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Dossier
#31
RÉSUMÉ > Les navetteurs, c’est ainsi que nos voisins belges qualifient leurs compatriotes prenant tous les jours les transports en commun entre leur domicile et le travail. Un terme qui qualifie bien les Malouins et les Rennais vivant à cheval sur les deux villes. Trajet quotidien ou hebdomadaire, en voiture ou en train : qui sont ces navetteurs bretilliens ? Réponse en portraits et en témoignages.

     Gare de Rennes, 7 heures 20, un mardi matin. Sur le quai, les passagers se pressent en silence pour monter dans le train de Saint-Malo. Les plus ponctuels sont les vacanciers : un couple de cyclistes, casque sur la tête, jaquette fluo sur les épaules et vélo à la main, deux adolescents en partance pour un tournoi de tennis, une femme et sa lourde valise. Les travailleurs, eux, arrivent plutôt à la dernière minute, avec l’air détaché de ceux qui connaissent les lieux. Sacoches en cuir, chaussures de ville, costume pour certains… Ils forment la tribu des navetteurs quotidiens.

     « La SNCF et la Région Bretagne sont heureux de vous accueillir dans ce train à destination de Saint-Malo » module la douce voix de Simone Hérault. Oui, c'est elle, la célèbre « dame de la SNCF » – trente ans de service, excusez du peu. Coups de sifflets du contrôleur, et le train s'ébranle. À travers les vitres défilent la rue de Nantes et les tours grises de La Courrouze. Un rapide arrêt à Pontchaillou, où s’engouffrent une vingtaine de voyageurs dont deux retardataires, leur vélo sous le bras, et le convoi poursuit sa route. Dans les wagons, pas un bruit. Les scolaires sont en vacances, chacun profite du silence. Un trentenaire lit L’équipe en mâchant son pain au chocolat. Habitué, c’est en chaussettes qu’il fait le trajet, ses chaussures sagement rangées sous le siège. Autour de lui, on somnole ou on dort à poings fermés, comme cette coquette jeune femme au pull scintillant, écouteurs aux oreilles. Montreuil-sur-Ille, Combourg : à chaque station, le train s’emplit un peu mais personne ne descend. Désormais plus de touristes, seulement des salariés parfois encore ensommeillés.

     Cinquante minutes de trajet, et seuls résonnent les grincements du train. Deux collègues, montées à Montreuil- sur-Ille, troublent à peine l’ambiance monacale par leurs chuchotements. Dehors, la brume matinale laisse place au soleil. Dans le train, ceux qui ne dorment pas lisent ou travaillent. Le palmarès des journaux ? Le Monde et Métro. Les tablettes numériques ont aussi leur petit succès. À noter parmi les passagers : la forte proportion d’hommes. Si les bus rennais sont très féminins aux heures de pointe, la parité est ici de mise. Un arrêt à Dol-de-Bretagne, et le TER s’approche de la cité corsaire. Les plus pressés s’agglutinent devant les portes. Certains s’échangent quelques discrets saluts. 8 heures 25 : le train entre en gare de Saint-Malo. Les portes s’ouvrent et, en un instant, les quatre wagons se vident. Sous le ciel chargé de nuages, la foule s’égaye, qui vers les bus, qui à pied ou à vélo. Pour les navetteurs, la journée malouine commence.

     De l’avis des navetteurs interrogés, la voiture est le moyen de locomotion le plus emprunté par les personnes faisant fréquemment le trajet entre les deux villes. Les raisons ? La flexibilité des horaires et l’accessibilité parfois limitée des gares. En effet, il n’est pas toujours évident de combiner bus et train pour ceux qui vivent ou travaillent en banlieue de Rennes ou de Saint-Malo. Symptôme de l’attractivité de la capitale bretonne : il y a trois fois plus de train Saint-Malo – Rennes en heure de pointe le matin que dans le sens inverse.

La dormeuse du train : Clémentine, 19 ans, étudiante

     Deux ans déjà que Clémentine navigue entre Saint-Malo et Rennes. Bac en poche, l’étudiante s’est lancée en 2012 dans une classe préparatoire aux écoles de commerce. Une filière qui n’existe pas dans la cité corsaire. « J’ai été reçue à Nantes, Rennes et Paris. J’ai choisi Rennes car c’était la meilleure des trois. C’était aussi plus proche de chez mes parents », explique la souriante jeune femme. Si elle rentrait souvent l’an dernier, ses trajets se font plus espacés aujourd’hui. Son rythme ? Aléatoire. « Je rentre souvent sur un coup de tête. J’y vais plutôt en train parce que c’est plus simple, je n’ai pas mon permis. Je ne m’organise pas trop à l’avance, j’en prends un à la volée. Il y en a suffisamment, je ne me suis jamais retrouvée sans train quand j’en avais besoin. Si je veux rentrer chez moi dans deux heures, je peux », assure Clémentine. Parmi les passagers, l’étudiante appartient sans conteste à la catégorie des dormeurs. « Je ne fais pas trop attention au paysage. Les contrôleurs, les habitués, je ne les repère pas. Je fais ma sieste en général », admet-elle. Si l’étudiante apprécie sa vie rennaise, son coeur reste à Saint-Malo. « C’est ma ville, ma maison, là où j’ai grandi ». Se voit-elle y vivre après ses études ? « Non, et à Rennes non plus d’ailleurs ! », s’exclame-t-elle en riant, « je compte partir à l’étranger ».

Le covoiturage convivial : Liliane, 27 ans, assistante de prévention à la médecine du travail

     « Ma première motivation pour faire du covoiturage ? C'était la sécurité. L'hiver, j'avais peur de m'endormir au volant. Je me suis dit que ça pouvait dépanner des gens et moi, ça me fait de la compagnie », explique Liliane. Le covoiturage convivial Liliane, 27 ans, assistante de prévention à la médecine du travail La jeune femme est une baroudeuse. Après un emploi à Lille, elle s'est réinstallée à Rennes l’an dernier. « J’ai cherché du travail dans un rayon de 150 kilomètres, j’ai trouvé à Saint-Malo ». Elle s’y rend désormais tous les jours. Parmi ses passagers, des étudiants, des travailleurs et, parfois, des vacanciers. « J’ai déposé mon annonce sur le site de covoiturage Blablacar en janvier. Depuis, j’ai du monde presque tous les jours. On finit par créer des liens, c’est le côté sympa de la chose », raconte-t-elle. Et l’aspect économique ? « Ça amortit un peu le budget essence, mais ce n’était pas ma motivation première. Je ne demande que 4 € par personne. J’avais anticipé ce budget, j’ai changé de voiture pour une qui consomme moins. Si je n’avais pas ces trajets, j’aurai dépensé cet argent ailleurs de toute façon ! », philosophe Liliane. Attachée à sa ville, elle ne compte pas emménager à Saint-Malo. « J’ai ma vie à Rennes, mon mari, mes amis. J’aime sortir, je fais beaucoup de choses. Ça bouge moins à Saint-Malo. Je n’ai pas d’enfants ni de contraintes, donc ça ne me gêne pas de faire les trajets ».

À deux, c’est mieux : Emmanuel, 36 ans et Norbert, 46 ans, salariés dans l’informatique

     Il y a un an, en discutant dans le bureau d’un collègue, les deux hommes ont découvert qu’ils faisaient chacun le trajet quotidien depuis Saint-Malo. Désormais, Emmanuel et Norbert font la route ensemble. Une semaine, c’est l’un qui prend sa voiture, et la semaine suivante, À deux, c’est mieux Emmanuel, 36 ans et Norbert, 46 ans, salariés dans l’informatique c’est l’autre. « En partageant ainsi moitié-moitié, on repose les conducteurs, c’est plus prudent », explique Emmanuel. La clé du succès ? Ils travaillent dans la même entreprise près des Longchamps à Rennes, avec les mêmes horaires. « C’est vraiment important pour un covoiturage régulier », assure Norbert. Et lorsque l’un ou l’autre a un empêchement, « on s’envoie un SMS le matin », racontent-ils. Au-delà du côté convivial, l’aspect financier est essentiel pour les deux collègues. « On roule 130 kilomètres par jour, ça nous fait un budget mensuel d’essence de 250 à 300 € », calcule Emmanuel. Le duo transporte aussi régulièrement des passagers via le site Blablacar. « On voit des profils différents, des gens qui ont des projets de création d’entreprises, des jeunes… On parle d’autre chose que de notre boulot », témoigne Norbert. L'un comme l'autre ne se voient pas quitter Saint-Malo. Les raisons ? La qualité de vie pour l'un, la mer pour l'autre. Déjà navetteurs depuis plusieurs années, les deux hommes savent que cela risque de durer encore. « En informatique, on manque d'opportunités de travail à Saint-Malo », regrette Norbert. Emmanuel, lui, attend « avec impatience que la technopole de Saint-Malo se développe, ça créera peut-être des opportunités ». En attendant, ils continuent à parcourir les 45 minutes – 55 minutes aux beaux jours – qui séparent les deux cités. Le train ? « Ce n’est pas possible car on vit et on travaille loin des gares. Quant au télétravail, les entreprises n’y sont pas encore prêtes », constatent les deux collègues.

Saint-Malo, Rennes, Lisbonne : Émeline, 19 ans, étudiante

     Comme de nombreux Malouins, Émeline s’est inscrite à l’université à Rennes après son bac. « Je n’ai pas trop réfléchi, c’était la fac la plus proche. Mes amis ont fait de même », explique l’étudiante. Un choix qu’elle ne regrette pas. « J’aime bien l’ambiance de Rennes. En tant qu’étudiant, on n’y est pas à plaindre », glisse-t-elle avec malice. Le trajet vers Saint-Malo, elle le connaît par coeur pour le faire presque tous les week-ends depuis deux ans, la plupart du temps en covoiturage. Et sur ce sujet, elle est incollable. « Le week-end, la plupart des pilotes sont des étudiants. D’ailleurs les voitures partent des différentes facs. À la base, le principe est sympa. Ça s’est bien passé la première année. Mais ces derniers temps je prenais davantage le train car ça commençait à m’agacer : des problèmes de ponctualité de la part des pilotes, des points de dépose éloignés, le prix a augmenté (son site de covoiturage impose une taxe d’1,50 € par trajet, N.D.L.R.). Et j’en ai un peu marre de discuter car on raconte toujours la même chose. Mais ça reste plus économique que le train », détaille-t-elle. Durant ces voyages, c'est tout un petit monde malouin qui se mêle. « Il y avait toujours des passagers que je connaissais, ou qui me connaissaient plus ou moins directement, ou que j'avais déjà croisés… Saint-Malo est une petite ville », témoigne la jeune femme. Aujourd’hui, fini la Bretagne, Émeline va terminer sa licence de biologie à Lisbonne. « Ces deux ans étaient positifs, mais c’est suffisant. Maintenant je me lance dans l’inconnu », se réjouit-elle. Avec, peut-être, de nouvelles aventures de covoiturage à raconter à son retour.