (PS) ont perdu Nantes où la diminution de la population et les travaux du tramway ont pesé au profit du sénateur RPR Michel Chauty. À Brest, le RPR Jacques Berthelot a battu le socialiste Pierre Maille mais le PS a conservé Lorient et Saint-Brieuc alors que l’opposition de droite gardait Quimper, Vannes (l’UDF Pierre Pavec élu avec près de 56 %) et Vitré. A Saint-Brieuc où l'union de la gauche avec le PCF s'est reconstituée, Claude Saunier (PS) succède à Yves Le Foll. A Lorient, la continuité l'emporte avec le député Jean-Yves Le Drian (PS) devenu maire en 1981. Dans l’Ouest, la prise en 1977 de la Roche-sur-Yon par Jacques Auxiette (PS) est confirmée dès le premier tour (56 %). De même, les socialistes Jean- Marc Ayrault (60,4 %) à Saint-Herblain et Jacques Floch à Rezé (56 %) ont été facilement réélus.
Au second tour, du fait d'un sursaut de son électorat, la gauche limite la casse, perdant toutefois 31 villes de plus de 30 000 habitants dont Grenoble, ne sauvant que de justesse Marseille. Dans l’Ouest, elle résiste bien en conservant Rennes, Le Mans, Laval, Angers, Cherbourg et Saint-Nazaire où Joël Batteux (PS) prend le relais d’Etienne Caux. Edmond Hervé, ministre de la Santé, est réélu à Rennes face à Claude Champaud (RPR) mais le refus d’accorder quatre sièges aux écologistes entraîne le maintien de la liste d’Yves Cochet au second tour, ce qui perturbe le traditionnel affrontement gauche-droite. La gauche divisée a perdu Saint-Malo mais aussi Lannion (gagnées en 1977) et Pontivy. De fait, le reflux socialiste est limité en Bretagne où, après une progression aux élections cantonales de 1982, le PS augmente son nombre de maires encartés2 : de 9 à 14 en Ille-et-Vilaine avec les gains de Fougères (Jacques Faucheux) et de Redon (Pierre Bourges), de 16 à 21 en Loire-Atlantique, ou le stabilise dans les Côtes-du-Nord (79) et dans le Finistère (40). Mais, comme aux cantonales, cette progression du Parti socialiste se fait souvent en Basse-Bretagne au détriment de son allié communiste (à Guingamp, à Concarneau où le socialiste Gilbert Le Bris va s’enraciner) et en gagnant les couronnes urbaines des grandes villes. La réactivation de la question scolaire, l’unification en projet des écoles publique et confessionnelle, a pu jouer localement contre la gauche (dans le Finistère et le Morbihan). Mais le tissu des élus centristes (CDS) et de la droite modérée (UDF) reste solide dans les zones rurales. Signe des mutations politiques à l’oeuvre dans les grandes villes, des listes écologistes et autogestionnaires (PSU) font de bons résultats au premier tour à côté de listes trotskistes, à Rennes, à Lorient, à Quimper alors que l’UDB participe aux municipalités d’union de la gauche et obtient quelques élus (80 conseillers municipaux en Bretagne et deux maires). Finalement, 1983 se solde par une certaine stabilité politique dans les trois régions de l’Ouest (Bretagne, Pays de la Loire, Basse-Normandie) : 35 villes n’ont pas changé d’orientation (18 à gauche, 17 à droite) mais la droite en a gagné 7 contre 2 pour la gauche.
Après deux années de cohabitation (1986-1988) et la réélection de François Mitterrand à la présidence de la République (1988), les élections municipales de mars 1989 constituent un test pour le gouvernement de Michel Rocard dans un climat morose et de montée de l’abstention (30,4 %). Avec un gain de 18 villes de plus de 30 000 habitants pour 7 pertes, le PS, souvent en conflit avec le PCF, affiche sa satisfaction du fait d’un « rééquilibrage en faveur de la gauche » sensible au 1er tour (Ouest-France, 13 mars 1989). En France, la gauche va diriger 132 villes (83 PS, 46 PCF), la droite 97 (45 UDF, 41 RPR). Outre la prise de Strasbourg, le PS reconquiert Nantes et Brest mais aussi Quimper (perdue en 1977) et Lannion. Il s’empare de Châteaubriant (Nicole Buron) et Landerneau (Jean-Pierre Thomin), ce qui traduit l’enracinement de ce parti dans les villes moyennes et petites. Jean-Marc Ayrault quitte Saint-Herblain qu’il administre depuis 1977 pour reprendre Nantes dès le 1er tour, aidé par les divisions de la droite nantaise et le rejet du maire sortant qui a supprimé de nombreuses subventions culturelles et associatives. À Angers, Jean Monnier (divers gauche) est brillamment réélu (60,8 %) au 1er tour, de même que Robert Jarry (PC dissident) au Mans avec 64 %. Jarry avait été exclu du PCF pour « virage à droite » un mois plus tôt. Dans ces deux villes, les communistes ont présenté leur propre liste.
Fait politique notable et signe de défiance à l’égard du PS : la poussée du vote en faveur des Verts au 1er tour qui se maintiennent au second et font leur entrée dans les conseils municipaux (4 élus à Rennes, Lorient et Saint- Brieuc, 3 à Quimper et Saint-Nazaire, 2 à Nantes), mais aussi à Vannes. La division à gauche a provoqué la perte de Morlaix, de Guingamp et de Plérin. En Bretagne, la droite conserve Vannes, Saint-Malo où René Couanau (CDSUDF) s’impose, Dinan, Vitré et Orvault. A Quimper, Bernard Poignant (PS) l’a emporté sans (et même contre) les communistes et malgré le maintien des Verts. Les relations PS-Verts ont souvent été conflictuelles comme à Rennes où Edmond Hervé l’emporte au premier tour contre Gérard Pourchet (CDS-UDF), ou à Lorient et à Saint- Brieuc. Le Front national obtient désormais quelques élus. Globalement dans l’Ouest, le PS sort renforcé de ces élections municipales de 1989 marquées par l’arrivée de nouvelles générations d’élus, l’étalement géographique du vote socialiste et la densification des réseaux militants.
En juin 1995, un mois après les élections présidentielles qui ont vu l’accession de Jacques Chirac à l’Elysée, le premier tour des élections municipales est marqué en France par l’abstention (35 %), une certaine stabilité des équipes sortantes et une forte poussée du Front national. Ces résultats sont considérés comme un avertissement au gouvernement d’Alain Juppé. Fait nouveau : le parti d’extrême droite enlève dans des triangulaires trois villes dans le sud-est de la France, dont Toulon. Mais dans les grandes villes de l’Ouest, tous les maires socialistes sortants sont réélus : Jean-Marc Ayrault à Nantes, Edmond Hervé à Rennes, Pierre Maille à Brest, Robert Jarry au Mans, Jean Monnier contre Roselyne Bachelot à Angers, Joël Batteux qui a suivi Jean-Pierre Chevènement au Mouvement des citoyens (MDC) à Saint-Nazaire, Jean-Pierre Godefroy à Cherbourg (58 %). A Quimper, Bernard Poignant ne l’a emporté que de 24 voix après sa fusion avec les Verts et des militants bretons. Noël Le Graët (div. g.) reprend Guingamp, Marylise Lebranchu (PS) Morlaix et Jean-Pierre Le Roch (PS) Pontivy. La gauche gagne aussi Auray (PCF), Ploemeur, Loudéac et Lamballe (PS) alors que la droite (UDF) enlève Le Rheu, Le Guilvinec, ainsi que Carhaix et Douarnenez à des maires communistes tout en conservant Plérin. Les centristes et UDF Pierre Méhaignerie à Vitré, Pierre Pavec à Vannes, René Couanau à Saint-Malo, René Benoit à Dinan sont solidement installés dans leur fief alors qu’Alain Madelin (UDF-PR) devenu ministre l’emporte à Redon. De même, François d’Aubert, secrétaire d’état enlève Laval dès le premier tour à l’occasion de la succession d’André Pinçon, la liste d’union de la gauche étant opposée à deux listes d’extrême gauche.
A Nantes, avec 57,88 % des voix, Jean-Marc Ayrault a balayé dès le 1er tour la ministre de la Santé Elisabeth Hubert (RPR). Son bilan municipal est apprécié. La gauche conforte ses bastions dans l’agglomération nantaise - Jacques Floch réélu à Rezé avec 68,4 % -, ne perdant que Saint-Sébastien-sur-Loire. A Rennes, les prétendants à droite se sont divisés. Le principal thème d’affrontement porte sur la construction du VAL, le métro automatique. La droite s’y oppose fortement ainsi que les Verts qui défendent l’option du tramway et réclament un référendum, de même que le géographe Michel Phlipponneau, l’ancien premier adjoint d’Edmond Hervé (1977-1983). Avec 7,8 % des voix seulement (et une forte abstention), le recul des Verts est sévère à Rennes (de plus de 6 %) confortant l’équipe en place. Dans plusieurs villes, en intégrant les écologistes au second tour, l’union de la gauche a pu se maintenir voire se renforcer.
La victoire de la gauche plurielle aux élections législatives de 1997 et la relative popularité du gouvernement Jospin qui a bénéficié d’une conjoncture économique favorable semblent annoncer des élections municipales tranquilles pour la gauche au pouvoir qui a parfois intégré les Verts sur ses listes, impression confortée par la conquête de Paris et de Lyon. Or, un certain mécontentement se manifeste apportant son lot de surprises et la perte de 40 villes de plus de 15 000 habitants. Le PCF continue de reculer ; les Verts critiquent l’union des gauches et l’extrême droite pourtant divisée entre le FN et le MNR de Bruno Mégret est toujours présente. Plusieurs ministres sont battus dès le premier tour. Les ballottages sont nombreux et plusieurs s’annoncent difficiles pour les équipes sortantes comme à Quimper. Mais les bastions de gauche des grandes villes sont confortés en dépit d’une forte abstention. Si des maires socialistes de « la génération 77 » sont toujours là, des successions s’opèrent : à Brest, le député François Cuillandre prend la relève de Pierre Maille devenu président du conseil général du Finistère en 1998 ; à Lorient, Norbert Métairie a déjà succédé à Jean-Yves le Drian ; à Saint-Brieuc, Michel Brémont aspire à prendre le relais du sénateur Claude Saunier mais c’est aussi le cas à Vannes avec l’arrivée de François Goulard (UDF-PR). Au Mans, le député PS Jean-Claude Boulard succède à Robert Jarry. Il en est de même à Angers où Jean-Claude Antonini (PS) a déjà remplacé Jean Monnier à mi-mandat et il conserve une centriste comme première adjointe. A Nantes, Jean- Marc Ayrault est facilement réélu dès le premier tour tout comme Joël Batteux à Saint-Nazaire, Jean-Pierre le Roch à Pontivy ou Alain Gouriou à Lannion tandis qu’Edmond Hervé à Rennes et les postulants à Brest, à Lorient, à Saint- Nazaire doivent attendre le second tour. La relève est aussi assurée par Bernard Cazeneuve à Cherbourg-Octeville (55 % au 2e tour).
L’exemple emblématique de l’échec de la gauche, du fait des divisions et de successions difficiles, est la perte de Saint-Brieuc, « ville laboratoire » de l’union de la gauche depuis 1962. Au premier tour, la gauche plurielle faisait face à une liste du MDC (désaccord sur un poste d’adjoint), au second Bruno Joncour (UDF) l’emporte. Des électeurs de gauche n’ont guère apprécié les replâtrages de dernière minute. La présence de liste des Verts comme à Morlaix où la ministre PS Marylise Lebranchu est réélue (46,8 %) malgré leur maintien, régionaliste à Quimper, voire de l’extrême gauche trotskiste complique la donne et explique des seconds tours incertains. Des villes acquises à la gauche sont gagnées par la droite : Quimper, Saint-Brieuc, Pont-L’Abbé, Gourin, Paimpol alors que la gauche reprend Douarnenez et Rostrenen. Dans un combat fratricide à gauche, Christian Troadec, le fondateur du festival des « Vieilles Charrues », devient maire de Carhaix. De même Lanester, bastion communiste depuis 1945, est pris par un divers gauche. Au total, tout en conservant ses quelques bastions urbains, la droite et le centre ne progressent guère dans la région.
Les élections régionales de 2004 ont changé la donne avec la victoire de la gauche dans le pays. Désormais dans l’Ouest, le PS dirige les régions Bretagne (Jean-Yves Le Drian), Pays de la Loire (Jacques Auxiette) et Basse- Normandie (Philippe Duron). Un an après l’arrivée de Nicolas Sarkozy (UMP) à l’Elysée, quel est le paysage municipal en Bretagne, une région qui a donné la majorité à Ségolène Royal (PS) au second tour de l’élection présidentielle de 2007 ? La continuité l’emporte avec la réélection de la plupart des grands élus locaux. Le PS engrange de nouveaux succès en gagnant des villes des couronnes rennaise (Cesson-Sévigné, Bruz mais en perdant Chantepie) et brestoise, ainsi que Ploërmel (Béatrice Le Marre) et il reprend Quimper et Plérin. Mais du fait de triangulaires, des divisions de la gauche, du maintien des Verts (Morlaix) ou de bons scores de listes du Modem (centristes) ou d’extrême gauche présentes au second tour (Concarneau, Quimperlé) des réélections sont plus difficiles : de Joël Batteux (PS) à Saint-Nazaire à René Couanau (UMP) à Saint-Malo. Ainsi dans le Finistère où les chassés-croisés sont nombreux l’UMP enlève cinq villes au PS : Morlaix (Agnès Le Brun), Landerneau, Châteaulin et des maires sans étiquette, en fait soutenus par la droite et le centre, prennent Concarneau et Quimperlé.
A Nantes, malgré 7 listes, Jean-Marc Ayrault est réélu dès le premier tour. Rezé, Saint-Herblain et la Roche-sur- Yon restent solidement ancrées à gauche. A Rennes, la transition Edmond Hervé - Daniel Delaveau, auparavant maire de Saint-Jacques-de la Lande, est réussie malgré la présence du Modem (quatre élus au second tour) et des Verts. Bernard Poignant (PS) reprend Quimper et Bruno Joncour, passé au Modem et allié à l’UMP, conserve Saint-Brieuc contre la députée PS Danièle Bousquet. Pierre Méhaignerie (UMP), maire depuis 1977, demeure intouchable dans son fief de Vitré (62,36 % au premier tour). Face au jeune élu de l’UMP Christophe Béchu, Jean-Claude Antonini est difficilement réélu à Angers (50,61 %) où l’ancien maire Jean Monnier a soutenu le candidat de la droite. En revanche, à Laval, Guillaume Garot (PS) qui avait déjà pris son siège de député en 2007, bat François d’Aubert (UMP) au 1er tour. De même, à Caen, Brigitte Le Brethon (RPR) qui avait facilement succédé à Jean-Marie Girault en 2001 est nettement battue par Philippe Duron (PS), notamment du fait de la désunion de la droite et du centre.
Ces élections municipales de 2008 marquent une nouvelle « vague rose, moins forte en Bretagne » (Ouest- France du 17 mars). Dominant à gauche, comme le confirme la présidence depuis 2004 de quatre des cinq conseils généraux de la Bretagne historique, le PS paraît d’autant plus solidement enraciné qu’il est déjà parvenu à assurer la relève de ses maires « historiques » de 1977 (à Rennes, Brest, Lorient) et une féminisation de ses listes. Mais des successions mal préparées à gauche comme à droite ont souvent conduit à l’échec. Une nouvelle étape, voire une nouvelle donne, se profilentelles en mars 2014 ? La réponse appartient aux électrices et aux électeurs.