À l’appui d’infrastructures routières de plus en plus performantes, les dernières décennies ont été marquées par un accroissement des distances entre domicile et travail. Les lieux de résidence se situent dans un rayon qui peut atteindre une cinquantaine de kilomètres pour peu qu’une desserte efficace soit permise par les supports de mobilité. La diffusion périurbaine se développe généralement par fragmentation et les bourgs qu’elle atteint se diluent dans des flaques de lotissements plus ou moins étendus qui ne tiennent compte ni de la typologie particulière du centre qu’ils enrobent, ni du paysage qui les accompagnait. On peut craindre de cet espace entre les villes qu’il ne s’urbanise de façon uniforme et sans respect des terres agricoles ou forestières.
Éloignées de seulement 60 km, les deux villes de Rennes et Saint-Malo mettent en tension un « entrevilles » sous l’effet croisé de leurs forces centrifuges : la spéculation foncière que génèrent d’un côté l’attractivité de la capitale régionale, centre d’emploi majeur de la région et de l’autre les rivages, rend difficile l’accès au logement pour les ménages aux revenus moyens qui n’ont pas les moyens de l’achat d’un espace suffisant en ville et n’accèdent pas aux logements sociaux. Entre les deux villes, les communes intermédiaires « bipolarisées » sont en croissance : celles accessibles par la route modernisée il y a une vingtaine d’années et celles desservies par le TER dont le rythme est aujourd’hui efficace. Ces deux lignes sont l’appui principal des mobilités quotidiennes. Elles nous feraient presque oublier qu’une autre voie relie la capitale départementale à la mer : le canal d’Ille-et-Rance qui serpente en flirtant avec la voie ferrée au départ de Rennes, rejoint l’axe routier qu’il suit sur le secteur rural, avant de faire un détour à l’ouest sur Dinan où il rejoint la Rance. Ces voies forment un faisceau autour de l’axe routier. À l’Est, la voie ferrée s’en éloigne en intégrant les deux villes historiques de Combourg et Dol-de-Bretagne. À l’Ouest, le canal rejoint Dinan. Hasard symbolique ? C’est la ligne du canal – poétique, ludique et touristique – la moins efficace en termes de trajet, qui récupère Dinan à cet ensemble : partie du département des Côtes d’Armor que la Rance sépare de l’Ille-et-Vilaine, Dinan est marginalisé par la fracture administrative qui peine à l’intégrer à des logiques territoriales entre Rennes et Saint-Malo d’une part, et sur le triangle Dinard/Dinan/Saint-Malo d’autre part. Pourtant, compte tenu de ses équipements (hospitaliers, scolaires, sportifs et culturels), et plus proche de l’axe routier que Combourg et Dol-de-Bretagne, Dinan est le pôle d’appui le plus solide entre les deux villes de Rennes et Saint-Malo. Dinan est aussi le centre de jonction des 3 transversales Est-Ouest qui ponctuent le parcours. Ce sont, du Nord au Sud, ce qui est aussi un classement par ordre d’importance :
* La RN 176 de Dinan à Dol-de-Bretagne, grand transit vers la Normandie qui coupe la RD 137 au sud de Châteauneuf.
* La route historique de Dinan à Dol-de-Bretagne qui n’est reliée à la RD 137 que par un échangeur incomplet.
* La route de Dinan à Combourg qui recoupe la RD 137 à Saint-Pierre-de-Plesguen.
Structuré par les lignes, il se dessine ici un faisceau cohérent en termes d’observation de territoire, car intégrant les pôles d’appui que constituent les villes historiques situées entre Rennes et Saint-Malo.
Le terme de « Pays » représente aujourd’hui une armature politique du territoire. Il s’attribue aussi à une « région géographique plus ou moins nettement limitée considérée surtout dans son aspect physique », définition qui pour être floue nous ramène à un aspect non négligeable : à savoir l’imaginaire d’une entité géographique cependant objectivement dominée par des caractéristiques fondatrices. Entre Rennes et Saint-Malo, on perçoit dès un premier abord des ensembles bien différenciés si on les considère à la fois sur des caractéristiques paysagères et sur leur appartenance au système métropolitain.
* Au nord de Rennes, sous l’influence de la ville, on peut définir l’archipel rennais comme « pays urbain ». Autour de la route, il est marqué par des secteurs d’activité – la « route du meuble » et « Cap Malo » qui, à La Mézière, constitue le dernier grand pôle d’attraction de la métropole rennaise. Côté voie ferrée, Montreuil-sur-Ille, que le TER situe à 20 minutes de la gare de Rennes peut être considérée comme limite du périurbain en termes de commune résidentielle attachée au pôle d’emploi rennais.
* Sous l’influence de Saint-Malo : le « pays maritime » correspond à la couronne résidentielle de la cité corsaire. Jusqu’à Châteauneuf, ce secteur s’étire le long des rivages de la Rance maritime qui, à Plouër-sur-Rance, laisse place à la Rance fluviale.
* Au sud de Châteauneuf, les deux routes de Dinan à Dol-de-Bretagne, dont l’une appartient au réseau d’intérêt national, déterminent un secteur d’activité entre leurs croisements avec l’axe entre Rennes et Saint-Malo. Il s’étend sur la commune de Miniac-Morvan autour de l’ancienne route départementale.
* Entre ces deux secteurs actifs sous l’influence des deux agglomérations, deux types d’environnement « naturel » subsistent : un secteur forestier qui se situe dans le triangle Dinan/Combourg/Dol-de-Bretagne, et un pays rural, marqué par l’agriculture entre Saint-Pierrede- Plesguen (qui marque la jonction vers Dinan) et le pays urbain de Rennes. Ce sont des zones d’ombre en termes d’équipements et d’emploi.
Les secteurs qui bénéficient moins des dynamiques induites par les supports de mobilité, ou les entités protégées comme la forêt, sont des « zones d’ombre » en termes d’urbanisation qui rompent la linéarité. Il en est ainsi de la forêt mais aussi du secteur autour de Dingé qui répond à une armature qui lui est propre.
Après Montreuil-sur-Ille, la desserte ferroviaire est plus lâche. L’arrêt de Dingé, simple halte, est desservi à une fréquence plus faible que les communes périurbaines ou urbaines. La distance s’allonge entre les gares en maintenant des vides d’urbanisation entre les centres. Jusqu’à Saint-Malo, seules les deux villes historiques de Combourg et de Dol-de-Bretagne seront desservies par le train.
Dans le secteur forestier et le secteur rural, les entités paysagères et la structure routière secondaire fracturent de façon beaucoup plus radicale le processus d’urbanisation.
Ainsi, autour de Dingé, l’activité rurale demeure très présente. Le centre communal n’a pas de lien direct avec la gare qui porte son nom mais dont il est éloigné de 2 km. Des routes secondaires convergent vers le centre de Dingé, révélant d’anciennes structures routières que l’on peut qualifier de rurale si l’on se souvient que le village est convergence des chemins. Ici la direction Nord-Sud n’est plus celle des routes organisées sur le réseau en étoile et peu différenciées par leur dimension : on se perd plus aisément dans ce maillage routier. La fréquence du trafic est moins forte : le silence s’établit. L’armature des routes à laquelle s’ajoute l’éloignement des axes de transport confèrent au territoire de Dingé une forte caractéristique rurale : à l’appui du respect de l’activité agricole, elle mériterait sans doute d’être préservée.
Le territoire de Dingé paraît ainsi constituer un « angle mort » à l’intérieur du faisceau, terme auquel nous préférerons le mot de « bulle » qui nous semble mieux définir l’aspect positif de cette polarité rurale.
Le tracé de la quatre-voies RD 137 est récent. Ses derniers tronçons n’ont été ouverts que dans les années quatre-vingt-dix. La voie rapide a suivi globalement en parallèle la route historique suivant l’axe nord-sud le plus direct entre les deux villes de Rennes et Saint-Malo, en contournant les centres à faible distance. Entre Vignoc et Châteauneuf, les agglomérations se situent à une distance qui n’est jamais supérieure à 600 m de la route.
À l’Est de cet axe routier, une suite de centres très rapprochés se succèdent le long de la route historique. On y est partout relié à Rennes en moins de 30 minutes et à Saint-Malo entre 30 et 40 minutes. Support efficace des déplacements, la voie rapide engendre aussi un autre effet. À faible distance des lieux habités, sa présence s’impose aussi à l’esprit : le bruit de fond du trafic, des aperçus sur la route font ici sentir le lien extra-communal de façon permanente.
L’urbanisation s’y développe autour de lieux extrêmement différents parmi lesquelles on trouve une déclinaison pratiquement complète des différentes typologies historiques : du village (Pleugueneuc, Trévérien, par exemple) à la cité (Hédé).
Accrochés à une route régionale majeure, ces centres communaux ont précédemment connu un développement linéaire suivant la voie qui les traversait : ce depuis le 19e siècle, grande période de rénovation des routes, aussi l’époque de la libéralisation de l’implantation commerciale jusqu’alors strictement confinée aux villes et bourgs à l’exclusion des villages. Saint-Domineuc en est l’exemple par excellence : il y a création d’un nouveau bourg au 19e siècle. Il se forme de façon linéaire le long de la route.
Lien, la voie rapide routière est aussi une frontière qui contient sur une face l’extension de l’urbanisation des centres communaux par ailleurs très proches les uns des autres (3 km entre centres de Saint-Pierre-de-Plesguen à Saint-Domineuc, 5 km- plus grande distance- entre Saint-Domineuc et Tinténiac). À terme, cela pourrait laisser présager un mode de développement de l’urbanisation sous forme d’une linéarité globale entre Hédé et St-Pierre-de-Plesguen.
Le long de ce parcours « rural », trois ensembles méritent l’attention : au pied de la côte de Hédé, Tinténiac se rattache au maillage régulier des centres de la seconde couronne rennaise. Le croisement de la route et du canal dispose d’un potentiel de découverte du pays rural en longeant le canal à partir de la route. De Saint- Domineuc à Saint-Pierre-de-Plesguen, un réseau serré de centres, maillés par les échangeurs est caractérisé par sa proximité aux villes de Dinan et Combourg situées à une dizaine de kilomètres. Les populations mobiles qui les habitent y optimisent de plus en plus leurs trajets par le covoiturage.
Toute ligne génère une urbanisation qui peut bénéficier d’une collectivisation du transport. C’est aujourd’hui une donnée bien intégrée à partir des lignes ferroviaires. Cela l’est moins en secteur diffus à partir des routes. Et chaque commune se développe de façon autocentrée.
Le développement de l’urbanisation par extension concentrique à partir des villages ou des bourgs procède d’une réflexion qui pose l’ancien centre communal comme le lieu qui rassemble les populations. Or qu’en est-il aujourd’hui quand l’église qui en faisait le coeur ne rassemble plus, quand le café rural n’est plus fréquenté par des personnes qui se déplacent en voiture – lutte normale contre l’alcoolémie au volant oblige ? Surtout, quand le commerce désormais est concentré dans la « supérette », toujours une boîte métallique édifiée en limite communale. On s’y rend en voiture : aucune urbanisation en secteur diffus ne tient compte de ce lieu comme point central donc intégré au développement urbain au sein de secteurs habités au plus proche. Or si le commerce de périphérie est point central en limite communale, ne devient-il pas centre entre les communes, générant le long des lignes une urbanisation qui s’étire d’un centre à l’autre ? Ne reste-t-il pas aujourd’hui à se réinterroger sur ces nouvelles donnes qui mettent en cause les raisonnements courants fondés sur l’usage de l’automobile depuis plusieurs décennies ? Admettre l’idée des déplacements sur longues distances entre résidence et lieu du travail en optimisant pour les transports partagés – public ou covoiturage – mais tout faire pour réduire le déplacement automobile local. Les lignes entre les villes qui concentrent l’emploi – voies ferrées mais aussi voies routières rapides – supportent les enjeux majeurs d’une urbanisation à venir. Les cartes de croissance démographique mettent clairement en évidence ce phénomène. Y favoriser une urbanisation dense par rapport aux communes situées en retrait des lignes peut constituer un choix qui permet d’un côté de fédérer les trajets et de l’autre de respecter au mieux les secteurs ruraux en arrière-plan. Les formes linéaires de l’urbanisation qui ont fait l’objet de processus « naturels » au 19e siècle, également théorisées depuis cette époque, pourraient ainsi être repensées dans le cadre d’une planification régionale du développement de l’urbanisation.