Sommes-nous innovants? La question est d’importance. Dans la bataille à laquelle se livrent les territoires, en Europe comme à l’échelle planétaire, la compétitivité – c’est-à-dire l’aptitude à faire face à la concurrence – reste plus que jamais un atout décisif pour rester dans la course. Or, les experts s’accordent sur le fait que dans une économie ouverte, face à des pays en développement à bas coûts de main-d’œuvre et à des pays émergents où la recherche fait de rapides progrès, l’avenir de nos territoires repose plus que jamais sur leur capacité à innover.
C’est pourquoi la Stratégie de Lisbonne élaborée en 2000 entendait faire de l’Union européenne rien moins que « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010 ». Même s’il n’a pas été atteint, l’objectif est néanmoins largement réaffirmé par Europe 2020, la nouvelle « stratégie pour une croissance intelligente » adoptée par la Commission européenne en 2010. Ce qui est vrai pour l’Union européenne dans son ensemble l’est aussi pour chacun de nos territoires à leur échelle.
Le lien entre l’aptitude à l’innovation et le dynamisme économique se vérifie d’ailleurs a posteriori : les lieux les plus innovants en Europe sont en effet aussi ceux qui se sont montré les plus performants depuis au moins une génération. Ce sont aussi les plus prospères et les moins touchés par le chômage. Innovation, compétitivité, attractivité et dynamisme sont donc étroitement corrélés.
Or, la géographie de l’innovation est très stable: n’invente pas qui veut. Innover suppose des investissements qui ne portent parfois leurs fruits qu’à moyen ou long terme. Innover suppose un ancrage territorial des laboratoires et des firmes. Innover suppose une culture ouverte sur le monde et la recherche… Bref, un système d’innovation cela se décrète rarement ex-nihilo,même si la Russie n’hésite pas à mettre aujourd’hui met en chantier une Innograd aux portes de Moscou. L’innovation résulte toujours d’un processus incrémental, autrement dit d’une sédimentation progressive suscitant peu à peu une ambiance favorable à la créativité. Il faut que l’inventeur, comme l’entrepreneur, soit « encastré », selon l’expression des sociologues, dans un milieu local et dépendant d’un réseau.
Les technopoles, ces villes concentrant chercheurs, laboratoires, universités scientifiques, écoles d’ingénieurs et entreprises de pointe, en particulier dans leurs technopôles, sont aujourd’hui les sites les plus innovants, partageant une même atmosphère stimulante.
La preuve de leurs performances est donnée par la carte des lieux d’innovation dans l’Union européenne à partir du nombre de brevets déposés auprès de l’Office européen qui les valide. Un brevet est un titre légal de propriété industrielle qui garantit à son propriétaire l’exclusivité de l’exploitation pendant un temps donné. C’est aussi un excellent indicateur des résultats de la Recherche & Développement.
Pour identifier les lieux les plus innovants, on a rapporté le nombre de brevets déposés au nombre d’habitants de chaque territoire. Alors que ce taux d’innovation est le plus souvent mesuré par pays ou au mieux par région, l’intérêt de cette carte est son niveau de précision géographique puisque la proportion d’inventions (ou d’inventeurs) est calculée à un échelon infrarégional, au niveau de ce qu’on appelle dans l’eurolangue les NUTS, qui correspondent en France aux départements. Une telle échelle permet d’identifier précisément les lieux les plus innovants, ceux où plus de 600 brevets ont été déposés par million d’habitants (soit au moins 6 pour 10 000 habitants, ce qui n’est tout de même pas rien).
L’Allemagne est de ce point de vue une exception car elle se singularise par le grand nombre de territoires à haut degré d’innovation, qui couvrent tout le sud du pays, sans pour autant exclure le reste du territoire national. Suède et Finlande se distinguent également par une bonne répartition de l’innovation même si la grande taille de leurs unités territoriales et le faible peuplement du Nord de la Finlande leur permettent d’atteindre des valeurs élevées, explicables également par la politique d’aménagement du territoire finlandais ayant conduit à développer des centres d’innovation même dans des régions reculées.
Dans les autres États membres, les lieux d’excellence correspondent clairement à des technopoles: on reconnaît Cambridge et Oxford en Angleterre, Louvain-la-Neuve en Belgique, Eindhoven (la ville de Philips) aux Pays-Bas, Uppsala en Suède et Oulu en Finlande.
La prééminence des villes technopolitaines se vérifie évidemment en France où trois zones se détachent : le sud-ouest de l’Ile-de-France autour du plateau de Saclay, l’Isère avec Grenoble et… l’Ille-et-Vilaine qui précède même la Haute-Garonne (Toulouse), les Alpes Maritimes (Sophia-Antipolis), le Puy-de-Dôme (le pôle Michelin à Clermont-Ferrand) l’Alsace, et même la région lyonnaise (Rhône, Savoie et Loire) ou l’Ile-de-France et ses prolongements (Eure).
Rennes et l’Ille-et-Vilaine figurent donc toujours dans le trio de tête des sites les plus innovants du territoire français et parmi les quelques lieux se distinguant sur la carte européenne de l’innovation. Rennes est notamment l’un des pôles mondiaux de la recherche en théorie du signal et donc en téléphonie mobile. Ce n’est pas un hasard: exception faite de l’Allemagne, les concentrations d’inventeurs doivent beaucoup au départ aux politiques publiques de décentralisation de la recherche, comme le montre la place également enviable de Toulouse, Grenoble et Nice. De même, l’investissement public dans la R&D explique le poids des pays nordiques, qui sont les plus compétitifs, Finlande et Suède étant les seuls États membres à respecter l’engagement communautaire de lui consacrer au moins 3 % du PIB national.
La carte suggère aussi le caractère très discriminant de cet indicateur: l’absence des Pays d’Europe centrale et orientale comme la discrétion de l’Europe méditerranéenne en dehors de l’Italie du Nord confirment la robustesse de la géographie de l’innovation en Europe.
À plus grande échelle, comme l’explique l’un des inventeurs du Minitel, l’innovation suppose « un environnement scolaire, universitaire et culturel de qualité » qu’offrait Rennes, de préférence à Lannion. La combinaison d’un tel environnement et du volontarisme décentralisateur ont permis à Rennes de s’affirmer au point de toujours figurer aujourd’hui en très bonne place on the map. La cartographie des réseaux de coopération des laboratoires rennais montre du reste leur bon niveau actuel de connexion internationale.
Compte tenu de la faible mobilité de la géographie de l’innovation, cette carte illustre non seulement l’inventivité actuelle des territoires mais suggère aussi leur potentiel pour l’avenir. Observons toutefois que l’innovation n’est pas réductible à l’invention technologique qu’indique le brevet : non seulement l’innovation concerne des champs bien plus vastes que la seule technique, mais elle suppose aussi une valorisation économique et une appropriation socioculturelle pour en assurer les retombées attendues sur le développement territorial.