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Dossier
#30
RÉSUMÉ > Les navires de commerce et de pêche de Saint-Malo vont payer un lourd tribut durant la Première guerre mondiale, victimes des sous-marins allemands, les fameux U-Boote. 53 navires armés dans le pays malouin seront coulés entre 1914 et 1918. Les marins de la Royale, eux aussi, combattront à terre au sein de la fameuse Brigade des fusiliers marins.

     Même s’il accueille avant-guerre les torpilleurs1 de la défense mobile au même titre que Saint-Servan, Saint-Malo n’est pas un port de guerre, mais un port de commerce et de pêche. En effet, le tonnage de marchandises y transitant représente 694 000 tonnes en 1913, constitué d’un trafic de pondéreux avec l’Angleterre, l’approvisionnement de Saint-Pierre-et-Miquelon, le cabotage et un petit trafic avec les colonies et l’étranger. L’armement à la grande pêche concerne 131 navires armés en 1914, soit les 2/3 des navires français armés pour Terre-Neuve. On recense 4 000 inscrits maritimes à Saint-Malo en 1914 pour une population du pays malouin de 75 000 habitants. Les inscrits maritimes effectuent un service militaire de cinq ans et sont mobilisables de 18 à 47 ans. Pour la France entière, ils sont 160 000 mobilisés dont 95 000 embarqués en 1913 et la moitié sont bretons ! C’est dans ce contexte maritime particulier que se profile la première guerre mondiale.
    À Saint-Malo, ce sont donc les navires de commerce et de pêche et surtout leur personnel qui vont ressentir la guerre dans son atrocité. On peut distinguer ainsi la guerre sous-marine et la participation des marins aux opérations terrestres.

Guerre sous-marine ou guerre de corsaires ?

     Pour barrer l’entrée de la Manche à la flotte allemande, l’amiral Rouyer, commandant la 2e escadre légère, ne dispose au début de la guerre que de 2 divisions de croiseurs (soit 6 navires) alignant au total 12 canons de 190 et marchant à 18 noeuds, mais aussi 18 torpilleurs et 24 sous-marins (dont certains à vapeur !). On ne verra donc pas d’escadres françaises venir sur nos côtes, juste un peu de poussière navale pour escorter le cabotage et la pêche.
    Le Pas-de-Calais est d’abord contrôlé par la 2e Escadre Légère, puis dès octobre 1914 protégé par des champs de mines. Il n’y a donc pratiquement pas de sous-marins allemands en Manche au début de la guerre. Le premier torpillage d’un navire français est celui de l’Amiral Ganteaume le 26 octobre 1914 au cap Gris-Nez par l’U 24. Il transportait 2 400 passagers belges et français évacués d’Ostende après escale à Calais, et l’on déplore 40 morts par noyade.
    Le premier navire français perdu est le Ville de Lille, coulé au large de Barfleur par l’U 16 le 15 février 1915, donc avant le déclenchement de la guerre sous-marine à outrance le 18 février dans la zone de guerre entourant la Grande-Bretagne.
    Cette guerre sous-marine (à outrance) va affecter en particulier un nombre significatif de grands voiliers. La première victime est l’Union de l’armement Bordes pris le 28 octobre 1914 par le Kronprinz Wilhelm, paquebot de la Norddeuscher Lloyd, au large de Montevideo. L’équipage est libéré contre l’engagement de ne pas servir contre l’Allemagne. Le second capitaine, Eugène Julien, est inscrit à Saint-Malo.
    Saint-Malo ne bénéficie pas du trafic « guerrier » : les convois de troupes et d’approvisionnement venant d’Angleterre se dirigent essentiellement vers Le Havre et Saint-Nazaire, le cabotage, qui passe au second plan, se déverse sur les ports secondaires comme Le Tréport et Fécamp. Un point cependant se développe : un nombre très important de petits voiliers, des dundees, des goélettes, assure le trafic du charbon à l’importation depuis le canal de Bristol. Bon nombre de ces navires ont été construits à Saint-Malo ou sur les bords de la Rance. Ils subissent de lourdes pertes lorsque les Allemands – dont les sous-marins sont de plus en plus performants – pénètrent un peu plus en Manche en faisant le tour des Îles Britanniques. Les effectifs embarqués sont très faibles : quelques hommes, souvent une demi-douzaine. Les pertes humaines ne sont pas systématiques : le sous-marin se montre, tire un coup de canon, l’équipage abandonne le navire qui est pillé, puis sabordé.
    Entre 1915 et 1918, ce fut le cas de 53 navires armés dans le pays de Saint-Malo, la période terrible fut celle comprise entre août 1916 et juillet 1917, avec 21 navires coulés en 1916 et 26 en 19172. Sur ces 53 navires, 10 perdirent des membres d’équipage pendant ou après l’abordage, 8 furent coulés au large d’Ouessant, 1 au Sud de l’Angleterre, et un dernier au large de l’Italie. À partir de la fin 1917, les bateaux seront réunis en convois et escortés par des chalutiers à moteur, armés.

     La victime n’est pas toujours facile à éliminer : l’installation de canons à bord des navires de commerce ou de pêche permet quelquefois de répondre à l’agresseur. Le Kléber de Cancale résiste vaillamment. Ce trois-mâts transporte de la houille d’Angleterre à La Rochelle. Le 7 septembre 1917 dans l’après-midi au large de Groix, il est pris à partie à longue distance par un sous-marin allemand, le UC71. De suite, le capitaine manoeuvre pour pouvoir se servir du canon de bord et riposter. Après un vif échange de tir, le sous-marin disparaît en plongée, refait surface quarante-cinq minutes plus tard en plein soleil – donc invisible depuis le Kléber – et reprend l’attaque, tuant le capitaine Le Fauve et son second Plessix. Le maître d’équipage Monnier les remplace et après avoir mis à l’abri son équipage dans un doris, il est prêt à reprendre le combat avec les deux servants du canon. Les marins des doris sont pris en charge par le sous-marin qui les laisse sur le pont et tire quelques coups sur le Kléber en avançant vers lui. Arrivé à la portée du canon, le maître d’équipage Monnier fait feu au risque de tuer ses camarades. Pas atteint, mais surpris, le commandant du sous-marin ordonne la plongée immédiate, perdant au passage un homme d’équipage et jetant à l'eau les marins du Kléber, tous recueillis plus tard par le doris. Le sous-marin réapparaît en quête de son marin, et une fois celui-ci récupéré, il replonge pour ne plus réapparaître. Le voilier et le doris se mettent enfin en sûreté en rade de Groix. Le combat a duré 2h00 et plus de deux cents coups de canon ont été échangés. À la suite de ces événements, le maître d’équipage Monnier est fait chevalier de la Légion d’honneur et sept marins reçoivent la médaille militaire. Le Kléber est cité à l’ordre du jour de l’armée navale avec tous ses marins.

     Dès le début de la guerre, la marine se retrouve avec un surplus d’effectif non embarqué et créée la Brigade des fusiliers marins (BFM), aux ordres de l’Amiral Ronarc’h. Composée de deux régiments, elle est chargée en premier lieu de la défense de Paris.
    Devant l’ampleur des combats, la brigade est envoyée en Flandres début octobre 1914 en renfort de l’armée belge, afin de l’aider à se replier vers la France et de protéger Dunkerque. Après de vifs combats à Melle, elle atteint Dixmude après une marche harassante le 15. « Il faut tenir à tout prix, mais dans quatre jours vous serez relevés », écrit le général Foch dans un ordre donné à l’Amiral Ronarc’h qui lui-même le retransmet ainsi à ses subordonnés : « Le rôle que vous avez à remplir est de sauver notre aile gauche jusqu’à l’arrivée des renforts. Sacrifiez- vous. Tenez au moins quatre jours ». Ils vont tenir vingt-cinq jours, écrivant la première page de gloire des Fusiliers marins. La BFM compte plus de 3 000 hommes morts ou hors de combat : 23 officiers, 37 officiers mariniers et 450 quartiers-maîtres et matelots ont été tués ; 52 officiers, 108 officiers mariniers et 1 774 quartiers maîtres et matelots sont blessés ; 698 d'entre eux ont été faits prisonniers ou portés disparus.
    En 1915, la Brigade est dissoute. Pour lutter contre les sous-marins allemands, la marine souhaite récupérer tous ses hommes. Ne sont conservés qu’un bataillon, une section de pontonniers et huit sections de mitrailleuses qui vont rester dans les Flandres jusqu’en septembre 1918, puis participent aux combats de Hailles, Laffaux… batailles qui ornent les plis de leur drapeau. Le fameux rapport parlementaire Marin sur le « Bilan des pertes en morts et en blessés des nations belligérantes » de juin 1919 ne comporte pas une ligne sur la Marine. Les statistiques publiées en 1921 font, elles, état de 11 400 morts dont 4 800 embarqués. Sur les monuments aux morts des trois communes (Paramé, Saint-Malo, Saint-Servan) du pays malouin, les noms de 59 marins de la Royale sont inscrits, dont huit appartenant à la Brigade des fusiliers marins.