PLACE PUBLIQUE > SERGE LAVERDURE, vous présidez le conseil d’administration du pôle de compétitivité automobile iDforCAR. D’où est venue l’idée d’un tel pôle ?
SERGE LAVERDURE > Le pôle a été créé fin 2005. Il est né de l’association Performance 2010, créée en 1999 autour de PSA à Rennes, et devenue ensuite Autéo. Avec une orientation automobile haut de gamme, à l’image de ce que représentait le site de Rennes pour PSA. La stratégie était essentiellement orientée vers la qualité, la qualité perçue au niveau industriel, au niveau design, au niveau de solutions innovantes qu’apporte essentiellement l’électronique embarquée. Pour cela, le pôle « Automobile haut de gamme », comme il s’appelait à l’époque, réunissait de grands groupes industriels comme PSA et Renault, des PME et des laboratoires de recherche universitaires, des centres technologiques.
PLACE PUBLIQUE > Les universités dans l’Ouest et en Bretagne n’étaient pourtant pas tournées vers l’automobile…
SERGE LAVERDURE > Les universités, effectivement, sont peut-être moins orientées vers la filière industrielle classique mais elles peuvent l’être davantage vers des filières cousines qui se situent différemment en termes de positionnement, de recherche et d’innovation. Les grands groupes automobiles de leur côté, constructeurs ou équipementiers, n’ont pas ici de centres de recherche significatifs. Mais ils ont besoin de recruter des effectifs importants auprès des universités et des grandes écoles. C’est un jeu gagnant-gagnant.
PLACE PUBLIQUE > Quels laboratoires avez-vous réussi à attirer ?
SERGE LAVERDURE > Des laboratoires comme le Cemcat1 à Laval qui travaille sur les nouveaux matériaux, l’université de Rennes 1 dans le cadre de projets d’électronique embarquée, l’ENSTB, l’Irccyn à Nantes, l’Ensieta à Brest. Toutes les écoles et tous les laboratoires ont été assez actifs, assez présents dans nos projets. Peut-être y ont-ils vu aussi la possibilité d’accéder à des financements. En tout cas, une accélération s’est produite.
PLACE PUBLIQUE > Et, du côté industriel, sur quelles entreprises pouvez-vous compter ?
SERGE LAVERDURE > Le secteur auto dans le grand ouest comprend beaucoup de PME, PMI assez importantes orientées vers la fabrication de véhicules ou de solutions automobiles pour les modes d’utilisation très spécifiques : Bolloré et sa voiture électrique, le groupe Gruau à Laval avec son Microbus, Heuliez, dont on a beaucoup parlé et qui se place aussi sur le marché du véhicule électrique. Des transformateurs, des carrossiers, des spécialistes de l’aménagement d’utilitaires, de bennes, de camions de pompiers, de véhicules blindés. Il y a là un tissu d’acteurs aussi importants que divers, mais qui ne sont pas classés comme des gens faisant partie de la filière automobile.
PLACE PUBLIQUE > Le fait de changer de nom en mai 2009, de passer d’Automobile haut de gamme à iDforCAR a-t-il été un recul ?
SERGE LAVERDURE > Le changement de nom et la redéfinition de notre stratégie ont été motivés essentiellement par l’analyse du positionnement des adhérents du pôle, acteurs de la filière mais porteurs de solutions très spécifiques et qui ont un vrai savoir-faire dans le développement et l’industrialisation. La deuxième raison a été la crise de l’automobile. Nous sommes à la veille de changements importants dans le domaine technologique mais aussi dans les modes d’utilisation, dans ce que représentera l’automobile pour les générations futures. Non plus un symbole de réussite ou d’ascension sociale, mais un simple moyen de transport. Des changements qui ressemblent un peu à ceux du téléphone. On se servait d’un téléphone portable ; aujourd’hui on consomme du temps de communication, quel que soit l’outil que l’on utilise. Demain, on associera sans doute l’automobile à du temps de déplacement.
PLACE PUBLIQUE > L’automobile haut de gamme se porte bien, pourtant. Regardez BMW, Mercedes, Audi…
SERGE LAVERDURE > L’automobile haut de gamme n’a pas dit son dernier mot. Mais cela reste un marché de niche pour les constructeurs français. Ils produisent et vendent très peu de véhicules ; le marché allemand est organisé différemment. Mercedes, BMW ou Audi sont un mélange de qualité, de prestige et de marketing. Dans cette spécialité, il existe une taille critique en dessous de laquelle vous avez du mal à maintenir un niveau d’excellence pour être concurrentiel. C’était notre difficulté dans notre positionnement haut de gamme. Beaucoup d’acteurs régionaux ne s’y retrouvaient pas. La réécriture de la stratégie du pôle a permis qu’il se distingue de la filière automobile classique. Tout le monde s’y sent plus à l’aise.
PLACE PUBLIQUE > Comment restez-vous liés aux grands constructeurs ?
SERGE LAVERDURE > Aujourd’hui, on s’est replacé sur des problématiques d’actualité qui correspondent bien au tissu régional et qui peuvent nous permettre demain de positionner des nouvelles solutions technologiques qui intéressent ou vont intéresser les grands groupes. Le véhicule électrique occupe une niche aujourd’hui. Mais c’est une tendance de fond. On va vers des solutions hybrides ou électriques Les grands constructeurs vont s’y intéresser de plus en plus. C’est ce que nous appelons dans notre jargon un « use case », un exemple d’utilisation pour avoir un retour d’expérience qui permettra aux constructeurs d’offrir des solutions plus efficaces et en grandes séries.
PLACE PUBLIQUE > Cela veut-il dire que les PME devront s’effacer, que les grands groupes vont vous piller ?
SERGE LAVERDURE > Non, pas du tout ! Aujourd’hui, ces industriels ont probablement intérêt à réfléchir au moyen d’intégrer ces technologies. Cette intégration va leur permettre de monter en compétences et d’être demain les acteurs ou les co-acteurs d’une nouvelle filière en train de naître, probablement en rupture avec la filière classique. Les grands groupes se développeront en s’appuyant sur des défricheurs de niches. Il y aura coproduction. La volonté du pôle, c’est d’aider les PME à intégrer les évolutions technologiques de demain, de les accompagner, d’être co-acteurs du développement économique et de la politique industrielle régionale, d’être en ligne avec les changements qui vont arriver, d’aider le secteur à se transformer pour qu’il puisse intégrer des innovations qui parce qu’elles sont naissantes n’intéressent pas encore les grands groupes. Aujourd’hui, cette technologie coûte plus cher. Elle n’est valable que sur des véhicules spécifiques produits en petite série et dont la valeur pour l’utilisateur est autre que celle qui intéresse l’automobiliste ordinaire.
PLACE PUBLIQUE > Comment le pôle de compétitivité iDforCar est-il dirigé ?
SERGE LAVERDURE > Le pôle est constitué de deux organes importants. D’abord un conseil scientifique qui valide, labellise des projets de recherche et de développement présentés par des industriels. Les constructeurs y sont représentés, PSA et Renault comme d’autres, ainsi que des écoles, des universités, des labos, des experts. Ensuite, un conseil d’administration de 28 membres où PSA et Renault ont un siège chacun.
PLACE PUBLIQUE > Combien êtes-vous aujourd’hui ?
SERGE LAVERDURE > À peu près 140, dont la très grande majorité, 85 ou 90 % sont véritablement acteurs. On peut les répartir en trois tiers : un tiers de laboratoires, un tiers de PME issues de la filière classique et un autre tiers issu de la filière au sens large. Nous couvrons un grand quart nord-ouest, trois régions, la Bretagne, les Pays de Loire et Poitou-Charentes. Les prétendants à pouvoir intégrer le pôle ne sont pas très nombreux. On essaie de travailler avec d’autres structures régionales pour avoir une présence élargie.
PLACE PUBLIQUE > Quel intérêt peut avoir une PME à adhérer à iDforCAR ?
SERGE LAVERDURE > Premier point : le pôle est un lieu de rencontre, d’échange, de partage. On y fait de la veille commune par rapport aux thématiques qui sont les nôtres. De toute manière, il est clair que chaque membre du pôle peut conserver le secret sur l’avance qu’il pense avoir. Il peut aussi travailler en milieu fermé avec seulement quelques partenaires à qui il demande une confidentialité totale. Enfin, il peut bénéficier d’un réseau de compétences qui va lui permettre d’aller beaucoup plus vite. Cela permet à chacun d’évoluer par le haut. Dernier point : le financement de la recherche-développement. Ça intéresse beaucoup les PME.
PLACE PUBLIQUE > Comment se passe concrètement la labellisation d’un projet ?
SERGE LAVERDURE > Le cycle peut durer de 3 à 6 mois. Des chefs de projet accompagnent le chef d’entreprise dans la définition de sa démarche. Ensuite, on met en relation différents acteurs industriels et chercheurs. Puis le conseil scientifique labellise le projet ou demande des éclaircissements. Si c’est le cas, le projet est à nouveau présenté un ou deux mois plus tard. On peut aussi rechercher une colabellisation avec d’autres pôles d’activité. Un projet peut être présenté pour labellisation à deux pôles, par exemple à iDforCAR et au pôle matériaux EMC2, ou aux deux autres pôles sur l’automobile qui existent en France. Cette colabellisation donne plus de poids au projet. Il faut aller chercher l’excellence là où elle se trouve.
PLACE PUBLIQUE > Un exemple ?
SERGE LAVERDURE > La phase 2 du projet O4A (Open for Autosar, électronique embarquée) présenté par Geensys (Nantes) et par Kéréval (Rennes) a été labellisée à la fois par les pôles iDforCAR, Mov’éo et System@tic (Paris). Aujourd’hui, les briques logicielles produites sont prêtes à être intégrées dans des solutions industrielles.
PLACE PUBLIQUE > Comment procédez-vous pour le financement ?
SERGE LAVERDURE > C’est du cousu main pour chaque projet. Notre but est de rassurer les entreprises. On se rend compte que beaucoup de chefs d’entreprises n’osent pas sortir leurs projets. Ils pensent que ce sera très compliqué, qu’ils perdront du temps, qu’ils se disperseront. Le pôle est là pour les aider, pour leur simplifier la tâche en leur servant de support administratif. Les montages financiers mêlent des fonds des collectivités territoriales, du Fonds unique interministériel, de l’Agence nationale de la recherche et d’Oséo. À iDforCAR, une personne est spécialisée dans ce genre de montages qui deviennent très vite complexes.
PLACE PUBLIQUE > Revenons aux besoins de cette nouvelle filière qui émerge. Les entreprises ont-elles des problèmes pour trouver du personnel ?
SERGE LAVERDURE > L’université est de plus en plus intéressée. Elle essaie de travailler au plus près des industriels. Elle est plus sensible à leurs attentes. En matière de financement de la recherche, des discussions sont en cours, qui déboucheront en 2010 sur des partenariats très intéressants avec l’industrie. L’un des points positifs est que des gens qui se considéraient dans deux mondes séparés convergent les uns vers les autres. Le climat est en train de changer. Dans ces filières qui bougent beaucoup, il faut associer la formation. On a quand même certains secteurs où l’on manque de gens qualifiés, dans tout ce qui est véhicule électrique, intégration d’organes de puissance dans l’automobile. Ces filières ont été délaissées. Il faut anticiper, regarder à trois ou cinq ans. Trois ans, c’est le temps d’une licence, cinq ans celui d’un master. Cette dynamique-là commence à être intégrée. La compétitivité de l’industrie passera par la capacité de l‘université à former des jeunes diplômés en phase avec le marché. Il y a beaucoup d’écoute. L’université comprend l’intérêt pour elle d’avoir des relations de plus en plus proches avec l’industrie. Ça s’est beaucoup amélioré. On a encore beaucoup de chemin à faire. Mais je pense qu’on a déclenché quelque chose.