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Dossier
#39
« La gare va devenir
un paysage urbain »
RÉSUMÉ > Architecte et urbaniste, Philippe Gazeau a fondé en 2004 le laboratoire d’urbanisme FGP(u), French Global Project. Il assure avec ses équipes la conduite du projet urbain EuroRennes. On lui doit également la restructuration de l’Hôpital Necker Enfants-Malades à Paris et la requalification du site Marcel Saupin à Nantes.

PLACE PUBLIQUE : Quelles sont les singularités du projet EuroRennes ?
PHILIPPE GAZEAU
: Il s’agit avant tout d’un projet de métamorphose urbaine. La gare de Rennes est un site clé de centre-ville. Comme la voie ferrée traverse la ville en son cœur, il y a un premier objectif de liaison entre les quartiers nord et sud. L’un des grands enjeux du projet, c’était la transformation de la gare en se servant de celle-ci pour renouveler l’image de ce grand équipement public qui va accueillir la LGV dans 18 mois. Cette évolution, on l’a voulue radicale. Pas en modifiant le bâtiment, mais bien en le transformant complètement en un « paysage construit ». La gare n’est plus seulement un bâtiment, mais elle devient un paysage urbain, qui s’envisage comme une colline paysagère, accessible à tous les usagers de la ville. Pas uniquement ceux de la SNCF, mais bien tous les Rennais.

Ce paysage construit a un peu évolué depuis la présentation initiale du projet. À quoi ressemblera-t-il, finalement ?
Les grands principes sont toujours présents : il s’agit de se servir du paysage pour créer un espace public particulier, cette colline permettant tous les modes de mobilité, y compris pour les personnes à mobilité réduite. Soit pour prendre le train, soit pour y déambuler. Ce n’est ni une rue, ni une place : c’est un passage. On pourra le traverser, s’y arrêter, s’y donner rendez-vous, pour profiter, sur cette pente installée sur l’actuel parvis nord de la gare, de tous les services et les aménagements prévus.

On y trouvera un mobilier urbain spécifique ?
Bien sûr ! Il y aura des bancs et un système d’estrades qui permettront à chacun d’y faire une pause à tout moment de la journée, dans un environnement très vert.

Comment avez-vous traité le franchissement des voies ferrées ?
Une fois qu’on est suffisamment haut sur la colline, on trouve un passage assez large qui longe la gare et qui permet de traverser les voies. C’est plus qu’une passerelle. C’est un franchissement en continuité, pour tous les modes doux de déplacements : piétons, cyclistes… Pour relier le nord et le sud, on souhaitait qu’il soit possible de ne pas traverser la gare. On pourra évidemment continuer de le faire, mais cet espace public pourra être librement emprunté à toute heure, y compris la nuit.

Vous modifiez aussi le regard porté sur les voies, depuis la gare. Pourquoi et comment ?
C’est une donnée essentielle du projet. Il s’agit de quitter l’approche traditionnelle, qui fait que, depuis une gare, on découvre surtout les arrières d’une ville, ou des architectures complètement liées à l’activité ferroviaire. Notre idée, c’est de créer de véritables quais urbains. Au sud, nous sommes à plus de 7 mètres au-dessus des voies, d’où l’idée de balcons. De part et d’autre des voies ferrées, les futurs immeubles ne sont plus envisagés avec des façades arrières sur les rails et des façades avant sur les rues. Les façades qui donneront sur les quais seront des façades principales, au même titre que celles ouvertes sur la rue.

Il n’y a donc plus de façade noble et de vue sur cour !
L’idée, c’est vraiment de changer le regard porté sur ce paysage ferroviaire, de l’intégrer à la ville et aux espaces urbains. Nous avons retourné les habitudes. Nous avons ainsi beaucoup travaillé sur le quai Féval, au sud de la gare. Au débouché du paysage construit, côté sud, on arrivera sur un parvis totalement transformé, mais on pourra aussi longer les voies ferrées par ce quai, et sur l’autre côté, on verra les façades du programme Identity, avec ses trois immeubles, dont celui abritant le cinéma d’art et essai. On redonne ainsi un visage urbain à tout ce site. On créera ainsi une identité urbaine très singulière, qui sera celle d’EuroRennes.

Dans cette approche, la dimension paysagère est revendiquée. Quelle sera la place du végétal dans cette opération ?
Elle sera prépondérante. Depuis le parvis nord, vous serez face à cette colline abondamment plantée, avec toutes sortes de végétaux, des arbres, des bosquets, des pelouses… Les deux parvis seront méconnaissables ! Côté nord, la place sera occupée par une pente paysagère qui recouvrira la gare actuelle. Et au sud également, il y aura une transformation totale, avec des grands arbres et des terrasses de café…

Comment va évoluer ce parvis sud ?
Nous allons lui redonner un véritable statut d’entrée de gare. Les deux parvis seront traités à égalité. Le parvis sud bénéficiera de l’activité des nouveaux bâtiments à proximité. À commencer par le cinéma qui sera directement accessible par cette place urbaine. Cela créera une activité sur une très large amplitude horaire. EuroRennes, ce n’est pas qu’un quartier d’affaires ou un quartier de gare. Il y aura des logements, ce sera un quartier mixte avec une programmation la plus large possible pour que les habitants se l’approprient.

Comment traitez-vous la grande hauteur ?
Vous avez la chance d’avoir à Rennes deux immeubles emblématiques, les Horizons et l’Éperon, qui sont bien admis par les habitants et qui font référence à des époques précises, les années 60 et 70. Nous avions prévu une tour signal au débouché du quai Féval et du pont de l’Alma, qui est l’axe de liaison principal nord-sud. Dans la skyline rennaise, ce serait intéressant d’avoir cette émergence contemporaine. Il s’agirait d’une tour de 90 mètres de haut, tout à fait dans les gabarits « rennais » des deux précédentes tours. Cela permettrait d’affirmer le renouveau architectural et économique de la ville au cœur d’EuroRennes.

Ce projet, sans être abandonné tout à fait, est différé pour des raisons économiques. C’est une déception ?
Il faut trouver des équilibres sur le marché des immeubles de bureaux. Il y a déjà le secteur Féval, le bâtiment Urban Quartz, l’îlot Beaumont… Dans des opérations immobilières de cette ampleur, qui transforment complètement le paysage urbain, il est fréquent que constater un certain attentisme de la part des opérateurs. D’ici à 18 mois, lorsque la LGV sera opérationnelle, que les premiers bâtiments seront construits, que l’on commencera véritablement à voir la transformation du quartier, je pense que de nouveaux acteurs vont se positionner, en réalisant le caractère exceptionnel de la situation du centre de Rennes, et la dimension de renouveau urbain apportée par EuroRennes.

Dans cette montée en puissance du programme, quels sont les points de vigilance ?
Le premier, c’est de réussir à concilier toutes les contraintes techniques des chantiers du métro et de la gare, avec la mise en place du paysage construit. Nous avons depuis deux ans des réunions très régulières avec toutes les équipes en charge de ces différents projets.

Il y a des phases critiques ?
Nous avons franchi une étape décisive avec les résultats de l’appel d’offres et la sélection de l’entreprise chargée de la réalisation du chantier. Nous sommes dans les prix, il n’y a pas eu de mauvaise surprise. À présent, nous rentrons dans le déroulement du chantier, avec l’indispensable planification et la coordination entre tous les acteurs. Les Rennais voient les difficultés occasionnées par le chantier, mais il est particulièrement complexe, avec, au nord, le chantier du métro, celui de la gare, puis la superstructure de la colline, et au sud, la restructuration du parking actuel et son extension vers l’opération Féval. Il faut saluer le travail de toutes les équipes dédiées, car ce sont des travaux considérables. Le plus compliqué à gérer, c’est la superposition des chantiers !

Avez-vous des regrets par rapport à des préconisations que vous n’auriez pas pu mener à bien ?
Le projet d’EuroRennes, ce paysage construit, va affirmer un nouveau type d’équipement ferroviaire. Nous l’avions proposé dès le début, et les élus se le sont bien approprié, ainsi que les équipes techniques. De ce point de vue, tout le monde adhère au projet. Même s’il y a eu des modifications en cours de route, comme partout, nous sommes satisfaits de la manière dont les choses se sont déroulées.

Le départ de l’architecte Jacques Ferrier, qui faisait initialement partie de l’équipe, n’a pas remis en question le projet ?
Comment cela aurait-il pu être le cas ? Le projet actuel est conforme au concept urbain initial que nous avons proposé. La prochaine échéance stratégique, c’est la mise en service de la LGV au printemps 2017. Le levier de toute cette opération, c’était bien de proposer un nouveau centre moderne de Rennes à moins d’une heure et demie de Paris, ce qui va changer beaucoup de choses, économiquement et culturellement. Le paysage construit sera d’ailleurs pratiquement terminé pour cette arrivée.