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Dossier
#20
RÉSUMÉ > Élisabeth Hubert, la Nantaise ; Edmond Hervé, le Rennais. Ces deux personnalités politiques de l’Ouest ont été ministres de la Santé. Tout comme Claude Évin, le Nazairien, qui dirige aujourd’hui l’Agence régionale de santé d’Île-de-France.

Jean-Luc Harousseau, lui, a présidé le Conseil régional des Pays de la Loire et se trouve aujourd’hui à la tête de la Haute Autorité de santé.

Ils ont accepté de répondre à un questionnaire sur les inégalités devant la santé et les moyens d’y remédier.

PLACE PUBLIQUE > Pensez-vous qu’aujourd’hui en France tous les citoyens sont égaux face à la santé ? 

ÉLISABETH HUBERT > Plutôt que de s’obnubiler sur la question de l’égalité, peut-être ferait-on mieux, comme dans les pays anglo-saxons, de s’interroger sur l’efficience de notre système de santé ? Répond-il, à un prix raisonnable, aux besoins du plus grand nombre ? Cela dit, il existe évidemment des inégalités en matière de santé. La première d’entre elles touche au savoir, à l’information des citoyens. La seconde inégalité est d’ordre territorial. La troisième est de nature financière : on connaît trop de dépassements d’honoraires exorbitants, même si ces excès sont surtout concentrés dans quelques endroits. En Loire-Atlantique, par exemple, la moitié des ophtalmologistes a choisi de rester dans le secteur 1 et pratique le tarif qui sert de base au remboursement de la caisse d’assurance maladie.

EDMOND HERVÉ > Non. L’égalité citoyenne n’existe pas. Les inégalités face à la santé recoupent les inégalités sociales, culturelles, professionnelles, territoriales, financières… »

JEAN-LUC HAROUSSEAU > Il existe de grandes inégalités face a la maladie pour ce qui concerne la fréquence et la gravité des pathologies, la rapidité et l ‘efficacité des prises en charge diagnostiques et thérapeutiques. Il y a d’abord des inégalités génétiques avec, par exemple, la présence de gènes de susceptibilité a certaines maladies. Il y a ensuite des inégalités géographiques avec des zones moins bien desservies en professionnels de santé et en ressources médicales, ce qui peut entraîner un retard au diagnostic et au traitement. Il y a enfin des inégalités sociales avec des maladies plus fréquentes et plus graves dans les milieux sociaux défavorisés. Par exemple selon le rapport du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, l’espérance de vie d’un cadre de 35 ans dépasse de six ans celle d’un ouvrier du même âge. De même en région Île-de-France, l’espérance de vie est beaucoup plus longue dans Paris intra muros qu’en Seine-Saint-Denis. Ces inégalités sociales ne sont pas principalement dues a un moins bon accès aux soins en cas de maladie grave même si l’augmentation du reste à charge pour les maladies chroniques pose de plus en plus de problèmes. Les renoncements aux soins pour des raisons financières concernent pour l’instant surtout les soins courants, et les soins dentaires qui sont peu ou pas pris en charge par l’assurance maladie obligatoire. Elles s’expliquent davantage par des habitudes de vie différentes (alimentation, alcool, tabac...) et par une moins bonne compliance aux politiques de dépistage et de prévention.

CLAUDE ÉVIN > De nombreuses inégalités de santé touchent notre pays, des inégalités sociales et des inégalités territoriales de santé. La région Île-de-France est assez emblématique de ce point de vue. C’est la région globalement la plus riche et globalement la plus favorisée. Par exemple, 97% des Franciliens résident à moins de 2 km d’un omnipraticien. Mais c’est aussi la région la plus inégalitaire. En matière de santé, ses atouts ne profitent pas de façon équitable à tous les Franciliens. On y vit en moyenne plus vieux que sur le reste du territoire métropolitain. Mais les personnes les plus défavorisées au plan socio-économique sont aussi les plus fragiles du point de vue de la santé. Ainsi, on vit deux ans de plus dans le département des Hauts-de-Seine que dans le département de la Seine-Saint-Denis.

PLACE PUBLIQUE > Quelle inégalité doit être réduite en priorité ? De quelle façon ?

ÉLISABETH HUBERT >
Il est difficile d’établir des priorités de manière tranchée car les inégalités se redoublent et se combinent le plus souvent.

EDMOND HERVÉ > Il faut réduire les inégalités liées aux conditions de vie, de travail, d’environnement, d’accès aux moyens de santé. C’est une affaire de connaissance, de comportement individuel et collectif, privé et public.

JEAN-LUC HAROUSSEAU > La réduction des inégalités génétiques passe par les progrès scientifiques et les politiques de dépistage précoce La réduction des inégalités géographiques passe par une meilleure organisation des parcours de soins et des soins de proximité. La réduction des inégalités sociales est un problème encore plus complexe impliquant les politiques d’éducation et de formation professionnelle, de logement, d’emploi ainsi que des politiques de santé publique pour promouvoir les règles hygiéno-diététiques essentielles et lutter contre les consommations excessives de tabac et d’alcool.

CLAUDE ÉVIN > La réduction de toutes les inégalités de santé doit être un objectif partagé par tous. C’est un des objectifs stratégiques de l’Agence régionale de santé Îlede- France. Cependant, je suis particulièrement sensible à une inégalité : l’injustice qui frappe dès la naissance. La réduction de la mortalité infantile est un objectif prioritaire du projet régional de santé de l’Île-de-France. En Seine-Saint-Denis, la mortalité du premier mois équivaut à la mortalité de l’ensemble de la première année en moyenne pour la France. Ce département présente une surmortalité infantile de 38% par rapport au taux moyen francilien. Pour susciter une prise de conscience générale autour des facteurs de risques pouvant impacter l’état de santé de la femme enceinte et de l’enfant, l’Agence pilote le projet RéMI, qui associe de nombreux partenaires, institutionnels, professionnels de la périnatalité, instituts de recherche, et représentants des usagers. Notre premier objectif est de mieux appréhender les causes de la surmortalité périnatale et néonatale qui restent insuffisamment expliquées.

PLACE PUBLIQUE > Personnellement, dans les responsabilités qui sont ou furent les vôtres, quelles mesures concrètes avez-vous défendues ou promulguées pour lutter contre ces inégalités ?

ÉLISABETH HUBERT >
Tant dans mes responsabilités syndicales que comme ministre et qu’aujourd’hui dans mes fonctions actuelles, j’ai travaillé dans trois directions complémentaires. La première a consisté à rapprocher l’offre et la demande de santé, ce qui a permis de déboucher sur les Agences régionales de l’hospitalisation. Deuxième voie : le rapport que j’ai réalisé il y a deux ans pour Nicolas Sarkozy sur la médecine de proximité. J’y proposais un meilleur maillage du territoire, le développement des Maisons de santé, un nouveau partage des compétences entre professions de santé... Je dois dire que ces propositions n’ont guère été suivies d’effets, mais je ne désespère pas. Certains propos de Marisol Touraine semblent indiquer qu’elle souhaite, elle aussi, sortir de notre système hospitalo-centré. Enfin, troisième série de mesures, tout ce qui permet de prendre en charge à domicile des maladies lourdes comme le cancer. C’est désormais possible dans tous les départements alors qu’il y a encore six ans, quand j’ai pris la tête de la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile, les habitants de vingt départements restaient privés de cette possibilité.

EDMOND HERVÉ > Tout doit concourir à ces réductions. Nous avons mené une lutte contre les « grandes maladies » (cardio-vasculaires, cancers, sida…), réformé l’hôurpital, développé les alternatives à l’hospitalisation, soutenu la construction et la diffusion de scanners, de RMN. Les politiques de prévention, de promotion, d’éducation à la santé sont déterminants. Le premier rapport sur l’état de santé en France a été publié en 1985. Nous avons développé les Observatoires régionaux de santé (trois en 1981, vint-deux en 1985), mis en place des programmes locaux de prévention, des contrats santé avec les collectivités territoriales, des comités régionaux consultatifs pour la promotion de la santé.

JEAN-LUC HAROUSSEAU > La Haute Autorité de santé a pour missions d’améliorer les pratiques professionnelles et l’organisation des soins d’une part, d’évaluer les produits de santé en vue de leur remboursement et de la fixation de leur prix d’autre part. Ces deux missions visent à améliorer la qualité des soins sur l’ensemble du territoire et à optimiser l’utilisation des ressources financières. Ces actions concourent à garantir un accès aux soins efficace, équitable et pérenne. Elle a peu d’actions dans le domaine de la prévention mais participe a la promotion des dépistages de certains cancers (sein, colon, col de l’utérus).

CLAUDE ÉVIN > On sait que des éléments de la vie quotidienne sont des déterminants pour la santé. Les populations démunies en Île-de-France sont plus exposées aux difficultés spécifiques de la vie dans la région capitale : temps de transport longs, précarité des ressources économiques et des conditions de travail, difficultés de logement et exposition aux risques des logements indignes ou insalubres, expositions environnementales au bruit et à la pollution de l’aire et des sols, vulnérabilités particulières des populations migrantes ou discriminées, etc. La mobilisation de tous les acteurs est donc nécessaire pour lutter contre les inégalités sociales et territoriales de santé. C’est le rôle quotidien de l’Agence que je dirige aujourd’hui que d’orchestrer cette mobilisation, au plus près des besoins de la population et des territoires. Par exemple, l’agence a déjà signé 28 contrats locaux de santé avec des collectivités locales et 40 sont en cours d’élaboration. L’Agence s’attache à impulser une dynamique santé, en particulier sur les inégalités de santé, dans toutes les politiques publiques de la région. Des leviers, tels que l’implication de l’Agence dans des projets aussi importants que le Grand Paris, facilitent la construction de cette culture partagée.

PLACE PUBLIQUE > Les déserts médicaux ne concernent pas que le monde rural, le tissu urbain est également affecté. Quel est votre constat dans ce domaine ? Quelles sont vos propositions ?

ÉLISABETH HUBERT >
En effet, l’un des secteurs de France les plus désertés par les médecins, c’est le 19e arrondissement de Paris, l’un des plus populaires de la capitale ! Jamais les étudiants en médecine n’ont été d’origine aussi favorisée socialement qu’aujourd’hui, cela explique beaucoup de leurs réticences quand ils doivent s’installer quelque part. Cela dit, il ne faut pas méconnaître que se pose avec acuité dans les quartiers sensibles la question de la sécurité les professionnels de santé. Il faut sans doute imaginer des formes de regroupement dans un même lieu, ne pas hésiter à faire appel à des vigiles, limiter les déplacements à domicile…

EDMOND HERVÉ > Une observation : en 2008, lorsque j’ai rencontré les maires dans le cadre de ma campagne sénatoriale, ils m’ont parlé de deux sujets : la disparition de La Poste et la désertification médicale dans leurs communes. Un dialogue doit se nouer avec nos facultés de médecine. Le problème concerne des territoires et des spécialités. Il faut réhabiliter la mission du généraliste, revoir les conditions d’accès aux études médicales, faciliter l’accueil matériel dans les territoires « sous-médicalisés », mettre en oeuvre d’autres formes de rémunération que la rémunération à l’acte. Tout se tient : fermeture d’écoles, communications difficiles, chute de la population ne favorisent pas la présence médicale.

JEAN-LUC HAROUSSEAU > En milieu urbain, les problèmes de démographie médicale concernent surtout certaines spécialités (pour lesquelles il peut être difficile d’obtenir un rendez-vous rapide) ainsi que la permanence des soins notamment le week-end. La Haute Autorité de santé travaille avec les professionnels et les Agences régionales de santé pour promouvoir des protocoles de coopération entre professionnels de santé (avec délégation dérogatoire de responsabilités d’un médecin a un autre professionnel de santé ). Elle travaille également à l’élaboration de parcours de soins dont l’objectif est une meilleure prise en charge médicale et une meilleure utilisation des moyens.

CLAUDE ÉVIN > Effectivement, la désertification médicale concerne autant les zones rurales que les territoires urbains, notamment défavorisés. Le territoire d’Île-de-France illustre parfaitement cette réalité, avec des zones sensibles comme la Seine-Saint-Denis et des zones rurales comme la Seine-et-Marne. Une des priorités de l’Agence au cours des prochaines années est de structurer progressivement l’offre de santé en fonction des besoins de la population francilienne. En Île-de-France, la densité d’omnipraticiens libéraux est inférieure à la moyenne nationale (87 pour 100 000 habitants contre 99) et la densité des infirmiers libéraux est deux fois moins importante que le niveau national. Certains territoires présentent des effectifs déjà particulièrement inquiétants ou en forte diminution, laissant craindre de forte difficultés d’accès aux soins si rien n’est fait dans les prochaines années. L’Agence oeuvre actuellement avec ses partenaires (URPS, Centres de santé, collectivités territoriales, universités, usagers…) pour activer tous les leviers : déterminer les zones de la région dans lesquelles des mesures spécifiques pour favoriser une meilleure répartition des professionnels libéraux peuvent être mise en oeuvre ; aider l’installation des professionnels de santé ;promouvoir, soutenir et accompagner des structures d’exercice collectif (maisons de santé pluridisciplinaires, centres de santé, cabinets de groupe) ; définir des projets territoriaux pour proposer des interventions complémentaires adaptées aux spécificités du territoire.

PLACE PUBLIQUE > Selon vous, comment se situe l’Ouest par rapport à la question des inégalités territoriales ou environnementales face à la santé ? Quel est votre diagnostic ? Quels sont les expériences ou les mesures qui, dans cette région, vous semblent prometteuses ?

ÉLISABETH HUBERT > Globalement, la situation de l’Ouest n’est pas mauvaise, même si l’alcoolisme demeure un problème dans certaines régions. Si l’on regarde les choses de plus près, il existe évidemment un contraste entre la bande côtière et l’arrière-pays. La Baule n’est pas dans la situation du centre Bretagne. D’où la nécessité de construire des solidarités médicales qui permettront d’éviter les mesures coercitives en matière d’installation des médecins. Les Maisons de santé sont des solutions intéressantes. Elles connaissent un développement remarquable dans un département comme la Mayenne. En Loire-Atlantique, je pourrais citer l’exemple de la Maison de santé de Clisson qui regroupe près de 40 professionnels. C’est l’avenir : une offre de qualité permise par le regroupement des compétences.

EDMOND HERVÉ > Il faut construire un diagnostic partenarial et partagé et ne pas oublier de répondre à la question principale : qui doit financer ? Nous devons tout faire pour conserver le système de solidarité, de sécurité sociale aujourd’hui inséparable de la question fiscale. 30% des ressources de la sécurité sociale proviennent de l’’impôt (et les deux tiers de ces 30% de la CSG).

CLAUDE ÉVIN > Je suis sensible aux stratégies de développement de la télémédecine dans l’Ouest. Elles participent non seulement à la réduction des inégalités de santé intra-régionales, mais aussi à l’amélioration de la qualité du service rendu au patient tout en veillant à une meilleure efficience de la dépense.