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Dossier
#23
Des paroles de migrants au musée de Bretagne
RÉSUMÉ > Des paroles d’immigrés arrivés en Bretagne, il y a parfois très longtemps. Des objets, des photos. C’est ce que donne à voir et à entendre la belle exposition « Migrations » visible au musée de Bretagne jusqu’au 1er septembre. Pour ce dossier de Place Publique, Françoise Berretrot, commissaire de l’exposition, a sélectionné des témoignages d’immigrés rennais. Où l’on voit que pour tous l’adaptation au nouveau pays est un combat, mais un combat mené sans amertume avec parfois, à la clef, un bonheur possible.

     Construire une exposition a tout d'une aventure. Celle de « Migrations » débute en 2010. L'étude des sociologues Anne Morillon et Angélina Etiemble , portant sur l'immigration en Bretagne, constitue très certainement le déclic de ce travail. Le musée de Bretagne choisit de mettre en parallèle deux courants: l'émigration des Bretons et l'immigration en Bretagne, du 19e au 21e siècle.
      Préservant un cadre historique affirmé, notamment dans l'introduction qui situe l'ancienneté des mouvements migratoires dans le temps, l'exposition se veut surtout un parcours sensible, sorte d'immersion pour le visiteur qui peut lire et écouter des témoignages recueillis pour l'essentiel par le musée.
     Pour dérouler le fil rouge de l'exposition, nous avons choisi une muséographie contemporaine, permettant de s'imprégner des étapes migratoires au gré de six séquences. Pour les périodes les plus anciennes, l’essentiel des ressources se compose de nombreux documents d’archives ainsi que de collections de musées. La partie contemporaine se constitue principalement autour de la parole des témoins.
     Tous ces documents ont un point commun: ils traitent de l'humain, des « petites histoires » qui sont le fondement de la grande Histoire de l'immigration en train de s'écrire.
      Il est impossible d'extraire des généralités sur l'ensemble des personnes ayant accepté de témoigner, au risque de contresens, voire de contrevérités. Aussi, pour aborder la question des étrangers sur la métropole rennaise, nous avons choisi 20 personnes. Ce sont des femmes et des hommes, Irlandais, Portugais, Algériens, Turques, Mongoles, Malawiens, Afghans, Espagnols, Suédois, Lybiens, Iraniens, Vietnamiens, Cambodgiens, Italiens, Congolais, Danois, Colombiens, Marocains, Tunisiens. Ils reflètent la diversité d'origines sur le sol rennais et breton.  

     Pour ces personnes, l'âge d'arrivée varie entre 2 mois et 65 ans. Les raisons du départ migratoire sont diverses. Pour l'essentiel, il s'agit de raisons politiques, la vie étant parfois en jeu; contraint à l’exil, à “laisser derrière soi ce qui nous lie”, comme l’exprime une jeune femme vietnamienne. Il faut quitter le pays d'origine pour vivre, ou survivre, sans espoir de retour, même « s’il y avait toujours dans ma tête une valise prête à repartir. »
     D'autres sont partis par amour, rejoindre un conjoint ou une conjointe, dans un pays dont bien souvent ils ignorent tout.
     Certains sont venus chercher du travail et un niveau de vie plus élevé en France. Pour sa part, Ali, kabyle d'Algérie, s’est installé à Rennes à l'âge de la retraite afin de se rapprocher de ses trois enfants. Il a obtenu son titre de séjour en 2002.
     Que ce départ soit subi ou désiré, les mots « nostalgie », « déchirure », « cassure », « souffrance » reviennent dans les propos.
     « Le fait par exemple de transplanter un arbre [...] qui a l'habitude de vivre dans un coin, et puis au bout de 10- 15 ans, vous le déracinez pour le planter ailleurs, évidemment, il y a toujours une certaine souffrance ». Ali

     Ils sont unanimes : la langue est fondamentale. Sans langage, sans communication, vous êtes coupés du monde. Certains parlent « d'amputation de soi-même ». L'accent est parfois mal perçu, vous colle à la peau, fait aussi que l'interlocuteur vous appose trop souvent une étiquette. Les réactions vont de l’étonnement à des remarques plus stigmatisantes. Jenny, suédoise – brune - évoque avec beaucoup d’humour des retours sur son accent : « Vous êtes suédoise ?... Mais vous n'êtes pas blonde ? »
    Pour Pilar, arrivée dans les bras de sa mère, réfugiée espagnole, son prénom espagnol interroge les Français et son accent français interroge les Espagnols. Mais pour Tsetseg, originaire de Mongolie, l'utilisation du terme « mongolien » pour désigner les personnes atteintes de trisomie, la choque profondément.

     Hasan, Kurde de Turquie, analyse avec recul son arrivée à Rennes : « quand vous arrivez dans une ville, il n’y a pas d’accueil pour vous dire “vous êtes qui, vous êtes arrivé pourquoi.” Alors vous vous plantez au milieu de la ville et vous vous dites : je vais dormir où ce soir, je vais aller où? ... » Il connaît la difficile réalité des foyers. Tout comme Jamila, originaire de Lybie, et en attente de la réponse à sa demande d’asile. Elle quitte le sud-est de la France pour Rennes, réputée plus accueillante. Les formalités administratives restent les mêmes, ainsi que le passage en préfecture tant redouté. Les associations et collectifs les soutiennent.
     Pour Andrew, originaire du Malawi, son premier contact avec la ville se fera via le centre de rétention administratif. Pour A. (Iran), le parcours pour obtenir les papiers de régularisation est ardu: « Quand je suis arrivé à Rennes, j’étais très content. [...] Psychologiquement, on dit que les conditions les plus difficiles sont celles où l’individu est tenu en suspens. [...] Vous ne pouvez pas travailler, vous ne pouvez pas aller à l’université, vous ne pouvez pas vous intégrer dans une société, vous ne pouvez pas communiquer avec les gens, vous ne pouvez pas vous mêler aux autres, c’est-à-dire que vous êtes bloqués, vous ne pouvez nullement bouger et ce sont vraiment des conditions difficiles mentalement.. »

     Le départ du pays d’origine est, pour beaucoup, motivé par la recherche d’un travail qui les aidera à vivre mieux et « surtout à assurer l’avenir des enfants » (Espéranza, Espagne, arrivée à Rennes avec son mari en 1963). Gracinda, portugaise, rejoint en 1976 son mari, ouvrier dans le bâtiment à Rennes. Dans un grand rire elle évoque son métier de femme de ménage. « C’était tous les jours, parce qu’il y avait les enfants à élever [...] Pendant vingt ans je me couchais à minuit et me levais à 4 heures du matin. »
     Tous évoquent là encore la difficulté linguistique qui handicape pour passer les entretiens ou les concours de la fonction publique. Sandra (Colombie) a dû attendre trois ans pour obtenir une formation: « la langue, ça a été une barrière », précise-t-elle.
     Trois jeunes femmes (Maroc, Tunis, Turquie), n’ont pu trouver que des postes d'agent d'entretien: « quand on ne sait pas lire ou écrire, que la langue est difficile, c’est le seul métier qu’on trouve. »
     Leyla (Turquie) se sent à l’aise dans son travail avec ses collègues de la ville de Rennes. Mais elle a dû renoncer à chercher un emploi dans son domaine de compétences, le textile : « J’ai baissé les bras très vite et j'ai perdu confiance en moi. À l’Anpe, ils m’ont proposé un travail : le seul travail proposé, c’était travailler dans une boulangerie turque, [rires…] comme j’étais turque, mais c’était pas mon métier ! »

     Découvrir de nouveaux codes sociaux, la difficulté de s’exprimer au téléphone, de dépasser les manques du pays d’origine, ses saveurs et ses odeurs, pour s’habituer à un nouveau climat, au goût différent des aliments… Tous s’accordent sur ces étapes incontournables, préalables nécessaires à la rencontre d’autrui. Certains repartent pendant les vacances au pays d’origine et reviennent ensuite les valises pleines des épices locales.
     Nombreux sont ceux qui s’investissent dans des associations, souvent pour valoriser leur pays d’origine. Ainsi madame Ou San, réfugiée cambodgienne, arrivée à Rennes en 2000, s’implique dans l’association « Solidarité Bretagne Cambodge ». Les loisirs de Dolores (Espagne, arrivée en 1967) sont liés au « Cercle Culturel espagnol ». Martine (Côtes d’Ivoire, arrivée à Rennes en 1992), défend un projet d’ouverture d’une bibliothèque à Logoualé, au sein de l’association « Le Bougainvillier ».
     Anna Maria, trouvant trop difficile de rencontrer des Français, s’est investie dans le football gaélique et a créé l’équipe féminine en 2004: une façon pour elle de promouvoir la culture irlandaise.

     Alors que garde-t-on de son pays d’origine et que transmet-on aux générations suivantes ?
     Des objets ou documents qui font sens pour ceux qui les détiennent : une pierre de son pays pour Jean-Jules (République démocratique du Congo), une chaîne en or pour Gracinda (Portugal), transmise de mère en fille, des photographies pour d’autres… et surtout une culture.
     Pour Sandra (Colombie) : « mon pays, c’est la Bretagne. Je me sens bretonne, têtue comme une Bretonne et j’ai besoin des deux cultures pour avoir une stabilité. C’est très important pour moi de transmettre ma culture, les valeurs de partage et les richesses de mon pays à mon fils cadet. »
     Si Ziad, Kabyle, n’a pas quitté Rennes depuis son arrivée en 2005: « Être expatrié, c’est un handicap, c’est lourd, c’est un fardeau que l’on aimerait bien poser mais on ne peut pas alors on vit avec [...] La Kabylie, elle est tout le temps en moi. Je vis bien ma kabylitude en Bretagne. »
     Jenny (Suède) revendique ce « quelque chose de plus, mais on a aussi parfois ce sentiment… que l'on ne sait pas trop à quoi on appartient. »
     Ólöf, née au Danemark, a partagé sa vie entre l’Islande et la France. Elle aime « habiter dans l’arc-enciel qu’on s’est fabriqué soi-même entre les deux endroits. » Dolores apprécie sa vie ici : « J’ai choisi de finir ma vie en France avec mes enfants, ils sont informés de mes choix de vie à Rennes. »
     Alors, si pour certains l’exil nécessite de faire le deuil de sa vie antérieure et si pour d’autres le départ évoque l'espoir, ils sont nombreux à penser qu’il faut se battre, s’investir, sublimer pour en faire « quelque chose de positif. »
     Ou, comme le dit si bien Leyla : « Je pourrais repartir : j’ai des amis, j’ai une famille [là-bas], j’ai aucune famille ici ! Mais, il y a quelque chose, ça fait dix ans déjà, on commence la lutte de quelque chose et après on le quitte pas, on va jusqu’au bout! »