« Surveiller bien les jauges de thé… attention les tajines doivent être chauffés à petite dose… vous verrez, il y a une heure et demie de coup de feu intense. Si vous avez besoin de grignoter, de boire un verre d’eau, faitesle… ». Sur la table, le millier de feuilletés est prêt à être servi. Depuis six ans, avec la poigne d’une battante et une attention toute maternelle, Fatima Sabr est sur le pont, accompagnée des bénévoles en charge de restaurer les convives du Festival Rue des Livres. Un festival organisé par l’Atelier culturel de Maurepas avec les habitants du quartier. Leur accompagnement attentif donne de la saveur à l’événement. Preuve en est l’implication de l’association Aides aux familles de la Vallée du Dadès-Bretagne que Fatima a créée en 2004.
« J’ai commencé par préparer les repas de la Quinzaine de voisinage de Maurepas. Je me suis dit que si j’étais capable de servir 500 repas, pourquoi ne pas continuer. » Depuis, elle concocte de petits plats marocains pour les fêtes familiales ou associatives. Ses enfants, sa mère et les amis l’accompagnent, tous bénévoles. L’objectif est simple: « Par les fonds collectés, nous venons en aide à la population de la vallée du Dadès, au Maroc, en particulier pour soutenir la scolarisation des filles. C’est pour moi une façon de soutenir ceux que j’ai laissés derrière moi ».
Avec émotion, Fatima mesure le chemin parcouru: « La jeune fille de 15 ans qui est arrivée à Rennes dans le cadre du rapprochement familial a connu le choc des cultures; elle n’avait jamais été à l’école. Aujourd’hui à 44 ans, mère de quatre enfants, elle est fonctionnaire au Rectorat ! » Elle ajoute: « J’ai la chance d’être dans un pays comme celui-ci ; il faut arrêter de taper dessus sans arrêt. Tout est possible quand on le veut. J’ai grandi dans ce quartier. Je connais les valeurs du partage. Pour faire tomber les préjugés, il faut apprendre à se connaître, créer du lien entre les générations et les voisins. C’est le sens de mon engagement ».
Marché alimentaire aux parfums d’épices orientales, bric-à-brac où les couscoussiers et les théières rutilent et les tissus chatoient… le samedi matin au Blosne, la place de Zagreb est lieu de tous les métissages.
Parmi la centaine d’exposants, Clémentine vend des tissus africains aux couleurs bigarrées et chaudes, des parures et des bijoux. « Je faisais déjà ça dans mon pays. Il y a trois ans, j’ai décidé de monter mon affaire, c’est tellement difficile de trouver du travail ». Originaire du Congo-Brazzaville, elle est arrivée à Rennes, il y a vingt ans. Elle vit à Maurepas. Aujourd’hui, les affaires sont moins souriantes que son rire: « On voit bien que les gens n’ont pas beaucoup d’argent ». Une jeune femme se laisse tenter par une paire de Créoles. « Oui… elles te vont bien! ». Marché conclu.
À deux pas de là, Tcha Mi propose ses choux aux chalands. « Vas-y, choisis ! ». Hmong, elle est arrivée en France en 1979. « Je mange la moitié et je vends la moitié. Je cultive sous des tunnels, près de ma maison à Châteaugiron. C’est un travail difficile qui fait mal au dos et aux jambes… » Cresson, menthe, mâche… la vente est saisonnière. « Nous ne sommes plus que trois familles Hmong à vendre sur le marché. Avant, nous étions beaucoup plus. » Cuit à la vapeur ou sauté, le chou dit « chinois » a fait son entrée en diététique et en cuisine. Plus personne ne s’étonne de sa présence sur les étals.
Dans le hall du Triangle, les familles s’affairent. L’Association d’Entraide des Travailleurs Turcs, l’AETTR, et l’association Rumi, « centre culturel turc » créé à Rennes en 2012, proposent un spectacle de derviches tourneurs. « L’amour universel » est pour une vague que le sema, danse en rotation, incarne. « Nous souhaitons faire découvrir à nos amis bretons, un morceau de notre culture d’origine. Les musiciens et danseurs sont en tournée dans la région et viennent de Konya, en Turquie. Ce programme est exceptionnel », expliquent les organisateurs.
Cette ville d’Anatolie, région d’origine de nombre de ressortissants turcs rennais, est le berceau du soufisme et de l’ordre des dervisches tourneurs fondé au 13e siècle par Celaleddin Rumi dit Mevlana. « Ce poète et philosophe est pour nous un symbole de tolérance et de paix ». Pour l’occasion, Beyza et la jeune Ayse offrent les pâtisseries, aux amandes, pistache, sirop et pâte feuilletée… préparées par les femmes : kurabiye, baklava, lakul, lakum, ekerpare…
« Nous voulons promouvoir un dialogue interculturel et créer des échanges. Par exemple, pour la nouvelle année musulmane, nous apportons la Choula, un gâteau traditionnel, aux paroissiens de Saint-Benoît. Pour accueillir le public, Muhammed et son frère Mustafa ont revêtu le kirka, ce haut chapeau en poil de chameau, et la sikka, la veste noire. Sur scène, les compositions vocales et musicales du ayi hypnotisent l’auditoire. Un petit film explicatif présente l’histoire des Mevlevis, cet ordre ascétique soufi. En 2005, la cérémonie mevlevi sema était consacrée chef-d’oeuvre du patrimoine culturel immatériel par l’Unesco. La main droite levée vers le ciel et la main gauche tournée vers la terre, le temps est suspendu par le mouvement précis de la danse, dans un dialogue subtil entre l’ici et l’ailleurs.
« Au début, nous ne nous connaissions pas. Un jour, une fille rencontrée à la Ré nous a proposé de faire de la danse à la Maison Verte, à Villejean. C’est comme ça que tout a commencé ». Si Manicah, Amjnata, Soukamba, Lydia et Eva ont leurs racines familiales aux Comores, en Guadeloupe, en Guinée, elles cultivent l’art du métissage des danses dites « urbaines » où les figures sont multi-couleurs. Incontournables sont les battles pour asseoir la reconnaissance des pairs : « Il existe beaucoup de breakers garçons à Rennes. Nous sommes le seul groupe féminin. C’est dommage! Pour les battles, nous devons nous rendre à Brest pour rencontrer nos homologues féminins. »
Et le regard des garçons ? « Ils nous respectent car nous avons fait nos preuves. Ils ont compris que nous allons au-delà d’un groupe de filles qui bougent les fesses. » Chacune a sa spécialité: Manicah pratique le coupé-décalé; Soukamba, le hip-hop; Eva et Lydia la danse soul et Amjnata, le hip-hop et la danse contemporaine. « Nous répétons deux fois par semaine à la Maison verte, à la Marbaudais ou au Cercle Paul-Bert des Gayeulles où nous donnons des cours ».
En 2012, ces étudiantes ont créé le groupe les Diva Dinasty pour proposer leurs chorégraphies: « Nous échangeons nos gestes et nos manières de danser. » Désormais, elles aimeraient se professionnaliser : « Ce qui nous manque est un manager ». Le groupe se produit à Rennes: au 4 Bis, aux Quartiers d’été par exemple. « Nous faisons aussi des spectacles à Paris et participons à des clips ». Les Divadinasty ont tourné le leur à la Courrouze. Mouvements rythmés, bassin mobile, épaules libres, jambes toniques… les figures se croisent, se décalent, se conjuguent solaires dans leur énergie d’origine.
Vasco, Bruno, Marco, Tonio…
Tous en « o »?
Oui, mais on n’est pas bien haut !
Sur le stade de Cleunay, Vasco saisit la balle au bond, l’humour est fidèle au rendez-vous du mercredi soir, jour d’entraînement de l’équipe de football de l’AS portugaise de Rennes. « Sur les 27 joueurs, il y en a six de ma famille, mes frères et mes cousins », explique José, capitaine de l’équipe. « Il y a des Portugais de la montagne du nord, de l’Aveiro… mais aussi des Français, un Tunisien et un Italien ». Tous défendent les couleurs du Portugal, sur le terrain, en D3, ou en salle, en D2. Ici, chacun mouille son maillot, rouge comme celui de la FPF, Fédération portugaise de football, reconnaissable à son emblème: « la croix de l’Ordre du Christ ».
En bordure du terrain, Françoise observe l’entraînement: « C’est notre dirigeante. Elle s’occupe des papiers du club ». À ses côtés, le président, José Da Costa, est reconnaissable à son couvre-chef. Celui-ci s’installait à Rennes, au milieu des années 70, pour travailler dans le ravalement. « En 1982, j’ai débuté dans l’équipe comme joueur, mais aussi vice-président. Nous sommes allés jusqu’en 1re division. Il y a eu ensuite plusieurs périodes de mise en sommeil ». En 2003, il relançait l’association sportive et prenait la présidence: « C’est une équipe portugaise qui réunit les amis venus de tous les pays ! ».
Se retrouver la balle au pied pour défendre les couleurs du pays n’est pas rare. Sur les 56 clubs rennais affiliés au District de football d’Ille-et-Vilaine, citons la Mam Tre, équipe vietnamienne; l’Armaure FC, équipe Bretagne- Maroc; Rennes Anatolia, équipe turque; Rennes Hmong Espoir et le Soleil Levant, équipe kurde.
Mamans et enfants sont sur leur trente et un. Mercredi 10 avril sonne le début de l’année scolaire pour les 39 élèves de l’’École complémentaire japonaise, agréée par l’État japonais, et hébergée au sein du collège Anne-de- Bretagne. Une entrée dans la vie sociale introduite par une traditionnelle cérémonie: « C’est un temps très fort pour les familles. Une célébration de style anglais plutôt solennelle, pour marquer le début de l’année scolaire, début avril, et la fin de celle-ci, mi-mars ». C’est aussi la première rentrée d’Aki Tiron, la nouvelle directrice. « J’enseigne ici aux enfants de maternelle depuis cinq ans ». Quatre enseignantes se partagent les classes de cette école du mercredi. Associative, celle-ci est financée à parité par l’ambassade et les entreprises japonaises Canon et Sanden. Fondée en 1985, au départ elle devait répondre aux besoins des couples expatriés.
Au fil du temps, les enfants franco-japonais se sont fait plus nombreux. « Cette année, nous avons 23 enfants Franco-japonais ». Unique structure de ce type dans le Grand-Ouest, certaines familles viennent de Quimper ou de Nantes. « L’an prochain, avec l’école le mercredi matin, ces familles ne pourront plus conduire leurs enfants à Rennes ». Un temps important pour ces enfants qui apprennent ici la langue japonaise. « Il n’y a aucun programme en maternelle, mais les élèves se familiariseront avec les 100 lettres de l’alphabet. À partir du CP jusqu’à 15 ans, ils devront apprendre les 2 000 idéogrammes de notre langue ».
Les nouveaux inscrits ont pris place au premier rang. Discours de bienvenue, hymne national, chant de l’école composé par la fondatrice, texte de remerciements lu à l’adresse des enseignants par un élève… la cérémonie s’est achevée par une non moins traditionnelle séance photographique. En signe d’encouragement, Aki Tiron a tenu à lire aux élèves un ancien proverbe qui pourrait être traduit ainsi: « Pour faire 4 000 km, il faut toujours faire le premier pas ». En un mot « Il faut savoir persévérer dans son travail! ».