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Dossier
#03
City Roul’ et l’autopartage : pratique, mutualiste, solidaire
RÉSUMÉ > Venu de la course automobile, Pascal Roux a fondé à Rennes en 2005 une coopérative d’autopartage. Forte aujourd’hui de 300 adhérents, elle dispose de quatorze véhicules répartis en dix stations. Début 2011, sa force de frappe sera multipliée par quatre. Comme une dizaine d’autres loueurs en France, City Roul’ promeut une autre façon d’utiliser la voiture, en séparant l’usage d’un véhicule de sa propriété et en simplifiant au maximum son accès.

PLACE PUBLIQUE > Pascal Roux, qu’est-ce-que l’autopartage ?

PASCAL ROUX > C’est la voiture en libre-service. Vous adhérer au système City Roul’ pour trois mois au minimum et on vous remet une carte munie d’une puce à radiofréquences. Ensuite, vous pouvez réserver un véhicule, une heure, une semaine ou trois mois à l’avance, pour une heure minimum. Moins d’une minute après, vous recevez un mail ou un SMS de confirmation et votre carte à radiofréquences est activée. À l’heure prévue, vous vous rendez dans l’une de nos stations. Avec votre carte, vous ouvrez la voiture et vous partez. Quand vous en avez terminé, vous déposez la voiture à la station où vous l’avez prise et vous la refermez. Chaque mois, vous recevez une facture à votre domicile. L’autopartage doit être simple. Parfois on a dans certaines villes des système très compliqués qui sont certainement un frein au développement de l’autopartage.

PLACE PUBLIQUE > Depuis quand existe l’autopartage ?

PASCAL ROUX > L’autopartage existe à Rennes depuis 2002. Je suis parti d’une réflexion sur une utilisation différente de la voiture. En me documentant, je me suis aperçu que l’autopartage était très répandu en Suisse où il avait été lancé dès 1987, là aussi sous forme coopérative mais avec des buts très commerciaux : faire adhérer le plus grand nombre de personnes. L’autopartage était bien connu en Allemagne également mais sous une forme un peu différente. Là, on s’était dit : « Nous habitons à côté les uns des autres. C’est peut-être idiot d’avoir chacun sa voiture. » Au total, on compte en France une quinzaine d’opérateurs d’autopartage qui louent entre 600 et 1 000 voitures. C’est encore peu face à la location traditionnelle : Hertz a un parc de 9 000 voitures et l’ensemble des loueurs en dispose d’environ 40 000.

PLACE PUBLIQUE > Votre réflexion sur la voiture, c’était quoi ?

PASCAL ROUX > Elle consistait à se demander pourquoi l’usage d’une voiture passait forcément par le fait d’en être propriétaire. L’achat de la voiture, c’est le syndrome de l’armoire normande. Je veux partir en vacances avec ma femme, mes trois enfants et mes deux chiens. Donc j’achète un monospace. J’ai deux jours de voyage et le reste du temps, je ne bouge guère. Et au retour, j’utilise mon monospace ou mon 4×4 tous les jours de l’année pour me rendre au travail tout seul ou pour aller acheter la baguette. C’est caricatural. Mais ça y ressemble un peu tout de même. Bref, je voulais séparer l’usage de la voiture de sa propriété. Je venais du milieu de l’automobile, de la course, de la location automobile : je ne suis pas anti-voiture. Mais j’étais assez préoccupé par les questions de protection de l’environnement. On a d’abord créé une association pour tester l’idée à petite échelle, auprès de militants, avec très peu de voitures entre 2003 et 2005. Résultat : ça pouvait fonctionner. Des gens adhéraient et restaient fidèles. Le sujet était dans l’actualité. De son côté, le covoiturage a pris son essor. C’était le bon moment pour se lancer de façon plus commerciale. Nous avons transformé l’association en coopérative de consommateurs. La coopérative était l’aboutissement de l’association, avec son côté démocratique, mutualiste, solidaire.

PLACE PUBLIQUE > La Ville vous a aidés ?

PASCAL ROUX > On a eu la chance de rencontrer Éric Berroche, adjoint au maire chargé des transports. Il nous a compris tout de suite. Au départ, la Ville nous a donné une subvention d’exploitation. Aujourd’hui elle nous consent un tarif forfaitaire pour le stationnement de nos voitures sur la voie publique. Pour se développer, l’autopartage a besoin de visibilité. C’est pour ça que nous n’utilisons plus les parkings souterrains.

PLACE PUBLIQUE > Combien d’adhérents avez-vous ?

PASCAL ROUX > Nous avons 300 abonnés, pour un peu moins de 400 conducteurs, 14 voitures, 10 stations, réparties en ville de Rennes. Début 2011, nous disposerons de 41 stations et de 60 voitures.

PLACE PUBLIQUE > Qui sont vos adhérents ?

PASCAL ROUX > Ils appartiennent plutôt aux catégories moyennes ou supérieures. Ce sont plutôt des femmes : elles ont bien compris que la voiture doit avant tout être utile, que ce n’est pas d’abord un objet de représentation sociale. Ce sont plutôt des 25-45 ans. À l’opposé, on pensait qu’on aurait du mal à toucher les seniors. Pour eux, la voiture est tellement associée à l’idée de liberté ! Mais ils peuvent y renoncer pour des raisons économiques, parce que retraite signifie baisse des revenus, parce qu’ils souhaitent aider financièrement leurs enfants. Notre expérience quotidienne nous dit aussi que nos adhérents sont très « transports en commun », très « vélo ».

PLACE PUBLIQUE > Quel est la durée moyenne d’une location ?

PASCAL ROUX > La location-type du particulier, c’est quatre heures et 30 km. L’entreprise utilise plus souvent l’autopartage. En moyenne, 3 ou 4 fois la semaine, le particulier un peu moins. Certains louent régulièrement une fois par mois, pour une heure et dix kilomètres : ça, c’est pour les grosses courses à l’hypermarché.

PLACE PUBLIQUE > Quels genres de voitures louez-vous ?

PASCAL ROUX > Des petites voitures, des voitures un peu plus confortables, de petits utilitaires, bientôt des monospaces, des voitures plus importantes et des minibus. Mais les petites voitures continueront à représenter 80 % de notre parc.

PLACE PUBLIQUE > Passer à l’autopartage, c’est renoncer à la propriété d’une voiture ?

PASCAL ROUX > Une dizaine de nos adhérents ont renoncé à la première voiture. Beaucoup ont renoncé à la deuxième voiture. Chez les plus jeunes, nous avons remarqué que l’âge d’achat de la première voiture est retardé. Et ils ne se rattrapent plus en achetant une grosse voiture. Ça, c’est un vrai changement de comportement.

PLACE PUBLIQUE > N’y a-t-il pas encore des confusions dans l’esprit des gens entre autopartage et covoiturage, par exemple ?

PASCAL ROUX > C’était vrai au début. Selon un premier sondage réalisé en 2007 par la ville de Paris1, 8 % seulement des personnes interrogées donnaient une explication correcte de l’autopartage, 60 % n’en avaient jamais entendu parler et 28 % le confondaient avec le covoiturage. Mais les choses ont beaucoup évolué. Selon un autre sondage réalisé en mars dernier, 13 % des Français et 40 % des Parisiens se disent prêts à utiliser régulièrement l’autopartage. On a beaucoup parlé de l’autopartage après le lancement des Vélib’ à Paris. Bertrand Delanoë, le maire de Paris, avait annoncé dans la foulée la mise en place d’une opération d’autopartage sur le même modèle que le Vélib’. Je pense que ça a fait beaucoup pour faire connaître l’autopartage.

PLACE PUBLIQUE > Vous avez dû développer un système informatique particulier pour la gestion des réservations ?

PASCAL ROUX > Oui, pour les réservations et pour la gestion des dialogues entre la carte à puce, la voiture, et nous-mêmes, pour confirmer la disponibilité des véhicules, pour les géolocaliser en permanence, pour récupérer des informations sur le kilométrage parcouru, les temps de route, etc. Nous avons trouvé à Rennes deux sociétés compétentes, Kerlink et 6TM, et nous avons développé avec elles un système original. Il intéresse maintenant la quinzaine de sociétés qui font de l’autopartage dans une dizaine d’autres villes. Car, depuis que notre principal concurrent est devenu américain après son rachat par Hertz, nous sommes le leader national sur ce marché.

PLACE PUBLIQUE > Quelles sont vos perspectives de développement ?

PASCAL ROUX > Nous étendre sur toute la Bretagne, Saint-Brieuc, Brest, Quimper, Lorient, Vannes… Nous avons des contacts ici et là. Imaginons, une personne qui veut aller à Saint-Brieuc. Elle pourrait prendre le train et trouver à son arrivée une station d’autopartage. Elle aurait travaillé dans le train, arriverait plus reposée, irait à ses rendez-vous sans perdre de temps, et reviendrait à Rennes par le train, sans risquer l’accident ou l’amende pour excès de vitesse. L’autopartage peut devenir le complément du train express régional. Dans vingt ans, je crois que ce sera une réalité quotidienne. Dans des villes plus petites, dépourvus de transports en commun, l’autopartage pourrait obtenir une délégation de service public. On étudiera cela avec la Région et les conseils généraux.

PLACE PUBLIQUE > Vous imaginez l’autopartage dans vingt ans ?

PASCAL ROUX >
En Suisse, il y a aujourd’hui 2 500 voitures en autopartage et 90 000 abonnés. Ils ont constaté que l’utilisateur de l’autopartage diminue par deux son usage de la voiture et prend beaucoup plus les transports en commun. C’est vraiment un nouvel état d’esprit. Il y a trente ans, on répétait : « Éteins la lumière quand tu quittes une pièce ». Maintenant, c’est devenu un réflexe. La voiture, ce sera pareil. Nous l’avons bien vu en 2008 quand le carburant a beaucoup augmenté : nous faisions deux abonnements par jour. Les gens avaient pris conscience qu’une voiture coûte très cher. L’achat, l’entretien, les réparations, le nettoyage, l’assurance, c’est 25 % du coût total. Le reste, c’est du carburant. Il y a aussi une vraie prise de conscience environnementale. Quelle terre va-t-on laisser à nos enfants ?

PLACE PUBLIQUE > Vous sentez bien ce mouvement ?

PASCAL ROUX > Bien sûr. On voit des cadres acheter des petites voitures et en louer une plus grosse voiture quand ils en ont vraiment besoin. Ils disent : « J’ai acheté intelligent ». Pour les bobos, ne pas avoir de voiture, c’est le nec plus ultra !

PLACE PUBLIQUE > Quel avenir voyez-vous à la voiture électrique ?

PASCAL ROUX > Pour le moment, quantité de problèmes ne sont pas résolus. Le coût, l’autonomie… Une voiture électrique aujourd’hui vaut plus de 30 000 €, deux fois le prix d’une Clio que je pourrai revendre. Y aura-t-il un marché de l’occasion de la voiture électrique ? Et puis on dit que c’est « la » voiture propre… Oui, elle ne rejette ni carbone ni produits polluants. Mais, il faudra bien produire de l’électricité et, en France, celle-ci est principalement d’origine nucléaire. Que fait-on des déchets nucléaires ? Et dans d’autres pays, l’électricité est produite dans des centrales thermiques qui brûlent du combustible fossile, charbon, pétrole ou gaz. Et puis, on parle beaucoup des batteries au lithium sans savoir si l’on pourra en extraire suffisamment. Tout cela peut changer très vite, auquel cas la voiture électrique serait une solution adaptée à l’autopartage. Mais la voiture à essence peut encore s’améliorer. Il y a quelques années, on nous expliquait que l’on pourrait peut-être gagner un demi-litre aux 100 km et aujourd’hui les voitures qui ne consomment que 4 l aux 100 ne sont pas rares. Quand ils sont vraiment obligés, les constructeurs sortent de leur manche des tas de solutions.