Impossible de rater leurs panneaux placardés sur de nombreux chantiers de construction ou de rénovation des villas de la Côte d’Émeraude. Christophe Bachmann et Gilles Gouronnec figurent en effet parmi les architectes locaux qui se sont fait un nom dans le domaine de l’architecture balnéaire. Le premier, installé à Dinard, a été stagiaire puis salarié chez le second, qui exerce quant à lui à Saint-Lunaire. En dépit d’un style différent, ces deux professionnels partagent une vision très précise de cet exercice particulier. « Il faut réécrire l’architecture balnéaire, mais c’est évidemment impossible si l’on se contente de faire du pastiche. Nous essayons d’aller plus loin », résume Christophe Bachmann. Pastiche ? Le – gros – mot est lâché. Faut-il rejeter en bloc l’architecture du début du 20e siècle, qui a fondé – d’aucuns diraient figé – la physionomie architecturale de la côte d’Émeraude, au prétexte qu’il s’agissait souvent d’une importation de ce qui se faisait alors ailleurs, et notamment… en région parisienne ? Sans aller jusque-là, Christophe Bachmann et Gilles Gouronnec reconnaissent à l’unisson qu’il a longtemps été difficile d’échapper aux figures imposées par l’Architecte des Bâtiments de France (ABF), Jean-Michel Germaine, très attaché à une vision conservatrice du paysage construit, et qui a durablement marqué le territoire durant près de 25 ans. Toutefois, les choses sont en train de changer, notamment avec l’arrivée d’un nouvel ABF, Alexander Entzer, plus ouvert aux évolutions architecturales dans ce secteur sensible.
« Le problème de base des architectes, c’est que lorsqu’ils sortent de l’école, ils ne sont pas formés à l’architecture de contexte. Jean-Michel Germaine, lui, nous a orientés dans un sens particulier, mais il a aidé à respecter la structure du bâtiment, à comprendre ses proportions, son identité architecturale », souligne Gilles Gouronnec, tout en reconnaissant que le contexte est aujourd’hui « plus libéré ». Un constat partagé par son confrère Christophe Bachmann : « Le nouvel ABF développe une vraie réflexion sur l’architecture balnéaire. Aujourd’hui, la tendance consiste à reprendre un élément de détail existant dans le voisinage, pour le réinterpréter ».
C’est le cas par exemple de la volumétrie des villas traditionnelles, souvent très hautes et agrémentées d’une tourelle. Cette image de la « quille au milieu du jardin » peut désormais être interprétée de manière plus contemporaine, en jouant sur les volumes. « Il faut à chaque fois s’adapter à la physionomie du quartier. Il faut bien analyser ce qu’il y a autour, reprendre un détail. Le gabarit est essentiel. Si vous travaillez sur une longère, par exemple, il faut se souvenir que la largeur maximum de ces bâtiments traditionnels n’excède pas 6,50 mètres », rappelle Christophe Bachmann.
Mais à Dinard, par exemple, les règlements d’urbanisme ont longtemps empêché toute évolution. Ainsi, sur les pointes de la Malouine ou du Moulinet, la hauteur à l’égout est limitée à 4 mètres. « Alors qu’on dispose de grands terrains, on ne peut donc que construire des maisonnettes à l’ombre des grandes villas, déplore Christophe Bachmann. Cette réglementation traduit bien la peur de faire de l’ombre à ces villas du début du 20e siècle. Pourtant, à l’époque, elles se sont construites sans grand souci de cohérence entre elles, mais elles ont été ensuite considérées comme la norme indépassable ».
Les villas balnéaires du 21e siècle doivent donc à la fois entrer en résonance avec leurs illustres voisines, tout en offrant les fonctionnalités contemporaines souhaitées par leurs propriétaires. « L’usage attendu se retrouve dans la manière de dessiner la maison : une architecture de vacances est plus ouverte, surtout en bord de mer. Ce sont des petits volumes imbriqués les uns dans les autres », note Christophe Bachmann, qui aime travailler sur des structures souvent étroites et verticales, comme un rappel des tours traditionnelles. Celles-ci, outre leur aspect volontairement ostentatoire, avaient aussi une double fonction pratique : abriter la cage d’escalier et… permettre de faire sécher les voiles des yachts que leurs propriétaires accrochaient à un anneau pour les étendre dans le jardin ! À présent, lors de rénovations luxueuses, fréquentes dans ce secteur, les tourelles dissimulent souvent le mécanisme d’un ascenseur privatif. Une dépense de l’ordre de 25 000 euros, à mettre en relation avec des budgets atteignant souvent les 700 000 ou 800 000 euros, confie l’architecte, habitué aux chantiers haut de gamme. L’agence Bachmann est notamment intervenue récemment sur la rénovation de la villa Castel Mond, offrant 900 m2 habitables sur 7 000 m2 de terrain, située juste derrière le Grand Hôtel de Dinard, et qui s’était vendu 5 millions d’euros en 2013, d’après la presse locale !
Gilles Gouronnec aime lui aussi, monter dans les tours. « Aujourd’hui, les besoins et les attentes s’expriment à l’égard du rez-de-chaussée, mais à l’étage, on cherche des vues sur mer, explique-t-il. Il faut bien comprendre l’implantation de la maison, et ensuite seulement, on peut la recomposer. Ainsi, il est essentiel de conserver les arbres, comme sur la pointe de la Malouine à Dinard, pour apporter une ponctuation qui permet d’éviter l’effet de masse », souligne l’architecte. Un exemple récent : à la pointe du Décollé à Saint-Lunaire, il a réalisé l’extension d’une belle maison des années soixante, avec un toit à 4 pentes, dans un environnement où les villas se développent sur trois niveaux. « Nous avons monté la maison d’un étage, en allant rechercher le langage des constructions voisines », explique l’architecte.
Quelles sont les tendances actuelles ? Y a-t-il un engouement particulier pour des formes, des matériaux ? « Les clients privilégient les matériaux bruts. On redé- couvre la pierre, la chaux, la brique », constate Christophe Bachmann. À l’inverse, le bois semble avoir perdu un peu de son attrait. « Il permet de réaliser des solutions graphiques en façade, mais il s’agit souvent de fausses bonnes réponses. Une maison rurale va bien se porter avec une façade bois, mais tout dépend de son environnement. J’essaie d’en utiliser dans des endroits accessibles et abrités des intempéries, pour faciliter l’entretien », complète Gilles Gouronnec. Côté couverture, le toit en ardoise à quatre pentes demeure une forme d’identification recherchée, même si les toitures en zinc se taillent un franc succès, dans un esprit plus contemporain. « Il y a eu une mode du toit en zinc à quatre pentes, à partir d’un immeuble que j’avais réalisé à Saint-Malo selon ce modèle et qui a été ensuite un peu repris un peu partout à la demande des services de la ville. C’est presque devenu une contrainte à laquelle il fallait se conformer pour les constructions neuves, en particulier les logements collectifs ! », sourit Gilles Gouronnec. Autre tendance de fond, dictée par des impératifs plus économiques, ceuxlà : la division des grandes villas en appartements. Dans ce cas, seule l’enveloppe est conservée, et les planchers bois, souvent touchés par la mérule, sont supprimés, permettant au passage une réorganisation fonctionnelle et contemporaine de l’espace intérieur.
En fait, ce qui caractérise aujourd’hui cette architecture balnéaire contemporaine, c’est aussi le mélange des genres, l’inspiration du voisinage, la réinterprétation de certains détails plus anciens. De ce point de vue, il s’agit presque d’une continuité avec la tradition des origines, lorsque les malouinières du Pays de SaintMalo incorporaient dans leur architecture des détails importés par leurs propriétaires voyageurs, notamment pour les modénatures, les boiseries, certains dessins de lucarnes… La malouinière de Montmarin, qui domine la rive gauche de la Rance emprunte ainsi certains aménagements à l’architecture coloniale du Brésil, tandis que plusieurs villas dinardaises affichent de réels airs de famille avec des édifices construits à Hué, à l’époque de l’Indochine française !
« L’architecture balnéaire, c’est un peu comme les arts décoratifs : il y a un vrai dessin à faire sur chaque maison, il faut aller dans les détails. Pour être moderne, il ne suffit pas d’épurer, c’est souvent une solution de facilité. Un cube, lorsqu’il est mal dessiné, ça reste une bouse ! », résume crûment Christophe Bachmann.
Dans le dialogue que ce professionnel développe avec ses clients, l’esquisse au crayon sur papier-calque demeure l’outil privilégié, pour partager une idée ou un aménagement. Car cet architecte pousse très loin le souci du détail : il refuse par exemple que ses clients réalisent eux-mêmes l’aménagement intérieur de leur maison, dans une logique de cohérence globale. Une exigence qui évidemment, a un prix, et contribue à véhiculer une certaine idée intemporelle de la villégiature haut de gamme qui fit les beaux jours de la Côte d’Émeraude.