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Entretien
#14
RÉSUMÉ > Les Trans Musicales de Rennes se tiendront du jeudi 1er au samedi 3 décembre. Il y a 33 ans que cet événement phare de la vie rennaise et de la notoriété de la Ville brille de tout son éclat. Béatrice Macé, trésorière puis administratrice de cette aventure musicale depuis l’origine s’exprime dans Place Publique. Avec Hervé Bordier et Jean-Louis Brossard, elle fit partie du collectif qui créa les Trans. Elle est toujours là, en duo avec Jean-Louis Brossard. Aujourd’hui, elle nous raconte la genèse estudiantine de ce qui était au départ de simples rencontres rock, et comment un simple concert rennais devint festival international. En trois décennies, les Trans Musicales n’ont cessé d’inventer, créant notamment dans la ville une géographie en perpétuel mouvement.

PLACE PUBLIQUE > Béatrice Macé, vous êtes administratrice des Rencontres Trans Musicales de Rennes et faisiez partie de ses fondateurs, en 1979. Comment votre parcours a-t-il rencontré celui du festival?

BÉATRICE MACÉ > Comme beaucoup d’étudiants rennais. Comme Jean-Louis Brossard , je n’étais pas Rennaise. Je suis née en 1958 et je suis arrivée en 1975 à Rennes, après le bac. Je suis arrivée de Dinan pour poursuivre des études de latin-grec, histoire de l’art et finalement de linguistique. Je n’ai achevé mon master… qu’il y a deux ans. En 1977 je suis entrée dans l’association Terrapin qu’Hervé Bordier, alors disquaire à Disques 2000, avait créée pour organiser des concerts. 

PLACE PUBLIQUE > Pas uniquement passionnée de musique?

BÉATRICE MACÉ >
Mon intérêt pour la musique n’était pas premier. J’ai une culture totalement classique. J’ai découvert le rock, les Doors, Hendrix, quand j’étais lycéenne. On était toutes pareilles, avec mes amies de Dinan. On se demandait où était la vie magnifique et excessive que nous aimerions expérimenter ?

PLACE PUBLIQUE > Votre motivation pour rejoindre l’association?

BÉATRICE MACÉ >
Mon intérêt allait surtout vers les contrecultures. Les créateurs des Trans sont tous nés dans les années 1950. Nos quotidiens d’ados de l’époque étaient formatés par un rigorisme non expliqué. Il fallait reproduire le modèle de cette société, même s’il était ressenti comme injuste. Cela a modelé le geste, l’esprit des Trans Musicales: s’intéresser à l’inconnu - ce n’est pas parce que c’est inconnu que ce n’est pas bon -, demander la confiance. C’est une revendication de liberté. La culture, et l’art n’en est qu’une partie, permet à la personne d’exister en tant que personne et, au-delà de la personne, en tant qu’individu social. Pour moi l’engagement culturel est une posture de vie. Je venais d’une lignée familiale de chefs d’entreprise et de fonctionnaires, Jean-Louis Brossard d’une famille de médecins. Chacun a dit non à son milieu et a déclaré une année zéro.

PLACE PUBLIQUE > Vous êtes l’administratrice des Trans. Un rôle que vous avez joué dès le début ?

BÉATRICE MACÉ >
J’étais trésorière de Terrapin. Dans l’association, les filles s’occupaient de la partie « concrète ». Mais c’était un vrai collectif : on faisait aussi les collages d’affiche et on poussait les caisses. Très rapidement, notre vie a tourné autour de l’association. La fac devenait une activité secondaire. Notre vie était tournée sur ce qui nous faisait plaisir. Pas pour le simple plaisir. Mais pour devenir ce qu’on voulait être.

PLACE PUBLIQUE > Quand est née l’idée d’un festival ?

BÉATRICE MACÉ >
Les Rencontres Trans Musicales 1979 n’étaient pas un festival mais un concert de soutien à Terrapin, dont les finances étaient un peu flageolantes. Ce devait être un événement éphémère. Elles se sont tenues en juin. Ce qui fait qu’aucun d’entre nous n’a vraiment passé ses examens de fac cette année-là. On côtoyaient tous les groupes de Rennes qui ont participé aux concerts. Il y avait un sentiment évident qu’on était tous ensemble. Une ambiance « familiale ». Les groupes n’étaient pas très reconnus. Il y avait un intérêt mais pas de reconnaissance.

PLACE PUBLIQUE > Pour ce premier festival, chacun donnait ce qu’il voulait à l’entrée. Ça a marché?

BÉATRICE MACÉ >
Oui, environ 20 000 francs. À l’époque, il y avait une revendication forte pour la gratuité des concerts. Nous avions placé un carton de packs d’eau à l’entrée et chacun cotisait. Mais sur la porte était affiché le budget du concert. On montrait qu’il y avait prise de risques. Même si les musiciens, comme nous, étaient bénévoles. Même si les boîtes de son et de lumière nous avaient facturé les prestations les moins chères possibles. Et le public est venu.

PLACE PUBLIQUE > Il y a eu un écho dès cette première édition?

BÉATRICE MACÉ >
Hervé (Bordier), qui était manager de Marquis de Sade, a demandé à Thierry Haupais de venir. Il était journaliste à Libération et patron du label CBH. Ça a été un coup double. Il a signé Marquis de Sade sur son label et a écrit un papier dans Libération. Sans que nous l’ayons prévu, les Trans avaient déjà dépassé ce qu’elles devaient être.

PLACE PUBLIQUE > Logique de recommencer l’année suivante, donc?

BÉATRICE MACÉ >
Non. Il ne devait pas y avoir de Trans. Pas en juin, en tout cas, avec les examens. Dans mon souvenir, c’est à la rentrée, que les gens nous ont demandé pourquoi on ne recommençait pas. D’où le déplacement en décembre. En fait, chaque année, jusqu’en 1985, la question de faire ou non les Trans s’est posée. Pour la deuxième édition, on ne pouvait pas uniquement présenter les Rennais. On est allés chercher des groupes plus loin, à Brest et à Paris. Thierry Haupais, devenu directeur artistique du label Virgin, est revenu, a vu Etienne Daho et l’a signé. Ça a précipité un intérêt médiatique pour la scène rennaise.

PLACE PUBLIQUE > Qu’avait-elle de vraiment particulier, cette scène rennaise?

BÉATRICE MACÉ >
De 1980 à 1982, c’est l’explosion de la scène rennaise et française. La scène rennaise est vue comme un rock d’intellos. De gens qui s’intéressent à d’autres expressions artistiques que la musique. Je pense à Ubik et la science-fiction, aux Nus et Jean Genet, à Marquis de Sade et l’expressionnisme allemand. Des musiciens qui ont le souci des paroles. Une sorte de distance par rapport au modèle anglo-saxon brut incarné par d’autres villes comme Le Havre et Rouen. Sans que ce soit prévu, la singularité rennaise correspondait à la singularité que la municipalité voulait développer. L’image d’une ville de l’intelligence, ouverte aux chercheurs, aux nouvelles technologies, aux gens qui essaient de changer quelque chose.

PLACE PUBLIQUE > Les liens se tissent naturellement avec la municipalité?

BÉATRICE MACÉ >
Au début, pas vraiment. Il y avait eu l’émergence des Tombées de la Nuit en 1980, pilotée par la Maison de la culture. Les premières relations ont été un peu distanciées. On n’était pas dans leur schéma. Certains nous assimilaient même au show-biz, à l’industrie, alors que les Trans étaient un prototype d’artisanat. Pour le coup, je dois reconnaître l’intelligence de Martial Gabillard (l’adjoint à la Culture) et du maire Edmond Hervé, d’avoir très vite accepté que la vision qu’ils avaient de nous ne correspondait pas à la réalité des faits Ils ont accepté de changer de vision. À partir de 1984 (premières subventions officielles), le lien s’est noué et ne s’est jamais distendu. Quand il y a eu la grande crise de 1990, autour du crash financier de la Maison de la culture, le festival a été préservé. Le conseil municipal a épongé la dette de la Maison de la culture. En conséquence, d’autres projets n’ont plus été soutenus. D’autres festivals ont disparu. Mais les Trans ont été préservées.

PLACE PUBLIQUE > Justement, quand avez-vous eu le sentiment d’être un vrai festival ?

BÉATRICE MACÉ >
Quand Jean-Louis (programmateur) a commencé à franchir les frontières, nous nous sommes confrontés à des groupes moins « émergents ». En 1982, les Belges de TC Matic (groupe du chanteur Arno) était un groupe pro, avec un tourneur. Dans mon souvenir, je me rappelle d’un coup de fil. Jean-Louis explique au tourneur qu’on veut programmer TC Matic aux Trans, explique ce que sont les Trans. Au bout du fil: « Ah oui, alors vous êtes un festival, alors. ». Jean-Louis raccroche: « Il paraît que nous sommes un festival ». C’était nouveau. Dans Rencontres Trans Musicales de Rennes, le mot « rencontre » était fondateur. On n’utilisait pas le terme festival. J’aime le mot rencontre, cette idée que deux entités qui ne se connaissent pas prennent le risque d’être curieuses l’un de l’autre.

PLACE PUBLIQUE > Quand le projet Trans a-t-il pris le pas sur Terrapin?

BÉATRICE MACÉ >
En 1983, on avait tous des petits boulots. On commençait à s’égailler. On se retrouvait tous pour les Trans. Le fil conducteur avait changé. D’où l’idée de créer l’ATM (l’Association des Trans Musicales, créée en 1985), association de portage des Trans. Il fallait entrer dans la construction, se projeter dans le temps.

PLACE PUBLIQUE > Vous avez été moteur dans cette mutation?

BÉATRICE MACÉ >
Je n’ai pas participé à la mutation de Terrapin en ATM. Je suis partie pendant deux ans, m’occuper de groupes à Paris. Hervé Bordier m’a rappelée. Je suis rentrée en septembre 1986 et ne suis plus repartie. En une semaine, j’avais repris ma place. Trésorière… Le passage de Terrapin à l’ATM, c’est le passage de l’amateurisme à une association plus structurée. Même si on était encore bénévoles. C’est également le moment où Jack Lang lance « Coup de Talent dans l’Hexagone ». Il avait lancé une dé-hiérarchisation du corpus artistique, avec la mode et le design dans le giron du ministère. « Coup de Talent dans l’Hexagone », c’est le moment où les musiques actuelles deviennent une catégorie, encore petite, de l’intervention artistique. C’est l’introduction du rock dans les politiques publiques.

PLACE PUBLIQUE > L’Association était dirigée par une troïka. Hervé Bordier, Jean-Louis Brossard et vous. Comment se répartissent les rôles ?

BÉATRICE MACÉ >
Hervé avait toute la communication, les relations extérieures et la direction artistique. Jean-Louis a toujours été le programmateur. Ils travaillaient en duo. Moi, j’étais l’administratrice, toujours dans le concret, également en duo avec Hervé pour la relation avec le politique et les relations extérieures. Mais pas la communication, ce n’était pas mon affaire. Je me suis plongée dans la construction de la structure. J’adore ça. Je considère toujours que mon rôle est un rôle d’architecte. Je mets en place les moyens nécessaires pour l’équipe, les structures pour que Jean-Louis puisse programmer les groupes qu’il souhaite. Beaucoup de festivals sont nés à l’époque. Nous sommes les seuls à avoir résisté, parce qu’on a toujours respecté la logique de notre projet. Je ne suis pas toujours carrée, mais très logique. Pour moi, la logique permet d’éviter d’accepter des choses qui ne sont pas en phase avec les principes que tu t’étais donnés.

PLACE PUBLIQUE > C’est là que les Trans Musicales commencent à essaimer en ville?

BÉATRICE MACÉ >
La première soirée hors de la salle de la Cité se tient en 1986, à la salle Omnisports (futur Liberté) autour d’Etienne Daho. Etienne et ses amis ramène 6000 personnes. Il y a déjà une reconnaissance des Trans comme festival à part dans le paysage national. Il prend une envergure européenne. Les choses s’accélèrent ensuite avec l’ouverture de l’Ubu (en 1987, deux concerts de Noir Désir pour l’inauguration) dont nous récupérons la pleine gestion en 1990. La Drac (Direction régionale des Affaires culturelles) a accepté d’augmenter sa subvention. Ce qui nous a permis de devenir permanents, de monter une équipe. De devenir professionnels. En 1990, commence également la période où nous investissons vraiment le Liberté.

PLACE PUBLIQUE > La première « rave » des Trans, en 1992, est une rupture?

BÉATRICE MACÉ >
Oui, ça a été sinon une révolution, du moins un plongeon. Hervé et Jean-Louis étaient allés au New Music Seminar à New York et avaient rencontré Manu Casana (organisateur des premières raves françaises. Il coprogrammera les raves des Trans avec JL Brossard). Ils sont rentrés, m’ont dit : « Béa, es-tu d’accord pour qu’on fasse une rave? » Le mouvement n’avait encore jamais traversé un festival officiel. On a fait rentrer un mouvement underground dans un festival avec licence de spectacle, avec tarif. Ça a été extraordinaire dans le sens ou ça nous a confrontés à une réalité qui n’était pas la nôtre. Et elle nous a changés. Tout le travail démarré ensuite sur la déambulation, qu’on a mis en place aux Parc des expositions à partir de 1997 est basé sur l’expérience des raves. Ce mouvement nous a régénérés.

PLACE PUBLIQUE > Musicalement, ça a été un choc pour votre public habituel ?

BÉATRICE MACÉ >
C’est un festival qui est basé sur une idée, la curiosité, la rencontre, pas sur une musique particulière. C’est particulièrement plastique. L’idée peut s’accrocher sur des structures, des actions, des musiques qui peuvent être très différentes. On nous dit parfois: « Vous avez changé ». Non, on a évolué. Si les Trans étaient restées les Trans de la salle de la Cité, on serait juste un tremplin pour jeunes groupes. On n’a jamais été un tremplin pour jeunes groupes, je n’aime pas ce mot. Que les Trans fassent caisse de résonance, que ça aide les groupes et que ça fasse tremplin, d’accord. Les Trans font tremplin, on sert à quelque chose, mais un tremplin, c’est le non-choix artistique, alors que les Trans, c’est le choix artistique comme vérité première.

PLACE PUBLIQUE > Les Trans sont célèbres pour avoir « révélé » de nombreux groupes. C’est une stratégie. Jean- Louis Brossard assure que « non ».

BÉATRICE MACÉ >
Je le crois et je répondrai aussi « non ». Jean-Louis, je vois comment il programme. Sa première relation à la musique est physique et émotionnelle. C’est un professionnel hors pair qui connaît toutes les arcanes du métier, mais au moment de la décision, c’est par sa relation à la musique qu’il va être motivé. On travaille sur un art et l’art, c’est une perception, c’est elle qui doit guider les choses. Que la musique soit aussi un secteur professionnel et une industrie, ok, mais cela vient ensuite.

PLACE PUBLIQUE > En 1996, Hervé Bordier quitte le festival. Il y a plusieurs versions des raisons de son départ.

BÉATRICE MACÉ >
Le roi Arthur ?

PLACE PUBLIQUE > Ah non, je pensais au projet avorté de la friche.

BÉATRICE MACÉ >
Les deux ont compté. Le Roi Arthur est un projet qu’il souhaitait et que j’ai dû stopper. C’était un projet de défilé dans le centre-ville à partir des quartiers. On l’a travaillé, beaucoup. Je me suis rendu compte, que, financièrement on n’arriverait pas à le porter. Que ça pourrait nous déstabiliser. La friche est une autre histoire. En 1994, j’avais assisté à la naissance du Chabada à Angers, et il m’était apparu comme une évidence que l’Ubu était limité. On n’avait pas de capacité d’évolution. Je suis allée à la friche de la Belle de mai à Marseille, je me suis intéressée aux friches. Il existait à l’époque une friche au canal Saint-Martin. Nous avons voulu déposer un projet, mais la friche était propriété privée. On aurait voulu travailler sur un espace où toute la chaîne de production et de création aurait été représentée. Chose que, par exemple, la Fabrique à Nantes (inaugurée début octobre) va faire maintenant. Oui, cela reste une frustration, mais cela ne m’empêche pas de dormir.

PLACE PUBLIQUE > Hervé Bordier était la figure publique de l’ATM. Son départ a-t-il mis la structure ou le festival en danger ? 

BÉATRICE MACÉ >
Il était la figure de proue, disons-le. Il pensait qu’on ne pouvait plus évoluer. Jean-Louis et moi n’étions pas d’accord. Jean-Louis a pris la présidence, je suis restée trésorière (rire). Quand il est parti, il y a eu des doutes, mais seulement à l’extérieur. Comment les numéros 2 vont-ils se débrouiller? Personne ne savait qu’on était un vrai trio de direction. Quinze ans plus tard, la preuve est faite, s’il le fallait. On a conçu et donné vie à une multitude de projets qui n’existaient pas à ce moment- là. On a travaillé la déambulation, l’action culturelle, l’accompagnement artistique de musiciens, les Trans à l’export…

PLACE PUBLIQUE > Le festival, qui s’était déplacé le samedi au Parc-expo s’est recentré sur la ville.

BÉATRICE MACÉ >
Les raves se sont arrêtées en 1997 et nous sommes complètement revenus en centre-ville. Pas envie de refaire les mêmes artistes ou de faire des têtes d’affiche. On s’est axés sur le Liberté avec un Village sur l’esplanade Charles-de-Gaulle. L’apothéose de cette période a été la soirée du 25e anniversaire, en 2003.

PLACE PUBLIQUE > Vous vous êtes pourtant installés au Parc des expositions à partir de 2004. Avant que ce ne soit absolument nécessaire. Un choix parfois critiqué.

BÉATRICE MACÉ >
Les travaux sur l’Esplanade Charles-de-Gaulle commençaient, ceux du Liberté allaient suivre. Je n’ai pas voulu maintenir les Trans au Liberté en 2004, sans village, en perdant une scène lors des travaux pour l’Étage. Je souhaitais que les conditions de travail des équipes soient stabilisées. Quand tu entres dans un planning de travaux, tu ne sais jamais quand tu vas en sortir. Je ne voulais pas que les Trans subissent un planning de travaux. On a mis les Trans à l’abri. Pour évoluer et progresser.

PLACE PUBLIQUE > Les Trans n’étaient plus un festival de centre-ville. C’était un pari dangereux?

BÉATRICE MACÉ >
Le pari était surtout d’investir un lieu où le public a une présence contrainte. Il ne peut pas sortir du lieu pour aller boire un coup au café ou acheter un sandwich. On devenait responsable d’une fonction d’accueil qu’on n’avait pas du tout développée en centre-ville. On a vraiment investi en accueil, mais aussi en scénographie et en décoration, fait en sorte de retrouver le plaisir de la déambulation dans un lieu. Les publics ont haï, détesté, adoré, on a eu tous les superlatifs. Mais on a prouvé qu’on voulait que ce public soit à l’aise. En fait, cette déambulation dans ce lieu unique a participé à un agrandissement du paysage musical, avec trois scènes.

PLACE PUBLIQUE > Le choix d’accueillir de vraies grosses têtes d’affiche en 2004 et 2005 ne risquait-il pas de faire perdre son identité aux Trans ?

BÉATRICE MACÉ >
Les Beastie Boys et Kraftwerk en 2004, les Fugees en 2005. On a ensuite arrêté, ça ne nous correspondait pas. Pourquoi des têtes d’affiche? On craignait que le public ne nous suive plus, tellement habitué qu’il était à la convivialité naturelle du centre-ville. Cette greffe était très angoissante. Ça n’a pas été facile du tout en interne. Il y a eu de nombreux moments d’inquiétude, d’incertitude, d’angoisse. On ne savait pas si on allait réussir ces paris. Il a fallu deux ans, voire trois pour que Jean- Louis et l’équipe commencent à se sentir à l’aise. C’est un programmateur inquiet qui cherche à avoir le bon contexte de programmation, le bon moment et le bon lieu, par rapport aux artistes. Je lui ai imposé le départ au Parc des expositions. Il a fallu qu’il s’y fasse. Les deux premières années, ses bases de programmation étaient déstabilisées par l’immensité des halls. On a réglé les problèmes de sons et de chauffage, mis de la moquette et du coton gratté. Scénarisé les espaces. Maintenant on sait qu’on a besoin du Parcexpo. Il affiche complet le vendredi et le samedi, avec 13000 personnes chaque soir. Très peu d’artistes nous font des reproches. Ah si, il y avait Iz, en 2005. Un groupe que Jean Louis adore. Ils avaient joué à la Cité l’après-midi pour le Jeu de l’ouïe (mélange de conférences et de concerts) et avaient détesté le Hall 5. L’année suivante, il n’y avait plus de scène dans le Hall 5 et on avait investi le Hall 3 (plus petit).

PLACE PUBLIQUE > Le Parc des Expositions est maintenant un incontournable des Trans? Le retour complet en centre- ville est impossible?

BÉATRICE MACÉ >
Le niveau de résistance des habitants du centre-ville aux perturbations est abaissé. On ne pourrait en aucun cas refaire les Trans au centre-ville. Le parcexpo au-delà de nous avoir hébergé momentanément, nous a permis de nous développer. Ça aurait été impossible en centre ville. Cette année, nous avons travaillé avec la ville pour acter que le Parc-expo était une destination pérenne pour les Trans. Nous nous étions jurés de revenir au Liberté dès sa réouverture. Nous l’avons fait dès 2009, avec une soirée, mais nous ne reprendrons plus l’Étage. La salle fait 900 places et la grande salle du Liberté 5 200. Très difficile de circuler. Cela a bien montré qu’on ne pouvait se recentrer sur le Liberté.

PLACE PUBLIQUE > Cette année pour la première fois, pour la 33e édition du festival, toutes les salles historiques des Trans sont représentées.

BÉATRICE MACÉ >
Pour moi, c’est une nouvelle époque qui s’ouvre. C’est l’année ou toutes les périodes du festival, toutes les inscriptions territoriales sont visibles. Pour nous, c’est super-important. On réinvestit la Cité sur trois jours, avec des horaires de début de soirée, le Liberté sur un soir, le parc-expo le week-end. Avec l’Ubu en transversale les après-midis. On peut donner à Jean Louis autant d’espaces différents, pour qu’il puisse programmer tous les types de musique et de groupes qu’il veut faire passer. Si tout se passe bien, ce schéma va durer.

PLACE PUBLIQUE > 33 ans de Trans, vous ne vous ennuyez pas ?

BÉATRICE MACÉ >
Je ne m’ennuie pas du tout, ça change tous les ans. On n’a jamais les mêmes soucis et les mêmes satisfactions. L’idée est toujours pour moi de développer cette architecture, de voir comment ça prend. Il faut se donner du temps sur les lieux, pour les faire évoluer au mieux. L’an dernier, je sais que le bar VIP était une catastrophe. On n’a pas intérêt à rater cette année. Pour cette édition, Jean-Louis a construit une programmation très atypique, assez barrée, une sorte de voyage, magnifiquement Trans. Mais ça nous oblige à retravailler la disposition du Parc Expo…