Le Fonds d’aménagement urbain régional (Faur) a été rebaptisé, en 2005, Eco-Faur (Eco comme écologique). Il accompagne désormais des opérations d’aménagement des communes bretonnes, pour promouvoir un urbanisme durable. En vingt ans, il avait permis à la quasi-totalité des 1 268 communes bretonnes de mettre en valeur centre-bourgs et quartiers. Réorienté en 2005, ce dispositif finance désormais des travaux répondant à un ensemble de préoccupations environnementales : maîtrise de l’énergie, haute qualité environnementale dans les bâtiments publics et le logement, économies d’eau, liaisons espaces urbanisés – espaces naturels, qualité de l’air, réduction du bruit…
L’ancien Fonds d’aménagement urbain régional avait eu un très grand avantage, celui d’inciter les communes à entretenir leurs bâtiments, à réaliser des travaux sur les espaces publics. Dans ce cadre, une subtile et remarquable intervention, récompensée de nombreux prix, fut conçue et réalisée dans la commune de Plourin-lès-Morlaix entre 1991 et 2004, par un maître d’oeuvre très attaché aux qualités patrimoniales, durables et équitables des lieux.
Mais ces opérations-phares restèrent trop isolées, les interventions se cantonnant le plus souvent, sans projet d’ensemble, à favoriser les parkings, à installer de nouveaux éclairages ou du mobilier urbain et des équipements.
Le nouveau conseil régional se refusa d’emblée à jouer une simple fonction de guichet de distribution de crédits aux communes. Il s’inscrivit rapidement dans le grand courant de l’écologie durable, du rapport Brundtland jusqu’à ses déclinaisons nationale et régionale (avec en 1999-2001 le rapport Le Sann sur le développement durable en Bretagne), la création de l’association Haute qualité environnementale (1996), l’Agenda 21, l’obligation du Plan d’aménagement et de développement durable (1999) préalable au Plan local d’urbanisme pour les agglomérations. Ces incitations et bien d’autres, le fait que les élus (hors des grandes villes, telle la communauté de communes de Lanvollon-Plouha prenant à bras-le-corps le problème de l’eau potable) se lancent dans cette voie, constituèrent un terreau fertile pour le dispositif Eco-Faur.
Depuis 2005, la distribution d’aides est subordonnée au respect d’exigences émises par le Conseil régional et rassemblées dans un Guide régional de l’Eco-Faur4. Très didactique, il rappelle Les défis planétaires, régionaux et locaux, présente le dispositif et décrit treize objectifs, en prenant pour chacun d’eux des exemples de communes qui, tant en Bretagne qu’au niveau national ou européen, ont proposé des traitements intéressants.
Les experts de la Région attendent des propositions locales visant au plus près ces objectifs. Comme les petites communes ne disposent pas des techniciens qui pourraient les conseiller et les aider à présenter leurs demandes, les responsables d’Eco-Faur ont proposé de mettre en place une aide à l’ingénierie pour conseiller les collectivités et pour stimuler les choix dans le sens d’un aménagement durable.
Sur 1 268 communes bretonnes des quatre départements, près des deux tiers, ont transmis 775 propositions. 686, classées recevables, ont été instruites ce qui représente plus d’une commune sur deux (56 %)5. 418 ont été éligibles à une aide du fonds Eco-Faur, soit plus du tiers des communes..
Comment sont choisis les dossiers éligibles ? Trois filtres successifs s’appliquent : l’examen par une commission technique, puis l’intervention d’une commission d’experts (architectes, urbanistes, spécialistes des énergies...), enfin la validation politique par la commission Eco-Faur du Conseil régional.
Les règles d’affectation des aides financières suivies par le Conseil régional ont été les suivantes : « Les travaux sont subventionnés jusqu’à 30 % de leur montant et les études jusqu’à 50 % de leur coût. Pour un projet ponctuel, l’aide est plafonnée à 100 000 € par bénéficiaire sur trois ans et ne peut être inférieure à 10 000 € ». Entre 2005 et 2009, 31 millions d’euros de subventions ont été attribués pour la réalisation de projets et 2,9 millions d’euros d’aides pour les 240 études nécessaires à la conception de ces projets communaux et intercommunaux.
Quels genres de travaux ont-ils été réalisés ? Beaucoup d’élus de communes modestes, sont confrontés au difficile pari de changer radicalement, d’opérer une « révolution culturelle » auquel le Faur ne les avait sans doute pas préparés.
Le dispositif Eco-Faur ne vise pas à faire émerger des projets qui se résumeraient dans l’addition de technologies innovantes (panneaux solaires, ventilation double flux, brique monomur, puits canadien...). Non, il s’agit, au travers des trois catégories de projets : équipements et bâtiments publics ; nouveaux quartiers, réhabilitation ou redensification de quartiers existants ; espaces publics ou projets de paysages, d’élaborer des perspectives démocratiques, urbanistiques, techniques, sociologiques, économiques, naturalistes et environnementales visant à modifier les systèmes naturels et culturels dans une visée globale (à des échelles diverses), soutenable (dans des temps historiques qui dépassent le moment restreint de l’opération), et salubre (qui assure des habitats satisfaisants gages de la pérennité des espèces)...
Au fil du temps, le dispositif a été amélioré. Des élus ont exprimé ainsi les difficultés nouvelles auxquelles ils se trouvent confrontés : « La procédure est compliquée. Elle est « garante du bon usage de l’argent public ; le Faur donnait parfois des subventions trop vite. Il faut donc plus de cohérence et une vision plus globale de l’aménagement. La procédure avantage les villes où des techniciens peuvent monter les dossiers ». Le maire du Ferré (Ille-et-Vilaine) ajoute : « On a besoin de conseils extérieurs ». Ou encore « Un accompagnement devrait exister en amont de la demande de subvention pour les petites communes »...
La réponse apportée à cette légitime attente tient en ces termes : « Toutes les communes n’ont pas les moyens de financer des études préalables. Pour les inciter à en mener, la Région finance deux types d’études : les études stratégiques à caractère prospectif (nécessaires au développement de la commune à long terme) et les études pré opérationnelles d’aide à la définition des projets et des opérations à court terme. Son aide représente 50 % du coût dans la limite de 50 000 € ».
En accompagnement, un certain nombre d’organismes experts ont été appelés, pour aider ces communes dans leurs démarches. L’Agence pour le développement de la maîtrise de l’énergie (Ademe) d’abord. Non seulement, cette dernière a proposé, avec Rennes Métropole par exemple dans le cadre de l’Addou (Approche développement durable des opérations d’urbanisme), de soutenir les collectivités qui aspirent à opérer de manière plus écologique, mais l’Agence locale de l’énergie (financée par le conseil régional et l’Ademe) se met à la disposition des maîtres d’ouvrages qui le désirent pour réaliser des expertises en amont.
Les Caue, là où ils existent (Côtes-d’Armor, Morbihan), conseillent les maires qui le demandent. Cet accompagnement correspond à leur mission pédagogique de qualification architecturale, urbanistique et environnementale des projets. Certains vont au-delà d’analyses critiques et de suggestions ; ainsi le directeur du Caue des Côtes-d’Armor, en relation avec les architectes du Vorarlberg (Autriche), a fait circuler en Bretagne une exposition présentant les avancées de cette architecture du rable mise au point par quelques grands noms (Walter Unterrainer, Hermann Kaufmann), voire obtenu leur aide sur un ou deux projets (Boquého, Côtes-d’Armor, en particulier).
Enfin, des initiatives d’acteurs mobilisent la filière Habitat durable du Morbihan, une société bancaire et une agence d’architecture (Bernard Menguy, Vannes), comme lieu d’accueil de spécialistes européens de la construction et de l’aménagement durable et solidaire pour proposer des conférences sur ces thèmes.
Les dossiers présentés par les communes ont notamment révélé la présence de quatre catégories d’expertsconseils ; pour les situer, voici quelques critères : les nombres d’organismes par catégories et de dossiers présentés, les moyennes des notes d’évaluation appliquées aux dossiers par les services techniques de la Région pour les cibles, le taux de réussite selon les dossiers présentés.
Le marché de l’assistance aux communes pour la réalisation des dossiers est dominé par les bureaux d’études composés de professions aux compétences multiples (architectes, urbanistes, paysagistes, économistes...), les architectes (les plus performants) et les géomètres. Comment ces différentes catégories de porteurs de projets auprès des maires prennent-ils en compte les facteurs écologiques ? De ce point de vue, ce sont les bureaux d’études qui semblent les plus aptes à composer avec l’ensemble de ces paramètres.
Certains objectifs sont plus courus que d’autres. Deux séries d’écarts interrogent :
Les cibles les mieux traitées par les communes ont trait à la mixité sociale, ce qui suppose la diversité des architectures et des usages ; à la maîtrise de la consommation de nouveaux espaces, ce qui s’exprime par le rejet de l’étalement des agglomérations et passe par la limitation des parcelles constructibles à environ 300 m2 ; à l’accroissement du confort et de la qualité sanitaire des projets qui conduit au choix de peintures sans solvants, de l’isolation en laine de chanvre, de l’éclairage naturel, des matériaux sans traitement chimique...
Les projets échouent parfois à préserver le patrimoine bâti et en même temps à encourager l’innovation architecturale ; pourtant, les élus se doivent de conserver des paysages et sites bâtis traditionnels et d’ouvrir à toutes les transformations supportables pour les dizaines d’années à venir. Seconde difficulté, moins aiguë, cette fois autour du développement d’une culture de pédagogie, de concertation et d’évaluation. Peut être est-ce là le signe d’un freinage de la démocratie : un élu ne peut pas trop innover car il risque de ne pas être réélu… Combien de projets sont apparus plus audacieux juste après les élections municipales !
Ce spectre contrasté des gouvernances qu’offrent les élus – de droite, comme de gauche – dans l’aménagement de leurs communes peut se résumer par quelques traits. On repèrerait ainsi :
Les pionniers : ils ont décroché très rapidement des soutiens, ils ont été cités en exemple, mais ils ont surtout mené, sans concession, des projets qui les situent comme des références reconnues au-delà de la Bretagne (Silfiac, Langouët). Ils ont même été à l’initiative d’une activité pédagogique pour entraîner leurs pairs sur cette voie de l’aménagement soutenable et équitable. L’émergence de l’association Bruded (2005), porte bien ces intentions : favoriser les démarches de développement durable des collectivités adhérentes, faire connaître des réalisations concrètes et partager les expériences.
Les convertis. Ces maires ont pu, dans un premier temps être très critiques à l’égard de la nouvelle politique. Mais ils ont petit à petit compris l’intérêt de ses exigences. Ce maire d’une petite commune reconnaît même l’utilité de cette pédagogie par l’échec. Son très mauvais dossier de 2007 (la rénovation d’un équipement) a été suivi d’un bien meilleur. Cet autre maire, finalement primé aux « Échos forts de l’Éco-Faur 2010 », reconnaît ne s’être rallié que lentement à la démarche.
Les résistants. Ces élus peinent à entrer dans le nouveau dispositif. Ils tentent d’obtenir des aides sans s’inscrire dans la nouvelle culture ; ils peuvent en comprendre l’intérêt, mais dès que des choix pratiques interviennent, ils omettent les questions environnementales pour se rallier aux seuls calculs économiques. Un exemple rappelé fréquemment : une commune du Morbihan devait faire une commande de bordures en granit. La décision d’accorder le marché au moins disant a conduit à passer commande à un fournisseur chinois au détriment d’un producteur breton !
Les silencieux. Presque 500 communes n’ont pas sollicité d’aide financière. Elles constituent de façon composite des énigmes, une terre de mission ou un source de progression à venir.
Des efforts considérables ont été déployés pour inciter les communes à basculer vers d’autres manières de concevoir et d’orienter l’aménagement. Les deux conseillers régionaux qui ont défendu le dispositif, Gérard Mével et Isabelle Thomas, ont animé quelques centaines de rencontres avec les élus. Ils ont, avec l’appui des membres du service Environnement du conseil régional, assuré des permanences, indiqué aux représentants des collectivités qui s’y sont rendus, les améliorations à apporter aux dossiers en cours de réalisation... Enfin, ils sont lancé des Ateliers techniques régionaux du paysage pour sensibiliser les acteurs. Ces rencontres explorent chaque année un thème différent : le littoral et le paysage, le paysage urbanisé de demain, un paysage à inventer entre ville et campagne, la relation entre énergies et paysage : efficacité énergétique des nouvelles architectures, impact paysager des énergies renouvelables...
Unique en France, le dispositif Eco-Faur soulève de nombreuses questions dont trois au moins devraient recevoir des réponses pour le conforter :
Local et global. Sans doute l’aide aux communes constitue une échelle essentielle ; mais l’appui pourrait vite devenir insoutenable s’il n’était pas guidé par une vision du développement global de notre région. Ne manque-t-il pas dans le dispositif un échelon de projet que la mise en oeuvre d’un outil tel que l’Etablissement public foncier régional rend encore plus nécessaire ?
La maritimité de la presqu’île bretonne soulève d’autres défis. 221 communes bordent le littoral ; leurs demandes sont de plus en plus nombreuses. Les milieux humides, fragiles, très convoités, de leurs côtes représentent des enjeux essentiels pour notre région. On compte en outre trois parcs naturels régionaux (Armorique, Golfe du Morbihan, Rance et Frémur). Tout cela n’appelle-t-il pas un Eco-Faur plus ambitieux, voire un réseau de compétences et d’expériences capable d’endiguer les dangers et de tracer les caps d’une qualification durable des paysages littoraux ?
L’évaluation. Eco Faur fournit des aides avec la conviction qu’elles sont orientées pour qualifier les systèmes naturels (hydriques, biodiversité ...), favoriser la cohésion sociale et améliorer nos paysages ; mais qui peut soutenir, preuves à l’appui, qu’objectifs et réalités vont dans le même sens ? La question de l’évaluation des résultats complexes atteints n’appelle-t-elle pas un mode de mesure indépendant ?
(Cet article doit beaucoup à Fabrice Dalino [Responsable de la politique urbanisme durable] et Cédric Fines [Chargé de mission Eco-Faur] et au Service énergie, écologie urbaine, air et déchets).