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Histoire & Patrimoine
#22
Alexandre Guidet (1843-1910) Un ingénieur de la modernité
RÉSUMÉ > Les ingénieurs ont joué un rôle essentiel au 19 e siècle dans la diffusion de nouvelles techniques et l’emploi de nouveaux matériaux sur le territoire. Alexandre Guidet est parmi ceux-là. Arrivé à Rennes en 1885, il y construit, pour une clientèle de négociants, d’avocats et d’entrepreneurs, un ensemble d’hôtels particuliers en ciment moulé dans le goût éclectique de la fin du 19 e siècle, ainsi que le beau magasin Valton de la rue d’Antrain, témoin de sa modernité.

     Alexandre Guidet est né à Saône (Doubs) le 19 janvier 1841 d’un père cultivateur. Après un parcours dans l’administration, il se lance dans la construction pour les particuliers. Nous ne connaissons pas sa formation, mais un peu mieux son parcours professionnel. Nous savons qu’il a commencé à travailler comme chef de bureau de l’administration départementale de la préfecture de la Savoie de 1866 à 1869. L’année suivante, il quitte Albertville pour Besançon où il est chargé du service des bâtiments et machines à l’Arsenal durant sept années. De 1877 à 1880, il est architecte-ingénieur de la ville d’Autun. Puis, de 1880 à 1882, il est ingénieur-directeur pour l’étude de la construction de l’usine Propter à Fontaine-le-Port (Seine-et-Marne).

     Sans doute par le jeu des mobilités du personnel de l’administration, Guidet se retrouve nommé inspecteur des travaux diocésains de Vannes le 28 juillet 1884. Il a en charge les chantiers de restauration des Monuments historiques du département.
     Peu après son arrivée, Paul Gout, architecte diocésain, se plaint le 17 janvier 1885 que Guidet ait adressé directement au préfet un rapport sur la restauration de Saint-Gildas-de-Rhuys. Il poursuit en indiquant que « depuis son entrée dans le service, cet agent n’a accompli sa mission qu’avec une originalité et une indépendance d’allure inconcevables. Il n’est nullement soucieux de se conformer à mes instructions, poussant la présomption jusqu’à vouloir introduire des réformes dans le service»1. Cette plainte, qui dévoile un peu du caractère et de l’ambition de Guidet, fragilise sa position. Bien que le préfet ait tenté de minimiser l’affaire, l’ingénieur doit quitter sa fonction deux mois plus tard.

     Guidet arrive à Rennes au printemps 1885, mais il ne semble pas obtenir de chantier avant le début des années 1890. Il loge tout d’abord avec son épouse dans un petit immeuble au 12 rue de Châtillon (démoli). Il se présente comme « ingénieur civil » et dispose, d’après l’annonce qu’il fait paraître dans les annuaires de l’époque, d’un « bureau d’architecture et d’études industrielles ». Fort de son expérience, Guidet introduit à Rennes une méthode de construction préfabriquée en terre cuite armée, « procédé moderne et industriel par excellence».
     Ce système met en oeuvre de vastes pièces de terre cuite moulées en série, armées de fil de fer lors du moulage afin d’augmenter leur solidité. Ce façonnage s’apparente au béton armé mais ne s’applique qu’à des éléments rapportés (baies, balustrades, corniches…) et non à la structure. Il n’est alors que peu utilisé en France. Les représentants de l’Art nouveau l’utiliseront quelques années plus tard par la mise en oeuvre du grès flammé, intéressant pour sa polychromie.
     Avec ce système, Guidet attire une clientèle issue de la moyenne bourgeoisie, à la fois curieuse de cette nouveauté technique et séduite pour sa facilité de mise en oeuvre. La haute bourgeoisie est en revanche moins encline à l’utiliser, comme l’indiquent les commandes de l’ingénieur.

     Guidet utilise ce procédé dans l’hôtel Galicier (6 place Hoche), réalisé entre 1893 et 1895 et récemment restauré. Avec ses parois en maçonnerie masquées d’un enduit de ciment à faux-joint, cette demeure néogothique, disposant d’une haute toiture, d’une tourelle abritant l’escalier et d’un grand pignon, domine le nord de la place.
     Le système et le vocabulaire utilisés ici se déclinent dans plusieurs oeuvres qui peuvent être attribuées à l’homme de l’art, comme l’immeuble du 13 rue Joseph-Sauveur, l’hôtel du 20 rue Thiers (vers 1895), ou encore la demeure de l’entrepreneur et futur maire de Rennes Jean Janvier (maire de 1908-1923) réalisée vers 1890 (16 rue Dupont-des-Loges).
     Ces deux dernières oeuvres présentent également des tours d’angle hors-oeuvre couvertes en poivrière.
     En parallèle, il use d’un puissant répertoire classique, comme dans l’hôtel Malapert (1895), au 6 rue de la Motte-Picquet, alliant un majestueux fronton et des pilastres ioniques colossaux. Cette touche classique se retrouve dans l’immeuble Laisné au 1 place de la Gare, mais aussi sur les deux hôtels qu’il établit quai Richemont au début du 20e siècle.
     Près de ces derniers, Guidet construit également, sous les habits de l’hôtel particulier, une manufacture d’articles pour fumeurs, à l’angle de la rue Joseph Sauveur et du quai Richemont. Il use d’un vocabulaire décoratif plus discret, ajouté de manière un peu artificielle, avec un travail en bossage et des larmiers à culots au-dessus des baies cintrées du rez-de-chaussée. Sur l’angle, il dégage de longues baies ouvertes grâce à des colonnettes de fonte et des poutres de fer riveté, soulignées par des balcons d’une étonnante modernité.
     Dans toutes ses oeuvres, Guidet dessine ses façades avec rigueur. L’usage de toits-terrasse, de planchers en béton armé et l’habillage en terre cuite armé témoignent de sa modernité. Le décor, parfois sciemment exagéré, est toutefois relégué au second plan pour souligner la structure. La décoration des hôtels, qu’il érige en grande partie dans le quartier dit de la Californie, manifeste de la part des classes dominantes un attachement à la culture classique. Parallèlement à ces réalisations, son oeuvre-phare à Rennes va lui permettre de donner toute la mesure de son talent.

Un programme de choix, les magasins Valton

     Entre 1896 et 1898, il est chargé de la construction des magasins Valton (9 rue d’Antrain). Guidet y reprend les matériaux de prédilection de l’ingénieur, la fonte et le fer qui lui permettent de dégager un maximum de surface tout en apportant de la lumière. Le dernier étage, réservé à l’habitation, est en maçonnerie. Il se pare d’un gracieux décor de mosaïque d’Odorico père entourant les baies cintrées. Une représentation de Mercure en hautrelief, tenant une banderole au nom du propriétaire, vient renforcer l’ornementation de la partie haute de ce magasin, dont la façade vitrée était autrefois coupée de deux balcons continus (il ne reste aujourd’hui que celui de la partie supérieure). Dix ans plus tard, en 1908, Guidet se voit confier le chantier de l’arrière du magasin rue Bonne-nouvelle où il reprend l’utilisation de poteaux de fonte en façade associés à des plaques de verre émaillé, donnant à son bâtiment une allure étonnante. Ce commerce a fait l’objet d’une belle réhabilitation en 2007 qui a permis de mettre en valeur les éléments de structure et de décor du bâtiment.
     Guidet, qui aurait également construit des immeubles près de la gare à Saint-Malo, réussit à satisfaire la moyenne bourgeoisie cherchant à se loger dans les marges du centre ancien en proposant des solutions modernes et vigoureuses dans le dessin, mais aussi empreintes de tradition classique. Il s’éteint à Rennes, le 12 avril 1910, au cours de son dernier chantier, rue Bonne-Nouvelle, après un quart de siècle d’activité dans la ville.