Il n’y a jamais eu autant de médecins en France mais leur répartition est hétérogène avec des disparités entre pôles urbains et zones rurales isolées, ainsi qu’entre les centres des villes et certaines banlieues difficiles.
La notion de bassin de vie permet de mieux appréhender la situation en matière de démographie médicale : le nombre de médecins en activité et les perspectives à court terme. Ainsi dans les Pays de la Loire, 52 % des bassins de vie sont dotés de médecins généralistes âgés de plus de 52 ans ; les craintes de ne pas trouver de successeurs à ces médecins en fin de carrière sont réelles.
En Loire-Atlantique, il serait toutefois inexact (ou prématuré) d’établir des similitudes entre ce qui se passe dans certaines zones rurales et en ville. La densité de médecins généralistes est de 13,1 pour 10 000 habitants à Nantes et de 13,5 à Saint-Nazaire alors qu’elle oscille entre 0,7 et 3,3 généralistes pour 5 000 habitants dans les 15 bassins de vie à la plus faible densité en Loire-Atlantique. Néanmoins, la presse locale, fin décembre 2011, soulevait les problèmes posés, à Saint-Nazaire, par le non-remplacement de médecins partant à la retraite.
Dans ce contexte, l’Agence régionale de santé (ARS) a pour mission de cibler des zones fragiles où l’offre médicale doit être consolidée et resserrée sur des projets structurants pour ce qu’on appelle le premier recours. En ce qui concerne les zones urbaines, il s’agit de concentrer les efforts sur les zones urbaines sensibles.
En Loire-Atlantique, à ce jour, les projets développés ou en cours d’élaboration pour faire face au problème de démographie médicale ne concernent que les zones rurales, mais on peut penser que des solutions du même ordre sont à envisager aussi pour les villes.
Jusqu’à une époque récente, les collectivités locales n’avaient pas à se soucier de l’organisation de l’offre de soins ambulatoire. Pour beaucoup de municipalités, la santé, c’était l’affaire des médecins et de la Sécurité sociale ; les professionnels de santé s’en accommodaient fort bien. Depuis moins de dix ans, cette perception a changé, et d’abord dans les communes rurales confrontées, d’une part, à la diminution du nombre de médecins et, d’autre part, au vieillissement de la population ainsi qu’à l’arrivée de jeunes couples n’ayant pas les moyens de se loger en ville.
Parallèlement depuis 2008, le ministère de la Santé a affiché une volonté de développer des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), en définissant un cahier des charges et en dégageant des aides financières pour les collectivités locales (communes et communautés de communes). Ces dernières sont porteuses du projet immobilier, dont les professionnels de santé deviennent les locataires, à partir du moment où ils s’engagent sur un «projet de santé».
Pour faire face au manque de médecins à la campagne (mais aussi en ville), il existe à présent une volonté politique et un cadre d’intervention. Mais pour passer du possible au réel, il faut réunir la volonté des maires et l’acceptation d’un changement de modèle de la part des professionnels de santé. Le tout peut constituer un réel projet politique municipal.
Selon le code de santé publique, la Maison de santé est une personne morale constituée entre des médecins, des paramédicaux (infirmiers, masseurs kinésithérapeutes, diététiciennes…), pharmaciens. Ces professionnels se réunissent pour travailler ensemble8 autour du projet de santé… Les professionnels s’engagent, en plus de leur exercice de soignant, à se coordonner avec les autres acteurs (santé et médico-social), à s’impliquer en prévention et en santé publique, à accueillir des étudiants en formation... À côté du paiement à l’acte pour le soin (comme actuellement), il est prévu de nouveaux modes de rémunération, au forfait, pour la prévention et l’éducation thérapeutique du patient, pour le temps passé en concertation et coordination… Ce projet de santé est soumis à l’Agence régionale de santé, dont l’avis est transmis à la préfecture pour l’obtention de subventions de l’État et à la Région pour celles du Conseil régional. Ces subventions de l’État et de la Région, auxquelles peuvent s’ajouter d’autres aides de l’Europe, associées au financement de la mairie, de la communauté de communes et même du Conseil général pour le médico-social, vont permettre la construction de la Maison de santé.
La santé n’est pas une prérogative des maires et l’organisation de l’offre de soins ambulatoires encore moins. Investir dans une Maison de santé n’a donc rien d’évident même s’il ne s’agit pas de donner de l’argent public à des professionnels de santé libéraux. Il ne s’agit pas de verser des subventions à des médecins mais de réaliser un investissement immobilier qui sera amorti par les loyers payés par les professionnels de santé et par les autres locataires impliqués dans la démarche de soins coordonnés : soins infirmiers à domicile, consultation de protection maternelle et infantile…
À l’opposé de cette réticence à s’engager dans la conception d’une Maison de santé, un maire peut être pressé de construire… sans trop se préoccuper du contenu. Pourtant, il s’agit de politique de santé locale : veut-on des professionnels de santé dans la commune ou dans le quartier ? Veut-on attirer des jeunes médecins et autres professionnels de santé pour être sûr de remplacer les départs en retraite ? Des médecins seulement pour faire du soin ? Pour faire aussi de la prévention ? Des professionnels de santé réunis dans une dynamique mettant à profit les compétences de tous les acteurs (importance du rôle du pharmacien, de l’infirmière…) ? Avec quelles conditions d’accès pour la population, avec ou sans dépassements d’honoraires, avec une pratique de tiers payant ? Autant de questions qui concernent les inégalités territoriales et les inégalités économiques d’accès au soin…
Un maire peut aussi faire le choix de mettre à disposition de soignants de sa commune un local, sans les contraintes d’un «projet de santé». Dans ce cas, il ne sollicite pas les subventions pour les Maisons de santé et il n’a pas à se préoccuper de la nature de l’offre (limitée aux soins) et encore moins des conditions d’accès pour la population (type d’accueil, tarifs pratiqués, cohérence d’exercice entre les professionnels).
Des professionnels de santé peuvent aussi créer une Maison de santé (avec «projet de santé» validé par l’ARS) sans demande de subventions pour les locaux, s’ils désirent en être les propriétaires ou locataires d’un bailleur privé.
Rompant avec un exercice isolé, essentiellement consacré aux soins, exercer la médecine en Maison de santé suppose un travail en équipe, de façon coordonnée avec les associés et avec les autres acteurs de santé et du secteur médico-social du territoire environnant. L’exercice n’est pas non plus limité aux soins puisque sont prévus des programmes de prévention, de l’enseignement…
Pour les professionnels de santé les plus âgés, c’est un changement notable et brutal. Le souci de trouver plus facilement des remplaçants ou un successeur peut susciter de l’intérêt pour une Maison de santé, mais il ne faut pas oublier que la conception d’une telle Maison nécessite un long investissement avec des réunions pour apprendre à se connaître, à élaborer le projet de santé, se constituer en association, négocier… Le tout en plus d’une activité professionnelle quotidienne soutenue. Quand on a la cinquantaine passée et qu’on pourrait cheminer tranquillement jusqu’à la retraite, s’engager dans un tel projet est bien la marque d’un changement dans la profession.
Concernant les jeunes médecins, les possibilités offertes par une Maison de santé répondent aux attentes de beaucoup d’entre eux : ne pas exercer de façon isolée ni forcément à temps plein, ne pas se limiter aux soins et même pouvoir envisager des perspectives de carrière, ne pas être contraint de faire toute sa carrière au même endroit (d’où l’intérêt d’être locataire, sans avoir à s’endetter pour acheter les locaux). Des définitions par la négative… mais qui témoignent d’une volonté de rupture avec le modèle unique d’offre de soins ambulatoire imposé jusqu’à maintenant, qui marquent aussi l’intérêt porté au paiement au forfait pour la prévention et pour la coordination des soins à côté du paiement à l’acte.
Face à l’échec des mesures déployées jusqu’à maintenant pour inciter les jeunes médecins à exercer en zones sous dotées, le développement des Maisons de santé devient un phénomène de société, avec comme acteurs principaux les professionnels du soin ambulatoire (médecins généralistes, paramédicaux et pharmaciens) et les maires. Un tel constat ne mentionne pas les usagers, pourtant les premiers concernés…
Rien n’interdit que des professionnels associent à leur réflexion des patients ou des associations d’usagers (ou que des élus le proposent). Toutefois, il faut admettre que la Maison de santé reste un outil pour l’exercice libéral de la médecine. Les médecins et les autres soignants ont la responsabilité de la gestion de la Maison. S’ils ont des comptes à rendre, c’est au regard des objectifs fixés pour bénéficier des financements pour l’éducation thérapeutique et la coordination des soins. De plus la mise en place d’une Maison de santé est un processus toujours long et épuisant pour les professionnels impliqués, avant d’être motivant pour les usagers (pourtant dégagés des contraintes budgétaires). Ces préalables étant posés, la dynamique développée avec des professionnels motivés par ce mode d’exercice incite parfois des usagers à s’investir dans des Maisons de santé, pour évoquer l’accueil, la prise en compte de populations spécifiques, les choix en prévention… Les usagers, acteurs du terrain, pourront ainsi se porter garants du respect du projet de santé.
Plus que le développement croissant des Maisons de santé ces dernières années, par phénomène de société il faut entendre l’évolution attendue de l’offre de soins de premier recours qui ne se limite pas aux soins. Elle s’appuie sur les compétences de chacun des métiers de la santé, en cessant de tout focaliser sur le médecin, contraint à un exercice trop souvent isolé. C’est encore un processus en construction, librement accepté, mais qui, lorsqu’il est fait appel à des subventions publiques, impose un contenu. Il doit permettre à la population de disposer non seulement de soignants, mais de bénéficier aussi d’une offre de santé plus globale prenant en compte la prévention. Les propos bloquants du genre : «on ne va pas donner de l’argent pour des médecins » ou le politiquement correct : « on ne fera rien sans les médecins » ne sont plus en phase avec les problèmes posés par le manque de médecins qui se dessine dans certains quartiers des villes. Ne faut-il pas plutôt se dire quoi faire ensemble (professionnels de santé, collectivités locales, ARS…et usagers) ? Pourquoi et comment ?