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Dossier
#35
Comment associer l’habitant
à la requalification
du Blosne ?
RÉSUMÉ > De 2009 à 2014, près de 2000 habitants du Blosne ont été associés à la rénovation de ce quartier populaire rennais. Une expérimentation originale, non exempte de difficultés, qui s’appuie sur des ateliers urbains, des ambassadeurs, des voyages d’études… Avec le recul, quel bilan en tirer ? Le point sur ce dossier, par le directeur de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de Rennes et la chargée de concertation de l’agence d’urbanisme, tous deux très impliqués dans la démarche.

     De plus en plus promue dans les discours politiques, la participation des habitants à la conception de la cité reste souvent orpheline d’expériences ambitieuses et durables dans le temps. La démarche de concertation conduite depuis 2009 dans le cadre de la requalification du quartier populaire du Blosne à Rennes, vient quelque peu contredire cette crainte.
    Cet article questionne l’expérimentation conduite dans le champ de la concertation du projet urbain du Blosne, dans lequel l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de Rennes (IAUR) et l’Agence d’urbanisme du Pays de Rennes (AUDIAR) ont joué un rôle majeur de médiation entre tous les acteurs impliqués dans le projet de requalification de ce quartier.
    De manière plus ou moins explicite, nous savons que l’histoire des quartiers, comme celle des villes, n’est pas seulement produite par les décideurs publics, les services techniques, les architectes, les urbanistes mais aussi par les habitants et les usagers de ces territoires. Et « toucher sensiblement à l’habitat, aux trames viaires, aux espaces publics et aux équipements d’un quartier », c’est nécessairement « toucher les habitants ».
    Dès lors, se pose une première question centrale : est-il possible de mobiliser, et de quelle manière, les habitants dans le processus de fabrication d’une requalification urbaine d’un quartier populaire ? Mais au-delà de cette question, la démarche de concertation auprès des habitants du Blosne est venue aussi interroger les méthodes de fabrication des quartiers entre ceux qui traditionnellement projettent, conçoivent, programment et construisent la ville. Comment et selon quels principes les « maîtrises d’ouvrage » (élus, porteurs de projets, services techniques…), et les « maîtrises d’oeuvre » (urbaniste, architecte, bureau d’études…) habitués à se partager les rôles, acceptent de donner une place aux habitants, aux acteurs associatifs et économiques que nous désignons sous le terme de « maîtrise d’usage ».

     Par délibération en date du 18 juin 2007, la Ville de Rennes a engagé la concertation préalable à la création d’une ou plusieurs ZAC sur le quartier du Blosne visant à une requalification urbaine d’ampleur à l’échelle de ce quartier de 200 hectares regroupant 18 500 habitants.
    Le projet de quartier étant appelé à s’inscrire dans la durée, les élus de la Ville de Rennes ont souhaité que les études et réflexions soient largement partagées dans le cadre d’une démarche participative d’envergure qui dépasse le strict cadre réglementaire de la concertation. Elle a pour ce faire sollicité l’appui de l’IAUR et de l’AUDIAR.
    Au total, on estime que 2 000 personnes ont participé jusqu’en 2014 de manière significative à au moins une action de concertation et 1 000 habitants ont exprimé leurs ressentis et leurs propositions pour le quartier lors d’une enquête réalisée dans chacun des immeubles du Blosne. Le public a évolué depuis 2010, avec une présence de plus en plus importante des locataires, des jeunes et des enfants. Cette évolution a été possible grâce à la mise en oeuvre de méthodes diversifiées sur des temps variés (en journée, en soirée, le week-end) et des visites de terrain (au Blosne, dans d’autres quartiers rennais, à Nantes, Brest, Berlin et Barcelone). Certaines actions visent à faire connaître et à appréhender le projet dans son ensemble, d’autres sont animées au plus près des habitants, au pied des tours, pour enrichir le projet d’aménagement d’un îlot particulier (permanences à l’atelier urbain, caravane de l’atelier urbain mobile au pied des tours, ateliers créatifs, votes, forums du projet de quartier…).

     Trois leviers ont permis de lancer une dynamique de participation des habitants : l’atelier urbain, la mise en place d’ambassadeurs du projet urbain et les voyages d’études. Ces actions ont permis de mobiliser, de former les habitants à la notion de projet urbain et de faire la connaissance des différentes personnes mobilisées par le projet urbain : élus, professionnels des services, professionnels mobilisés par les bailleurs sociaux, promoteurs, urbanistes, architectes. Ces échanges ont été les éléments fondateurs d’une démarche collective de reconnaissance réciproque du rôle et du potentiel de chaque acteur.
    L’atelier urbain a été le premier outil de contact avec les habitants mis en place par la Ville de Rennes sur le quartier. Il s’agit d’un lieu physique d’information d’échange et d’expression situé au coeur du quartier. Son rôle est d’informer et d’accueillir les habitants du quartier ainsi que tous ceux qui le souhaitent pour leur donner des informations. Il est aussi vecteur et animateur des actions de concertation, à travers l’accompagnement des habitants, la mise en place d’ateliers de créativité. Cet atelier urbain est devenu mobile par la caravane « Le Blosne en marche ! » qui se déplace dans le quartier au gré de l’actualité du projet et des initiatives des acteurs du quartier. Cette caravane permet d’aller vers les habitants sur les places et dans les squares, au plus près de chez eux ; de mettre en place des actions de sensibilisation à l’urbanisme, à l’architecture et au projet urbain.
    Sur proposition de l’élu du quartier, 100 ambassadeurs du projet urbain, répartis géographiquement sur l’ensemble du quartier du Blosne, volontaires, ont été désignés par la Ville de Rennes. Ces personnes ont été informées prioritairement sur le projet urbain, avec obligation d’en faire la critique en toute liberté, mais aussi d’émettre des propositions. Ils ont eu également pour mission d’être des relais auprès des autres habitants, et/ ou de le présenter à des personnes extérieures au quartier (lire ci-après l’article de Christine Barbedet).
    Pendant cinq jours, à Berlin, puis à Barcelone, un voyage d’études a réuni un groupe d’une centaine de personnes, composé d’ambassadeurs, d’associations, d’élus, de bailleurs sociaux, de promoteurs, de techniciens de la Ville, de commerçants, d’étudiants. Ces voyages mixtes, suivis de temps de restitution, ont permis de nombreux échanges, des regards croisés et « d’exporter » des idées susceptibles d’être introduites au projet urbain du Blosne.

     Différentes actions complémentaires ont été mises en oeuvre visant à produire des connaissances, des diagnostics partagés et des propositions qui ont été présentées à la maîtrise d’ouvrage et à la maîtrise d’oeuvre. L’enjeu a été de mieux connaître et faire connaître l’histoire sociale de l’urbanisation du quartier, de compléter le diagnostic des experts par celui du diagnostic d’usage des habitants et de permettre enfin aux ambassadeurs et aux acteurs institués du quartier d’exposer leurs visions d’avenir et leurs propositions en termes de projet. Un livre « Le Blosne. Du grand ensemble au vivre ensemble » (Ed. PUR, coédité avec l’IAUR), est issu d’un travail de groupe avec une douzaine d’habitants ; repérage, recueil, enquêtes et lectures de documents relatifs à la ZUP Sud et au Blosne, ont été réalisés sur une durée de trois ans. Cet ouvrage a su relever les défis suivants : dépasser le sentiment d’une ZUP née de rien, sans origine et faire ressurgir ce qui a été détruit comme une part rêvée mais fondée d’un patrimoine commun, montrer que le Blosne peut être tiré vers le haut et être fier de ce qui s’y développe ; lutter contre l’image dégradée du quartier et sa stigmatisation.
    Afin de mieux saisir le vécu des habitants, de leur permettre d’établir leur propre diagnostic, d’émettre des propositions pour le quartier et donner leur avis sur le projet urbain, la Ville de Rennes a souhaité que soit réalisée une enquête de grande ampleur à hauteur de 1 000 questionnaires. Si cette enquête vient en complément des ateliers de créativité et autres actions mises en place, elle a surtout permis de donner la parole à des habitants qui ne peuvent ou ne veulent pas participer à ces différentes actions et réunions publiques et de prendre le pouls.

     L’approche de la phase opérationnelle et la décision des élus de la Ville de Rennes d’activer la phase de réalisation de la ZAC Blosne-Est ont enclenché une dynamique de concertation à l’échelle des îlots d’habitation afin de recueillir sur chaque secteur les perceptions du projet urbain et les ajustements souhaités par les résidents. Ce temps de la concertation a permis de mettre les habitants en mode « ressources » pour disposer d’informations précises sur les nouvelles constructions prévues et sur les aménagements des espaces intérieurs aux îlots. Il a également permis de réaliser une étude sur les potentiels de ressources des acteurs socio-économiques du quartier.

     Afin d’engager une concertation sur le projet urbain des urbanistes et au plus près des lieux d’habitat, une commission de secteur a été mise pour chacun des 12 secteurs opérationnels de la ZAC Est. Ces commissions se sont déroulées, in situ, sur plusieurs jours par la présence de l’équipe de concertation autour de la caravane itinérante. À l’aide d’outils de communication adaptés (plans et maquette distinguant les bâtiments existants et les nouvelles implantations), cet atelier présente le projet pour l’îlot d’habitation. Une balade urbaine est ensuite organisée permettant la présentation précise sur site du projet urbain dessiné par les urbanistes. Les trois maîtrises sont présentes, élu de quartier, services chargés de l’aménagement, bailleurs sociaux, urbanistes du projet et tous les habitants qui le souhaitent. Chacun peut alors disposer d’une meilleure visibilité sur l’implantation des nouveaux bâtiments et une possibilité de travailler avec les maîtres d’ouvrage et maîtres d’oeuvre sur le réaménagement des coeurs d’îlots, au moment des phases pré-opérationnelles. Ces actions ont permis de réaliser des ajustements sur le plan-masse, mais supposent, pour être crédibles aux yeux des habitants, d’être poursuivies au fur et à mesure de l’avancement des projets au véritable programme retenu. De la capacité des maîtres d’ouvrage à intégrer concrètement les observations et les propositions des habitants dépendra leur niveau d’acceptabilité du projet réellement construit.

     L’aménagement du square de Nimègue a fait également l’objet d’un temps de concertation et de réalisation originale : plantations, graff au sol, aire de jeux pour les enfants, jardin éphémère… La démarche et le travail réalisés avec les habitants en lien avec la maîtrise d’oeuvre du service des jardins et la collaboration avec la Direction de la Vie Associative et de la Jeunesse de la Ville de Rennes montrent un résultat enthousiasmant permettant d’être reconduit sur des opérations similaires pour la suite. Des temps festifs ont marqué et valorisé la démarche innovante et participative d’aménagement du square. Le square de Nimègue a été réaménagé sur l’idée, ramenée de Berlin par des habitants, d’installer des jeux propices à l’éveil sensoriel des enfants, utilisant des matériaux naturels.

     Afin de repérer les nouveaux projets socio-économiques sur le quartier du Blosne, l’IAUR et l’Audiar ont conduit une étude permettant d’identifier les « Capteurs de projets pour le quartier », à savoir toute personne susceptible de conduire ou de connaître un projet, ou un acteur désirant installer son activité sur le quartier. Ce travail a abouti à la rédaction d’un carnet de suivi des projets socio-économiques qui recense, détaille et met en lien tous les acteurs ayant un projet économique ou social sur le quartier. C’est un outil destiné aux personnes impliquées dans la conception et la construction du projet urbain (maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’oeuvre, bailleurs, promoteurs), afin de les aider à intégrer ces initiatives locales dans leur programmation. Ce travail d’inventaire des activités socio-économiques implantées sur le quartier vise à faciliter l’émergence des initiatives du territoire.

Faire travailler ensemble les trois maîtrises

     Les actions engagées avec les habitants visent à les qualifier comme une véritable « maîtrise d’usage » et à les reconnaître comme une composante essentielle du processus de fabrication du projet en association avec les maîtres d’ouvrage et les maîtres d’oeuvre engagés dans ce projet.
    Le rappel des actions entreprises avec les habitants met bien en évidence cette implication croisée avec la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’oeuvre.
    La concertation a permis aux habitants d’enrichir le diagnostic porté par les urbanistes, les bureaux d’études et de réfléchir collectivement à l’évolution du quartier. Sont nées de ces actions de nombreuses propositions sur l’économie, le commerce, les déplacements, la convivialité, la vie associative et culturelle, les aménagements de proximité…
    L’enjeu est d’articuler très précisément les travaux de chacune de ces maîtrises et de concrétiser les idées issues de la concertation dans les décisions politiques et les contraintes budgétaires et réglementaires. Pour y parvenir, il est nécessaire de créer une plate-forme de concertation animée par un tiers qui ne soit pas une des trois maîtrises en action.

     L’impact de la concertation sur le projet urbain peut être observé dans plusieurs aménagements déjà réalisés et représente des premiers résultats encourageants. Les habitants ont pu développer leur imaginaire, leur connaissance de projets urbains dans d’autres quartiers de Rennes, d’autres villes françaises (Nantes, Brest, Dinard) ou étrangères (Berlin, Barcelone). Ils ont été reçus sur place par des élus, des professionnels, et poursuivi les échanges sur le quartier lors des différents temps collectifs d’informations et de débats (forum du projet urbain) pour être ainsi reconnus dans leur rôle d’ambassadeur du projet urbain et prendre ainsi conscience de leur pouvoir d’agir.
    Pour autant, ces mêmes habitants évoquent souvent le risque « d’avoir le sentiment de faire des propositions pour rien », « que tout est déjà décidé en haut lieu, sans eux » et qu’en dernier ressort, « leurs avis et leur mobilisation n’auront servi à rien ». Si nous semble-til, les habitants ont déjà eu un impact sur le projet de quartier, le risque de perdre de vue certaines propositions existe. Les engagements pris en termes de méthodologie de concertation apparaissent quelque peu oubliés en raison de la phase opérationnelle. La capacité d’oubli est importante, d’autant plus que les équipes chargées de la mise en oeuvre du projet ne sont pas les mêmes que celles en charge de sa conception, les professionnels changent sans avoir toujours transmis la mémoire du travail réalisé.
    L’échange d’information et un dialogue régulier, avec les élus et les acteurs du projet, semblent être, pour les habitants, une condition impérative pour la poursuite de leur investissement dans la réflexion partagée sur l’avenir du quartier. C’est ce qui rend encore plus nécessaire le rôle de tiers médiateur assuré par l’IAUR et l’AUDIAR entre les trois maîtrises tout au long du projet.