de fer a réorganisé
la ville au 19e siècle
Au moment de la signature de la Charte des chemins de fer en 1842, qui entraîne la création d’un réseau national au départ de la capitale, chacun sait l’importance de la gare pour l’évolution d’une ville et les enjeux qui entourent son établissement. Synonyme de voyage, d’exotisme, elle est également le signe d’une nouvelle polarité, d’une modernité et d’une industrialisation qui peut donner un nouveau souffle aux cités. À Rennes, la gare est inaugurée le 26 avril 1857. Trois journées de célébrations sont organisées. L’arrivée de cette « cathédrale » ne s’est toutefois pas faite sans difficultés, preuve des visions contradictoires de ce qui fait la ville aux yeux des contemporains.
Depuis la reconstruction des quartiers détruits par l’incendie de 1720, les principaux équipements se concentrent au nord de la Vilaine. Le sud, quant à lui, est perçu par la population comme humide et malsain, loin des beaux édifices érigés au nord sur de belles places aérées, comme l’Hôtel de ville et l’opéra ou le Parlement de Bretagne. Les rues au dessin orthogonal s’opposent aux venelles étroites qui se mêlent aux méandres de la Vilaine, alors considérés comme insalubres.
Pour pallier ce problème, la municipalité s’engage dans un projet longtemps resté dans les cartons, la canalisation de la Vilaine. Déjà présent sur le plan établi après l’incendie, ce dessein permettrait de changer l’image de ces faubourgs et d’en modifier la frontière. L’idée est aussi de retrouver la rectitude des rues de la reconstruction alors synonyme de beauté et de salubrité. Cet immense projet fera la fierté des édiles tout en grevant sérieusement le budget de la commune pour plusieurs années. Malgré tout, les travaux fleurissent dans toute la ville, avec la construction de l’Hôtel-Dieu (Aristide Tourneux), les halles des Lices et le Lycée impérial (Jean-Baptiste Martenot), le grand séminaire (Henri Labrouste). C’est dans ce contexte, alors que certains ouvrages sont en cours, que sont engagées les réflexions autour de l’implantation de la gare.
Trois acteurs sont alors en jeu. D’un côté, les ingénieurs des Ponts et Chaussées dont le pouvoir et le prestige sont immenses. Ces derniers sont en faveur d’une implantation au sud de la Vilaine, dans le quartier Saint-Hélier, sur le site de Lorette, qui n’est alors encore que champs et prairies. Cet emplacement présente pour eux de nombreux avantages en termes d’évolution de la gare. De l’autre côté, les partisans du nord qui se divisent en deux groupes. Tout d’abord, les édiles, qui ont une vue très fragmentaire de leur ville, souhaitent une installation sur le Mail d’Onges, à l’ouest de l’actuelle avenue Aristide Briand ou plus au nord, faubourg de Fougères. Le dernier acteur est composé d’une partie de la population rennaise qui se range à l’avis des élus, mais propose dans une pétition que la gare soit installée plus près du Thabor, voire du Parlement.
Les discussions durent plus de cinq années et, devant la pression des élus locaux, les ingénieurs cèdent pour une installation sur le Mail d’Onges. À ce moment-là, le statut de la gare n’est pas encore tranché (gare terminus, tête de ligne ou d’étape). Ce n’est qu’en 1854 que la décision est prise de prolonger la ligne jusqu’à Brest. Rennes aura donc une gare d’étape. Ce choix relance le débat car une implantation au sud devient plus logique car elle évite un rebroussement de ligne coûteux. Devant la farouche résistance des édiles et de la population, il faudra l’intervention du ministre de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux publics qui tranche pour le terrain de Lorette, le 6 mars 1855. Les travaux peuvent commencer.
Ils sont conduits promptement : la gare est terminée au début du printemps 1857. Ce ne sera pas la « cathédrale » moderne espérée, mais une gare simple et sobre dont le modèle se déploie dans les villes moyennes du territoire, comme celle de Sedan inaugurée deux ans plus tard. Le bâtiment rennais de style néoclassique regarde le nord de la ville. L’architecte de la compagnie des chemins de fer de l’Ouest Victor-Benoît Lenoir érige une gare en U avec un corps principal flanqué de deux ailes en retour d’équerre enserrant une cour fermée par une grille. Seules les arcades donnent un semblant de majesté à l’ensemble. Peu après, le site ferroviaire s’étend rapidement par la construction d’ateliers et de voies de triage. Puis, la mise en place de la ligne de Rennes à Châteaubriant sera décisive pour l’agrandissement du site à l’est, vers la plaine de Baud.
Cette gare, nouvelle polarité, offre un développement majeur à la ville. Jusqu’ici circonscrite au nord de la Vilaine, la cité se trouve dotée d’un nouveau centre nerveux. Les visiteurs venant de Paris n’empruntent plus obligatoirement la rue du même nom, au nord, mais débarquent sur les quais de la nouvelle gare où se confrontent les regards de l’ingénieur et de l’architecte, les halles et la gare de voyageurs. En face, une large avenue est aménagée pour relier le bâtiment au reste de la cité.
Elle fait partie d’un plan plus vaste imaginé par le maire Ange de Léon (maire de décembre 1855 à mai 1861) qui quadrille le sud de Rennes. La gare rééquilibre ainsi la ville haute et la basse ville par l’aménagement d’un réseau de voirie avec, à l’ouest, le boulevard Napoléon III (Tour d’Auvergne). Un second boulevard longe la voie ferrée (Colombier). Le bras sud de la Vilaine est comblé pour la mise en place des boulevards du Prince impérial et de l’Impératrice (actuel boulevard de la Liberté). Enfin, le Champ de Mars, lieu de manœuvres militaires puis d’expositions, est remanié.
Autre conséquence, la gare instaure une nouvelle césure dans la ville. Au nord des voies ferrées, le lycée impérial (actuel lycée Émile Zola, 1859-1870) et des hôtels particuliers viennent agrémenter la rive ouest de l’avenue de la Gare. Il faudra toutefois attendre plus d’un demi-siècle pour que, petit à petit, les dents creuses à l’est de l’avenue soient comblées (immeuble Poirier au n° 7 par Jean Poirier, 1931 et immeuble Tomine au n° 3 par Yves Le Moine, 1936). Au sud, sous les ateliers, commencent à se déployer des maisons de cheminots, dont le nombre augmente à la Belle Époque. Le périmètre de l’octroi, défini en 1854, est étendu.
Enfin, prémices du caractère multimodal actuel de la gare, si l’on peut oser cette comparaison, les lignes 1 et 2 du tramway urbain permettent de la relier au reste de la ville jusqu’au faubourg de Fougères et au cimetière du nord, tandis que les voitures à cheval assurent le balai quotidien dans les quartiers non desservis. Les cheminots, quant à eux, habitent tout près des ateliers et préfèrent se rendre au travail à pied ou à vélo depuis la rue de Quineleu. Ils résident le plus souvent dans de petites maisons avec jardins parfois construites par eux-mêmes. Les immeubles sont plus rares et s’ils existent, sont bas.
L’urbanisation de ces quartiers se fait de manière empirique par de petits lotissements aménagés au fur et à mesure des besoins. Ils s’étendent autour d’édifices publics comme la prison des femmes (Alfred Normand et Charles Langlois, 1860-1873) ou encore la prison départementale (Jean-Marie Laloy, 1896). Au milieu des années 1920, les principales limites urbanisées sont en place, mais les franges ville-campagne du quartier sudgare sont floues. La municipalité accompagne ce mouvement d’extension par la création de boulevards et de voies secondaires et tente ainsi de remédier à ce manque de cohérence. Seul le quartier de Villeneuve, bordé au sud par la caserne Margueritte, échappe à ce schéma.
Afin de structurer ces quartiers, la Ville établit des écoles, grâce à l’action de l’énergique maire Jean Janvier, comme le groupe scolaire de Quineleu, l’école, le square et la crèche de Villeneuve et le groupe scolaire de la rue de Vern, par Emmanuel Le Ray. L’association diocésaine n’est pas en reste puisqu’elle crée, tout près d’écoles privées, les églises des Sacrés-Cœurs à Villeneuve (Arthur Regnault, 1912) et de Sainte-Thérèse (Hyacinthe Perrin, 1936), donnant un air de village à ces nouveaux quartiers. Le quartier sud-gare constitue toutefois une enclave qui est difficile à franchir malgré les quatre passages (ponts et tunnels) aménagés au niveau des voies.
Si le quartier évolue, la gare elle-même aussi se développe. Rennes étant un lieu de garnison de premier plan, la gare jouera un rôle déterminant pour le ravitaillement et le transport des blessés dans la région durant la Grande Guerre. Jean Janvier, également commissaire militaire, est particulièrement chargé de cette organisation. Après la Première Guerre mondiale, le logement fait défaut. Des solutions sont élaborées. La première opération sera municipale avec le Foyer Rennais rue de Nantes réunissant ouvriers de l’Arsenal et des ateliers de la gare. Quelques mois plus tard est inaugurée « la cité des cheminots » boulevard Villebois-Mareuil. Une belle opération architecturale d’une modernité tempérée, rénovée depuis de manière malheureuse. La cité Pierre Martin vient compléter le programme. Ces travaux ne sont toutefois qu’une goutte d’eau au regard des besoins réels de la période.
Touchée une première fois en 1940, la gare est également bombardée par les alliés en 1943. Elle sera remodelée après guerre, tout en conservant son visage d’origine et ses activités. Une gare routière est établie au tout début des années 1950 au sud du Champ de Mars, à l’emplacement actuel des Champs Libres. Cette vaste plateforme moderne sur pilotis remplace le tramway urbain, jugé malcommode au centre de la ville. La gare est un élé- ment essentiel pour le développement économique de Rennes, sur le plan industriel, avec le prolongement d’une voie en 1961 vers l’usine Citroën, et commercial, en tant que marché à rayonnement régional.