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Dossier
#20
RÉSUMÉ > Les inégalités de santé s’accroissent en France. Face à ce constat, la ministre Marisol Touraine compte agir dans plusieurs directions. Dans cet entretien elle évoque notamment la prévention en direction des jeunes et la lutte contre les déserts médicaux avec « des soins d’urgence en moins de trente minutes », des Maisons de santé et des incitations pour que les médecins s’installent dans ces zones.

PLACE PUBLIQUE > Pensez-vous qu’aujourd’hui en France tous les citoyens soient égaux face à la santé ? 

MARISOL TOURAINE > L’égalité d’accès aux soins n’est plus une réalité aujourd’hui en France. Les inégalités devant la santé sont liées à différents facteurs. Ils sont souvent d’ordre financier et la crise que nous traversons, mais également les choix politiques des dix dernières années, ne sont pas étrangers à cette situation. Toutefois, d’autres types de facteurs peuvent être avancés : les comportements à risques, les expositions professionnelles et environnementales, le recours aux services de santé et les difficultés d’accès à notre système de soins sont particulièrement discriminants. 
Aujourd’hui, un enfant d’ouvrier a 3,6 fois plus de chance d’être obèse qu’un enfant de cadre supérieur. Nous constatons également qu’un cadre, à 35 ans, a 6,3 années d’espérance de vie de plus qu’un ouvrier. Ces inégalités se déclinent également en fonction des territoires et des lieux de vie. Une nette fracture existe, par exemple, entre le Nord et le Sud de la France, le premier voyant ainsi les cancers se développer de manière plus importante que le second. Cette situation n’est pas acceptable. Réduire les inégalités sociales et territoriales de santé est la priorité de la politique que je conduis. Pour agir concrètement, des leviers existent.

PLACE PUBLIQUE > À quel type d’inégalité convient-il, selon vous, de s’attaquer en priorité ? De quelle façon ?

MARISOL TOURAINE >
Les fragilités de la vie, l’habitat, l’alimentation, la précarité, le stress, des conditions de travail pénibles, sont autant de facteurs qui ont des conséquences directes sur notre état de santé. Au quotidien, ils contribuent à creuser les inégalités de santé entre les Français. Par conséquent, pour combattre les inégalités de santé, il faut d’abord s’attaquer aux inégalités sociales à la racine. C’est tout le sens du combat pour l’éducation, pour l’emploi, pour le logement engagé par le président de la République et le gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Redresser notre pays, c’est aussi réduire les injustices sociales. Dans le domaine de la santé, nous devons cibler notre action, notamment en direction des plus jeunes de nos concitoyens. Nous savons que des mesures les visant spécifiquement, en matière d’éducation et de prévention, permettront de modifier les comportements à risque. Des programmes d’éducation à la nutrition, adressés aux enfants dans le cadre scolaire, aident à intégrer des habitudes alimentaires appropriées. Ce type d’action a déjà fait ses preuves et les programmes menés dans certaines municipalités sont à ce titre très éclairants. La prévention est également un axe majeur de la politique de santé que je mets en oeuvre. Ces dernières années, elle a été le parent pauvre des politiques sanitaires. Elle doit être encouragée, et plus particulièrement tournée vers ceux qui, spontanément, n’y ont pas recours. J’ai à l’esprit le dépistage du cancer, dont le taux de participation est nettement plus important chez les catégories les plus aisées.

PLACE PUBLIQUE > Des petits établissements ou de petits services à l’activité insuffisante ferment. Ce mouvement va-t-il se poursuivre ? Comment voyez-vous la relation entre la sécurité, qui nécessite une pratique régulière, et la proximité, facteur d’égalité dans l’accès aux soins?

MARISOL TOURAINE >
Je veux rompre avec la conception de l’hôpital comme une entreprise. L’action du précédent gouvernement fut essentiellement guidée par des enjeux comptables. Trop souvent, des services hospitaliers ont été fermés pour des raisons strictement financières. Les questions de l’accès au système de santé et de la qualité des soins ont été reléguées au second plan. C’est inacceptable. En revanche, la sécurité est une exigence incontournable. En fixant comme cap la lutte contre les inégalités de santé, la démarche que j’ai engagée est radicalement différente. Il s’agit d’abord d’assurer à chaque Français qu’il pourra accéder aux soins sur l’ensemble du territoire, en luttant, par exemple, contre les déserts médicaux, ou en leur garantissant des soins d’urgence en moins de trente minutes. Il convient également de faire progresser la qualité des soins prodigués, en particulier dans certaines zones délaissées. C’est dans ce cadre que des rapprochements entre les structures peuvent être entrepris, leur coopération permettant par exemple le maintien d’une activité programmée dans des établissements de petite taille.

PLACE PUBLIQUE > Les déserts médicaux sont devenus une réalité dans nombre de zones rurales. Que préconisera la loi sur l’accès aux soins que vous préparez pour régler cette carence?

MARISOL TOURAINE >
Je n’aurai pas recours à une politique coercitive : elle serait inefficace et injuste pour les jeunes médecins, qui souhaitent s’installer en ville. Néanmoins, sur ce sujet majeur, je n’entends pas renoncer. À la différence des précédents gouvernements, nous n’avons pas de tabous, qui nous empêcheraient d’agir dans les territoires les plus en difficulté. Nous déploierons des solutions concrètes, afin de faire parvenir dans ces zones les ressources médicales nécessaires à une offre de soins de qualité. Tout d’abord, nous renforcerons les incitations en matière d’installation en libéral. Et cela, dès la formation initiale, en encourageant notamment les étudiants en médecine à effectuer leur stage en cabinet. Comment pourrait-on entreprendre de s’installer en ville, lorsqu’on ne connaît pas les attraits, liés à ce mode d’exercice ? Ensuite, nous identifierons, au niveau local, les territoires où des solutions innovantes doivent être apportées. Cette réflexion sera menée en concertation avec les élus locaux et les professionnels de santé : je crois en effet que les acteurs de terrain sont les mieux à même de développer une offre de soins de qualité. Des dispositifs visant à renforcer à court terme les ressources médicales de ces territoires seront proposés : la possibilité d’exercer quelques heures par semaine pour les médecins retraités ou les contrats salariés, sont des pistes que j’entends développer. L’incitation des jeunes libéraux doit être mieux ciblée : dès le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2013, nous proposons à ceux qui s’installent la création de 200 contrats de praticiens locaux de médecine générale pour soulager les territoires en difficulté.

PLACE PUBLIQUE > Les « déserts médicaux » ne concernent pas que le monde rural, le tissu urbain est également affecté. Quel est votre constat dans ce domaine et vos idées pour améliorer la situation ?

MARISOL TOURAINE >
Nous savons que certains territoires cumulent les handicaps : abandon des services publics, taux de chômage record, en particulier chez les jeunes, précarité sociale généralisée. À cette longue liste, il faut aujourd’hui ajouter l’absence d’une offre de soins de proximité. Les déserts médicaux ne sont pas l’apanage des zones rurales : ils concernent également les quartiers urbains les plus en difficulté. Il faut d’abord mettre en oeuvre toutes les incitations qui permettent aux professionnels libéraux de s’installer dans ces zones. Si nous constatons que cela est insuffisant, nous devrons recourir à d’autres dispositifs. Dans cette perspective, je pense notamment que les centres de santé sont des structures utiles. Nous constatons que les jeunes médecins généralistes sont souvent attirés par ce type de solution, qui propose une approche globale de la santé des patients, favorise le travail en équipe et met l’accent sur les soins préventifs.

PLACE PUBLIQUE > La politique de restriction budgétaire qui se met en place affecte les dépenses de santé. Quelles sont vos propositions pour que cette situation n’aggrave pas les inégalités?

MARISOL TOURAINE >
Il n’y a pas de restriction, dans le budget 2013, qui affecterait la santé des Français. Ce choix aurait été inacceptable. Pour autant, c’est la responsabilité qui a guidé la construction du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013. Responsabilité pour redresser la trajectoire de nos comptes sociaux durablement altérée depuis de nombreuses années. Nous ramènerons ainsi le déficit du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse sous la barre des 14 milliards d’euros en 2013. Cela représente des efforts considérables, mais, à la différence de nos prédécesseurs, ce ne sont pas les assurés sociaux qui seront mis à contribution. Que les choses soient claires : le redressement des comptes sociaux n’est pas une fin en soi. Il est l’expression d’une volonté politique, celle de préserver notre modèle social. Responsabilité, aussi, à l’égard des Français, auxquels nous devons garantir un très haut niveau de protection. La crise ne peut en aucun cas servir de prétexte à un affaiblissement de la protection de nos concitoyens. Le taux de croissance de l’Ondam (Objectif national des dépenses d’assurance maladie), que nous avons porté de 2,5 % à 2,7 %, traduit cette ambition. Ce sont 4,6 milliards d’euros supplémentaires en 2013 que nous consacrerons à la santé des Français. Le secteur médico-social n’est pas non plus laissé de côté. La progression de l’Ondam médico-social de 4 % nous permettra de consacrer près de 9 milliards d’euros aux établissements et services pour les personnes en situation de handicap. Dès 2013, plus de 3 000 places pourront ainsi être créées. Elles permettront de répondre aux besoins dans des domaines essentiels comme l’autisme, le vieillissement ou le handicap psychique. Responsabilité, enfin, à l’égard des générations à venir. Nous engagerons les réformes de fond de notre système de santé, tant dans l’organisation des soins de proximité, que pour conforter le rôle de l’hôpital public, afin de garantir, à terme, la qualité des soins dans notre pays.