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Histoire & Patrimoine
#22
RÉSUMÉ > La vie des Rennais au travers d’une photo d’archive. Tel est l’objet de cette rubrique lancée dans notre numéro de mai-juin 2012. Après la mise à sac de « Ouest-Matin » en 1956, les explosions d’août 1944 sur la Vilaine, le colleur d’affiches du boulevard de la Liberté dans les années 60, la rue Le Bastard dans les années 30, la Fête des Fleurs en 1907, voici une image du public du Stade Rennais en 1963, signée Charles Barmay.

     Chroniqueur photographique attentif de la ville de Rennes et de sa population, Charles Barmay nous a laissé de nombreuses images des spectateurs des matchs de football du Stade rennais. Bien plus que le spectacle sportif vers lequel convergent tous les regards ou presque, c’est celui que peut offrir le public qu’il a toujours privilégié dans des compositions soignées où se dévoile son intérêt pour les gens et les moments du quotidien. 
     Ici, la photographie est prise à l’occasion du match qui oppose Rennes à Saint-Étienne, le 1er décembre 1963, dans le stade de la route de Lorient, inauguré en 1912. On y voit en arrière-plan une partie de la tribune principale, issue des travaux de réhabilitation du stade qui ont scandé les années 1950 et modernisé cet important équipement sportif. L’immense couverture de la tribune, qui protège efficacement les spectateurs des pluies fréquentes en cette saison, marque de sa masse sombre la partie supérieure de la photo tandis qu’une rambarde, surmontant un mur en béton, clôt l’espace de la tribune et sépare le public en deux parties distinctes. Accueillant un spectacle authentiquement populaire, le stade de football n’en opère pas moins dans son agencement un certain découpage social entre le public assis sous la tribune et celui qui, en dessous, reste debout durant le match.
     C’est sur cette partie du public que Charles Barmay a centré son attention et plus particulièrement sur un groupe de religieuses qui, à l’évidence, accompagne un groupe d’enfants à cette compétition sportive. Deux d’entre elles notamment occupent une place centrale dans la photographie. La blancheur de leur cornette, qui dissimule une partie de leur visage, se détache en effet, de manière saisissante, du reste de la photo, contrastant avec la masse sombre de leur robe rehaussée par un châle noir qu’elles portent sur leurs épaules pour se prémunir du froid. La singularité de l’habit religieux, corrélative d’une volonté de nette séparation entre le monde des clercs et celui des laïcs, reste encore très forte dans la société française de ce début des années 1960 avant que les décisions du concile de Vatican II, qui vient de s’ouvrir à Rome, n’entraînent de substantielles modifications. Pour autant, leur présence ne semble guère susciter d’intérêt si l’on excepte le regard vaguement circonspect que jette sur la scène un homme en imper, portant chapeau, légèrement en retrait.
     Aux côtés des religieuses se trouvent donc de jeunes enfants, chaudement vêtus, dont on ne distingue pour certains que la pointe de la capuche sombre de leur manteau. D’autres, au premier plan, regardent l’objectif du photographe d’un oeil interrogateur parmi lesquels un, plus jeune, résolument tourné vers le photographe esquisse un léger sourire. Leur présence aux côtés des soeurs de Saint Vincent de Paul, autrement appelées Filles de la Charité, laisse présumer des origines très modestes. Comme souvent, dans les photographies de Charles Barmay, la figure enfantine, récurrente, projette un regard plein de curiosité et d’interrogations sur le monde environnant. Regard des enfants, regard du photographe mais aussi regard des spectateurs que nous sommes.