en Bretagne, mieux vaut être boursier
Universités, grandes écoles et pouvoirs politiques s’arrachent les étudiants étrangers. Les attirer, c’est répondre à de nombreux enjeux politiques ou économiques. Les étudiants internationaux sont souvent présentés comme des ambassadeurs du territoire et des partenaires francophones privilégiés ; une fois repartis chez eux, ils feront peut-être la promotion du pays, de la région ou de la ville où ils ont vécu pendant leurs études…
À Rennes, la création, en 2001, de l’Europôle illustre cette volonté de renforcer la mobilité étudiante. Cette instance a été créée à l’initiative des universités de Rennes 1 et Rennes 2 pour promouvoir le site rennais à l’étranger et encourager la mobilité étudiante internationale, qu’elle soit entrante ou sortante.
En lien avec cette initiative mais aussi du fait de l’augmentation du nombre d’étudiants internationaux en France et dans le monde, la Bretagne connaît depuis quelques années une très forte croissance des effectifs étrangers au sein de son enseignement supérieur. Mais combien sont-ils? Où vont-ils étudier? De quelles régions du monde sont-ils originaires? Quelles difficultés rencontrent-ils pendant leur séjour et quel regard portent-ils sur la ville de Rennes ?
En 2007-2008, environ 8 000 étudiants de nationalité étrangère étaient inscrits dans l’enseignement supérieur en Bretagne, 75 % d’entre eux à l’Université, les autres majoritairement dans les écoles d’ingénieurs et les écoles de commerce. Ces chiffres posent cependant problème. La catégorie « étudiant étranger », basée sur le seul critère de la nationalité, rassemble deux groupes différents: les étudiants étrangers issus de l’immigration – dont les parents habitent en France – et les étudiants véritablement « en mobilité internationale ». La relecture des statistiques, en prenant en compte la variable « lieu d’obtention du baccalauréat » (seulement possible pour les effectifs universitaires), montre que 24 % des 6 066 étudiants de nationalité étrangère inscrits à l’université sont des étudiants étrangers issus de l’immigration qui ont obtenu leur baccalauréat en France. En 2007, seulement 4 600 étudiants sont véritablement en mobilité dans les universités de Bretagne.
Les données fournies par le rectorat et par le ministère permettent une étude depuis 1964 sans toutefois pouvoir isoler les étudiants en mobilité internationale (les chiffres détaillés n’existent que depuis 1996). Le nombre d’étudiants étrangers en Bretagne a été multiplié par 15 entre 1964 et 2007, passant de 390 en 1964 dans les universités de l’académie de Rennes à plus de 6 000.
Cette augmentation s’explique principalement par la croissance des effectifs en France et dans le monde. En 1950, la France ne comptait que 8 000 étudiants étrangers. En 2007, ils sont environ 205 000 ; les effectifs ont été multipliés par 25! La France est aujourd’hui le quatrième pays d’accueil après les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Cet essor de la population étudiante étrangère en France renvoie à la forte augmentation du nombre d’étudiants en mobilité internationale dans le monde: 108 000 étudiants internationaux dans le monde en 1950, 2,9 millions en 2006 (Unesco).
Le développement de la mobilité internationale pour études relève d’explications différentes selon les régions d’origine: actions institutionnelles dans les pays du Nord (exemple du programme d’échanges européen Erasmus, augmentation de la demande en enseignement supérieur dans les pays du Sud et dans les pays émergents (augmentation du nombre d’étudiants et insuffisance des formations universitaires locales).
En 2007-2008, les étudiants internationaux représentent 7 % de l’ensemble des étudiants inscrits dans les universités bretonnes. Cette part est très inférieure à celle calculée à l’échelle de la France (11,7%). Elle place la Bretagne en dernière position.
Cependant, le nombre élevé d’étudiants en Bretagne explique en partie ce classement. Car, en nombres absolus, la Bretagne est assez bien placée: avec 4 600 étudiants internationaux à l’université, la Bretagne se trouve à la onzième place sur 22 régions françaises.
La répartition des étudiants internationaux sur le territoire national est très concentrée: trois régions accueillent la moitié d’entre eux: Ile-de-France, Rhône-Alpes et Provence- Alpes-Côte-d’Azur. Seulement 3 % sont inscrits en Bretagne, alors que les trois académies d’Ile-de-France (Paris, Créteil et Versailles) accueillent à elles seules près d’un étudiant international sur trois (32,6 % du total).
À l’instar de l’ensemble des étudiants, les étudiants internationaux sont très inégalement répartis sur le territoire breton. Rennes et Brest groupent à elles seules 90 % de ceux qui sont inscrits à l’université. Capitale régionale et universitaire, Rennes en accueille 10 sur 15, 3 100 étudiants au total en 2007, contre 1 070 à Brest et 215 à Lorient. Le solde se répartit entre Vannes, Lannion, Quimper, Saint-Malo, Saint-Brieuc et Morlaix.
L’Afrique est le premier continent d’origine des étudiants internationaux à Rennes avec 37 % du total. L’Europe occupe la seconde place avec 29 %. 78% sont originaires de l’Union européenne. Les étudiants internationaux originaires du continent asiatique sont presque aussi nombreux (25 %). Les étudiants d’Amérique du Nord et d’Amérique du Sud sont moins présents (9 %).
En termes d’effectifs par nationalité, les pays les mieux représentés à Rennes sont le Maroc et la Chine, avec respectivement 412 et 307 étudiants en 2007. Arrivent ensuite, dans l’ordre décroissant, l’Allemagne, l’Algérie, l’Espagne, le Vietnam, le Sénégal et la Pologne. La moitié des étudiants internationaux à Rennes est représentée par ces huit nationalités (48,4 %). L’Afrique francophone (Maghreb et Afrique de l’Ouest), la Chine, et l’Europe de l’Ouest sont donc les mieux représentées à Rennes.
Comme pour la France entière, la très forte croissance du nombre d’étudiants internationaux présents en Bretagne et à Rennes depuis 1998 est principalement due à l’arrivée importante d’étudiants internationaux d’Asie et d’Afrique, particulièrement depuis l’année 2000 pour les asiatiques. Ils n’étaient que 160 en 1998, ils sont aujourd’hui 760. Cela représente une croissance de 377 %, la plus forte de tous les continents. Plus de la moitié des étudiants asiatiques sont originaires de Chine (54 %). Quant aux effectifs africains, ils ont été multipliés par 4 entre 1998 et 2007, passant de 290 à 1 152 soit le deuxième taux de croissance le plus important après l’Asie (+ 297 %). Pendant la même période, l’Europe connaît une croissance de seulement 33 %.
Du fait du manque de formations universitaires ou de places dans leurs universités d’origine, les étudiants des pays du Sud et des pays émergents partent à l’étranger avec une réelle stratégie de promotion sociale pour obtenir des diplômes qui leur permettront de trouver du travail dans leur pays d’origine ou ailleurs. Ils font des séjours à l’étranger plus longs, souvent de plusieurs années. En revanche, la migration internationale des étudiants du Nord correspond plutôt à un séjour linguistique et de découvertes culturelles de courte durée (un semestre ou une année pour les étudiants en échange).
Le choix de la discipline d’études souligne aussi cette différence d’enjeux entre les étudiants du Sud et les étudiants du Nord: « La quête de connaissances générales est beaucoup plus fréquente chez les étudiants des pays développés5. Les étudiants des pays du Nord sont plutôt inscrits en lettres et en sciences humaines: à Rennes, c’est le cas de sept étudiants américains sur dix et de six étudiants de l’Union européenne sur dix contre seulement un étudiant africain sur dix. Les connaissances scientifiques et les compétences techniques font partie de la demande des pays du Sud: 33 % des étudiants africains sont inscrits en sciences contre seulement 10 % des étudiants de l’Union européenne. Les étudiants africains et les étudiants asiatiques sont également très présents en sciences économiques (34 % et 21 %).
Cette répartition par discipline a une conséquence directe sur la représentation des nationalités dans les deux plus grandes universités de Bretagne : Rennes 1 et Rennes 2. La première regroupant les disciplines scientifiques et économiques, les étudiants marocains sont les plus nombreux (574). En revanche, à Rennes 2, université de lettres, les nationalités chinoise, espagnole et allemande sont les plus représentées.
À l’échelle de la France, les étudiants internationaux inscrits en doctorat sont nettement surreprésentés. Alors que 33,7 % des doctorants sont internationaux, on ne compte que 16,5 % d’étudiants internationaux en master et 7,4 % en licence. Ceci s’explique principalement par le fait que les étudiants sont encouragés à la mobilité plutôt en fin d’études. De plus, dans les pays en voie de développement, les insuffisances universitaires sont plus fortes encore pour les dernières années d’études qui supposent une spécialisation.
La diversité des contextes institutionnels des séjours d’études à l’étranger engendre des inégalités de conditions de vie. Certains étudiants sont encadrés par des programmes d’échange et/ou sont boursiers (63 % à Rennes) alors que d’autres viennent à titre individuel et ne profitent pas des avantages des premiers.
Dans notre enquête, 40 % des étudiants internationaux sont en programme d’échange ; parmi eux 58 % participent au programme Erasmus et 28 % viennent dans le cadre d’un accord bilatéral. Ces étudiants encadrés arrivent généralement des pays du Nord: 67 % des étudiants européens et 70 % des étudiants d’Amérique du Nord bénéficient d’un programme d’échange contre seulement 8 % des étudiants africains.
Dans l’enquête, la moitié des étudiants internationaux bénéficient d’une bourse de mobilité et parmi eux 41 % reçoivent une bourse Erasmus, 21 % une bourse du gouvernement français et 19 % une bourse du gouvernement d’origine. À l’instar des programmes d’échanges, les bourses disponibles bénéficient davantage aux étudiants des pays du Nord: 76,5 % des étudiants de l’Union européenne et 60 % des étudiants d’Amérique du Nord sont boursiers contre 40,5 % des étudiants d’Afrique et 33 % des étudiants d’Asie.
Les étudiants internationaux boursiers ou encadrés par un programme d’échange profitent d’avantages qui facilitent leur séjour, en particulier d’un accueil proposé par le service des relations internationales de l’université, alors que les étudiants hors-programme s’adressent à leur établissement au même titre que les étudiants français. Ils bénéficient aussi d’une équivalence des diplômes, d’un droit à l’exonération des frais d’inscription, de cours de langue gratuits, pour beaucoup d’une bourse, et surtout d’un logement réservé à l’avance.
L’obtention d’un logement en cité universitaire est sans doute la plus révélatrice d’inégalités. Parmi les étudiants internationaux qui estiment très difficile de trouver un logement, 75 % sont venus à Rennes sans l’encadrement d’un programme d’échange. Trouver un logement s’est révélé facile pour 64 % des étudiants de l’Union européenne et 73 % des étudiants d’Amérique du Nord contre seulement 48 % des étudiants asiatiques et 49 % des étudiants africains.
Les chambres universitaires sont les plus convoitées car elles sont moins chères qu’un logement en ville. Mais, les étudiants internationaux ne sont pas égaux vis-à-vis de l’attribution de ces chambres. En effet, les boursiers et les étudiants en programme sont considérés comme prioritaires. Les étudiants individuels qui n’ont droit à aucune bourse se trouvent donc doublement défavorisés. La sélection est d’autant plus sévère que le nombre de places en cité universitaire n’a pas suivi l’augmentation des étudiants internationaux. Par exemple, en Bretagne, alors que 72 % d’entre eux étaient logés en cités universitaires en 1998, ils ne sont plus que 34,4 % en 2006.
La difficulté la plus citée par les étudiants internationaux est le problème de la langue: un étudiant sur trois considère la mauvaise maîtrise de la langue comme un obstacle. Les difficultés sont cependant plus grandes pour les étudiants originaires d’Asie: en effet, 55 % d’entre eux ont cité ce problème contre 36 % des étudiants européens et 6 % des étudiants africains (arrivant souvent de pays francophones).
Après les problèmes de langue, les difficultés financières sont les plus citées: 27 % des enquêtés affirment en avoir rencontré pendant leur séjour. Il existe cependant de fortes disparités : les étudiants d’Afrique et d’Europe de l’Est sont plus nombreux à en parler. Presque la moitié des étudiants africains (46 %) et des Européens de l’Est (48 %) disent avoir des problèmes d’argent contre seulement 16 % des étudiants de l’Union européenne, 22 % des étudiants d’Asie et 10 % des étudiants d’Amérique du Nord.
Les étudiants originaires des pays du Sud sont rarement boursiers, ce qui les oblige généralement à demander une aide financière à leurs parents. Or, au vu des inégalités de niveaux de vie entre les pays d’accueil et les pays d’origine, cette aide peut devenir un véritable sacrifice pour la famille.
Sur la question des difficultés des étudiants internationaux, le président de l’université de Rennes 2 met en avant la situation financière problématique des étudiants originaires du continent africain: « Les étudiants en mobilité hors programme et surtout les étudiants des pays du Sud, Maghreb et Afrique noire, essaient généralement de trouver un emploi. Trouvant un emploi, ils n’arrivent pas à suivre les cours et ça retarde énormément leur cursus ». Le directeur des relations internationales de l’Insa a, lui, remarqué les difficultés financières des étudiants d’Europe de l’Est : « Des étudiants moldaves et roumains, dans certains cas, n’arrivaient pas à payer leur logement ».
Venir étudier en France à titre individuel implique d’être soumis à davantage d’obligations administratives concernant les visas, le renouvellement du titre de séjour, les inscriptions, etc. Celles-ci sont parfois la cause d’arrivées trop tardives en France, quelques mois après le début de l’année universitaire, ce qui entraîne pour certains la perte d’une année d’étude. Parmi les étudiants interviewés, ceci a été le cas pour Abdoul et Mamadou, tous deux étudiants africains individuels.
De plus, les étudiants individuels originaires des pays du Sud sont victimes de ce que Serge Slama appelle la « logique de soupçon. Ils sont perpétuellement suspectés d’être des immigrés potentiels cherchant à passer entre les mailles du filet en obtenant le statut d’étudiant étranger. C’est pourquoi de nombreux étudiants originaires des pays du Sud sont soumis à des contrôles administratifs contraignants et incessants. Dans l’enquête, les étudiants africains sont les plus nombreux à parler de ces difficultés administratives: 23 % en parlent contre 12 % de l’ensemble des étudiants enquêtés.
En général, les étudiants internationaux qui résident à Rennes portent un regard positif sur leur ville d’accueil. Dans l’enquête, 90 % d’entre eux conseilleraient à leurs compatriotes de venir étudier à Rennes. Les avantages très souvent soulevés sont les transports gratuits (sur conditions de revenus) et le fait que Rennes soit une ville étudiante. Nabil, étudiant marocain, compare Rennes à Lille sur cette question de la gratuité des transports: « Ici il y a des avantages par rapport à Lille. Le transport pour les étudiants c’est gratuit ». Florian, étudiant Erasmus allemand, souligne les bienfaits de la forte présence étudiante à Rennes : « Moi je trouve que c’est une vie plutôt facile parce qu’il y a beaucoup, beaucoup d’étudiants ici ».
Les étudiants en programme d’échange interrogés estiment pour la plupart que beaucoup d’activités leur sont proposées. Vera, étudiante russe, est très satisfaite de l’accueil : « A Rennes, la ville fait beaucoup, vraiment beaucoup pour les étudiants et surtout pour les étudiants étrangers ». Vera a participé aux nuits du sport, au concours de photographies à l’occasion de l’anniversaire du programme Erasmus, aux voyages organisés par l’Europôle (voir encadré) et elle a également suivi des cours de français gratuits. En revanche, les étudiants individuels, pour beaucoup originaires du continent africain, mettent souvent en avant la difficulté à trouver un logement à Rennes ainsi que le manque d’encadrement. Tejeddine, étudiant tunisien: « Quand tu es étudiant étranger et que tu arrives avec tes propres moyens, tu dois chercher tout seul le logement, ça c’est pas facile au début ».
Ces différences de points de vue renvoient aux inégalités de prise en charge institutionnelle des étudiants internationaux selon leur type de mobilité. Les acteurs interrogés mettent souvent en avant leurs difficultés à gérer l’accueil des étudiants individuels, principalement originaires des pays du Sud. Ce problème pour identifier et atteindre les étudiants individuels s’explique principalement par le manque de structures d’accueil. Nous relevons ici une contradiction au sein des politiques mises en place: alors que les étudiants individuels sont les plus à même de rencontrer des difficultés, ils sont souvent totalement ignorés des services des relations internationales des universités rennaises exclusivement destinés aux étudiants en programme.
La directrice d’Europôle a d’ailleurs bien conscience de la nécessité de s’adresser à l’ensemble des étudiants en mobilité. C’est pourquoi les actions menées par l’Europôle sont de plus en plus pensées en fonction de l’ensemble des profils des étudiants. Cependant, malgré ces efforts, la directrice regrette que l’Europôle reçoive plus souvent des étudiants encadrés : « Les étudiants que l’on touche le plus aisément viennent dans le cadre d’échanges bilatéraux, de programmes Erasmus ». La prise de conscience va déboucher sur l’ouverture de guichets d’accueil uniques sous la tutelle nationale de Campusfrance. Celui de Rennes devrait s’installer dans la cité universitaire internationale, équipement en projet destiné à l’accueil, à l’hébergement et à l’accompagnement des chercheurs et post-doctorants étrangers. Son ouverture est prévue pour le début de 2015 entre le Liberté et le boulevard Magenta, à la place du restaurant du Champ de Mars.