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Histoire & Patrimoine
#07
Comme un air d’Italie : Louis Richelot
et l’introduction
du palladianisme
à Rennes
RÉSUMÉ > Louis Richelot laisse avant tout à Rennes la marque du renouveau de l’architecture civile dans le premier quart du 19e siècle. Il participe à façonner un quartier destiné à devenir l’épicentre de la nouvelle notabilité rennaise : le plateau du Thabor

     Lorsque Louis Richelot achève ce qui va devenir son œuvre maîtresse, l’hôtel de Courcy (1827- 1835), la rue de Paris n’est qu’un gros boulevard, portion de la route n° 12 de Paris à Brest, entre centre-ville ancien, faubourg embryonnaire aux modestes habitations et paysage champêtre, ouvert sur le port de Viarmes et sur la Vilaine. En y implantant sa résidence principale, il modifie profondément les perspectives d’aménagement de cette entrée de ville, tout en se constituant une vitrine de son savoir-faire et de ses goûts éminents pour l’Italie.

     En effet, bien que né à Rennes, le 27 juillet 1786, Louis est un infatigable nomade, poussé par les opportunités de formation et les emplois d’architecte, trop rares et sous-payés, à quitter sa ville natale. Par son expérience chez Félix Anfray, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées d’Ille-et-Vilaine, sur le canal d’Ille-et-Rance, et son séjour au Dépôt général de la Guerre pour les cartes et plans, à Paris, Louis acquiert une maîtrise parfaite de la levée de plans, de l’arpentage et du nivellement de terrain, d’où sans doute son art certain pour les jardins.
     Grâce à son passage chez Antoine-Marie Peyre (1770-1843) (maison impériale d’Écouen, théâtre de la Gaîté), Philippe Binet (1743-1815) et Mathurin Crucy (1749-1826) (chantier de la cathédrale de Rennes), il s’imprègne de la rigidité du néoclassicisme parisien préconisé par Étienne-Louis Boullée (1728-1799), tout en s’assurant de solides références pour le futur. Enfin, son voyage en Italie, entre 1824 et 1825, affine une formation essentiellement autodidacte, mais qui lui est reconnue : architecte départemental en 1828, membre titulaire du tout premier conseil local des bâtiments civils en 1838, architecte diocésain la même année, il cumule les charges et émaille le département de son empreinte (jusqu’en 1845).

     Son goût prononcé pour le style néo-palladien, inspiré des Quatre Livres de l’architecture d’Andrea Palladio (1508-1580), et de nouveau en vogue depuis la fin du règne de Louis XV, le conduit à développer ce que François Loyer a décrit comme « une architecture de la citation ». Cette relecture des modèles classiques n’est certes pas dénuée du talent propre à l’architecte : cet air italianisant confère au lieu où il intervient une réminiscence qui va marquer pour longtemps le paysage urbain de cette partie de la ville. L’essence du style peut se résumer autour de principes généraux, qui se déclinent ensuite comme autant de terminaisons propres à l’art de Palladio : un volume simple et massif, sur lequel se démarque un avant-corps, marqué tantôt par un péristyle (hôtel de Courcy, 9, rue Martenot), tantôt par un fronton (hôtel Richelot, n° 4), tantôt encore par un attique (hôtel de Villemain, n° 6) ou une imposante lucarne (hôtel de Lépinay, n° 9 rue du général Guillaudot).
     Les entrées, sur cour et sur jardin, sont monumentales, couvertes d’un arc en plein-cintre, souvent marquées de pilastres ou, dans le cas contraire, par le traitement particulier de la pierre. Lorsque le budget est à l’économie, c’est dans la simplicité de l’élévation et le traitement harmonieux des baies qu’excelle l’architecte : pour son hôtel de Lépinay, il remplace les baies simples par des serliennes1 en réduction. Cette élégance dans l’art de traiter les façades se retrouve également à l’hôtel Richelot, qu’il construit pour son frère Hyppolyte (1831) : les entablements, balustres, tablettes d’appui, garde-corps en fonte participent à compenser la volumétrie imposante de la maison.

     La distribution intérieure est celle d’une maison de maître : dans l’hôtel de Courcy, profitant de la dénivellation du terrain du nord au sud, il installe la domesticité au rez-de-chaussée – en fait, le sous-sol depuis le jardin ; les pièces de réception, desservies par un escalier central à rampe unique, occupent le second ; les chambres sont au troisième.
     Cette compression profite à la tenue de l’ensemble : en épargnant au volume principal l’adjonction d’ailes latérales, correspondant aux communs, il restitue dans toute sa force la villa Cornaro, située dans la province de Padoue, visiblement sa source d’inspiration, tandis que le décor intérieur confine au raffinement ; les motifs des dessus de porte des hôtels Gerbier et de Courcy donnent vie aux gravures de Joseph Beunat (fondateur de la manufacture de décors de Sarrebourg, en 1805), éditées pour la première fois sous l’Empire ; les pilastres, frises et vantaux de porte font également réemploi.
     En plein air, Louis agrémente les jardins de cabinets de verdure, de bassins et de vasques ; la proximité du contour, du jardin des plantes et de l’escalier monumental de Charles Millardet, donnent à l’endroit des allures proches de la Garenne-Lemot, à Clisson.

La clientèle fortunée se fait discrète…

     Pourtant, le renouveau de l’architecture privée rennaise se fait attendre. Depuis la construction, en 1786, par Philippe Binet de l’hôtel Le Gonidec de Traissan (n° 14, rue Le Bastard), dont l’ordre colossal traduit bien l’influence parisienne de Claude-Nicolas Ledoux (1736- 1806), la ville ne se laisse guère tenter par les agréments de la nouveauté. La petite clientèle urbaine fortunée, en mesure de passer à Richelot quelque commande d’importance, se fait discrète dans une ville gagnée par le chômage et la misère. D’ailleurs, sur les cinq hôtels particuliers rennais identifiés comme réalisations dues à l’architecte, entre 1821 et 1842, trois l’ont été pour lui-même et sa famille.
     De plus, les projets d’aménagement des quais, à partir de 1837, modifient profondément la trame urbaine, tout en posant la question des nouveaux flux de déplacement, dans et vers la ville : on va construire désormais vers le sud, et majoritairement des immeubles.
     Mais peut-être, comme le suggère Gwénaëlle de Carné, Richelot est-il un architecte trop « contemporain » ? Ainsi exporte-t-il volontiers son activité à la campagne, où le cadre naturel des bords de Vilaine et la fortune de commanditaires locaux sont plus favorables qu’en ville : ainsi, par exemple, proches de Rennes, les châteaux du Grand-Domaine, à Saint-Gilles, et de la Hublais, à Cesson-Sévigné ; plus loin, les châteaux de Québriac et de la Gromillais, ceux de La Chapelle-Chaussée et de La Houssaye, à Redon, où il est l’auteur également du tribunal et de la sous-préfecture.

     Il est clair que Louis Richelot laisse en marge de l’urbanisme rennais une vision architecturale unique. Son trait caractéristique, jailli de la campagne ensoleillée de Vénétie, tranche avec le ciel gris breton ; il s’anime par la danse de quelque vestale sortie tout droit d’un cahier de voyage. Cette ambition traduit un art de vivre et de construire, propre à une société en quête de notabilité et de charges. À l’heure où la politique vacille (révolution de 1830, crises municipale et économique, nostalgie de l’Empire), les “maisons de campagne” de Richelot ne participent-elles pas finalement à travestir les désillusions du moment ?
     Comme Palladio, Richelot conçoit en effet les luxueuses retraites des riches propriétaires et aristocrates déchus de la Restauration, venus retrouver à la campagne les vertus bucoliques magnifiées par Rousseau, et plus certainement quelque appui politique, alors même que, concurremment, il travaille pour le nouveau régime à l’entretien et la reconstruction des palais civils et des propriétés départementales. Sans doute est-ce là le thème qui marque subtilement son oeuvre : la nature même de la commande fait de l’architecte, à la fois le chantre d’un art reconquis et l’architecte d’une société en reconquête.