Une silhouette toute en longueur, tennis Adidas aux pieds et anorak rouge sur les épaules. Attablé devant un café dans son petit local rennais, à deux pas de la Vilaine, Fabrice Richard est tout étonné d’être sollicité pour une interview. « Qui m’a dénoncé ? », interroge-t-il l’oeil rigolard. « Une partie de la profession », lui répond-on. Car si son nom n’est pas connu du grand public, ce chefopérateur est incontournable dans le milieu audiovisuel et cinématographique rennais. Fabrice Richard promène son oeil expérimenté des tournages de documentaires aux plateaux de fiction, en passant par les maquettes des films d’animation depuis près de vingt-cinq ans.
Éclectique. S'il y avait un mot pour définir son parcours, c’est bien celui-là. « Je me bats pour faire des choses très différentes. Je ne veux pas être catalogué « chef-opérateur de documentaire » ou « fiction ». Je veux pouvoir rencontrer des gens de tous milieux, je ne veux pas être enfermé. Ce n’est pas toujours facile, mais il faut le revendiquer », assène-t-il calmement. Quelques unes de ses collaborations ? Les très bons documentaires Les années FLB (Vivement Lundi !) et Le Métis de la République (Poischiche films) diffusés l’an dernier sur France 3, les courts-métrages d’animation de Bruno Collet Le Jour de gloire (2007) et Le petit dragon (2009)…, le clip du morceau La Plume de Louise Attaque, le long-métrage Entre nous deux du réalisateur breton Nicolas Guillou sorti au cinéma en 2010… Sans compter de nombreux films institutionnels pour des entreprises ou des organismes publics. Des diffusions locales et nationales, pour la plupart produites ou réalisées sur le territoire régional. « La Bretagne est une région assez dynamique dans ce domaine, avec des associations très actives comme le collectif Films en Bretagne. On sent qu’il y a une volonté de casser l’hégémonie parisienne », estime Fabrice Richard. « Dire qu’il y a de quoi faire bosser des centaines de personnes dans la région, ce serait exagéré. Mais il y a du boulot. Je réalise 60 % de mes contrats ici et 40 % à Paris ». Et dans la capitale bretonne ? « Il se passe pas mal de choses en audiovisuel, avec des boîtes qui ont une crédibilité nationale. Il y a un bon tissu dans le documentaire, l’institutionnel… », énumère le chef-opérateur. Lui-même n’a pas souhaité s’installer à Paris, où se concentre pourtant la majorité de l’activité. « Je préfère faire des navettes. Dans notre métier, le lieu où l’on vit importe peu car on bouge beaucoup. Ce sont surtout les Parisiens qui ont du mal à imaginer qu’on puisse travailler ailleurs », sourit-il.
L’image, Fabrice Richard est tombé dedans dès l’adolescence. À 14 ans, il bidouillait des séries Z avec ses copains grâce à des caméras Super 8. « Tous nos films étaient à peu près ratés mais c’était un début ! », plaidet- il. Une passion pour la caméra qu’il prolonge ensuite au sein du club amateur des cinéastes rennais. « Avec d’autres gars de mon âge, on faisait des courts-métrages en Super 8 puis en 16 millimètres. » Ces fictions courtes, Fabrice Richard estime en avoir fait une soixantaine depuis ses vertes années. Sa formation à l’école Louis Lumière, « une école de rigueur technique » et ses années d’objecteur de conscience au service audiovisuel du centre national de documentation pédagogique (CNDP) le font passer progressivement du monde amateur au milieu professionnel. C’est à cette époque qu’il participe à son premier long-métrage, Villa Beausoleil, du réalisateur rennais Philippe Alard. Tourné en 1989 au Thabor et sur les quais, à Rennes, puis dans les Côtes d’Armor, il réunit alors de jeunes pousses des arts dramatiques. « Il y a toute une génération qui a commencé ensemble à cette époque », se rappelle Fabrice Richard. Beaucoup, comme lui, ont poursuivi leur carrière créative ensuite. Filmé en Super 8, ce long-métrage à petit budget sort en 1991 grâce à l’énergie de son réalisateur. « Il a montré le film dans des festivals, il se déplaçait avec son projecteur pour le présenter à des producteurs. L’un d’entre eux l’a trouvé génial et a décidé de le diffuser en salle. C’était une petite sortie, moins de 10 copies au national, mais il a été remarqué. On a eu de bonnes critiques dans les Cahiers du cinéma », se rappelle celui qui est alors le chef-opérateur du film. « Je sortais à peine de l’amateurisme et j’ai retrouvé mon nom dans Les Inrocks, c’était un démarrage tonitruant ! », raconte-t-il en rigolant. « J’étais chef-opérateur. De fait, je n’étais pas encore au point. Les gens trouvaient les images lumineuses, solarisantes mais en fait elles étaient juste trop claires, c’était une erreur technique de ma part », glisse le professionnel aujourd’hui reconnu pour sa rigueur. Fabrice Richard, cependant, ne fera pas carrière dans le cinéma « avec un grand C », comme il l’appelle. L’envie de toucher à tout, d’abord. Et puis une appréciation très modérée de cet univers professionnel. « Je fréquente ce milieu à la marge. C’est un monde intéressant mais très égocentré, très “Paris intra-muros”. Ce n’est pas la vraie vie. C’est pour ça que j’aime le documentaire car là, c’est la vraie vie. J’ai travaillé récemment sur un film sur l’exclusion, ça vous ramène à une certaine réalité et ça fait du bien. »
De ses premières amours pour la caméra, Fabrice Richard s’est progressivement pris de passion pour la lumière. Lorsqu’il en parle, il devient intarissable. « La lumière, c’est totalement abstrait pour beaucoup de gens », admetil. Pour la comprendre, « il faut commencer par observer la lumière du jour. Comment marque-t-elle les visages ? Est-elle douce ? Brutale ? L’analyse de la lumière naît de l’observation du monde. Je trouve ça passionnant. » Cet aspect est essentiel dans les films, qu’il s’agisse de fiction ou de documentaire. « Souvent, on recrée sur le plateau ce qu’on voit dans la réalité. Mais il y a aussi les désirs du réalisateur. Il peut chercher une lumière naturaliste, comme celle d’un appartement par exemple, expressionniste, avec des contrastes plus forts, ou peut-être voudra-t-il la dramatiser, afin de créer une ambiance plus inquiétante. Le registre est très large. » Ce travail, c’est celui du chef-opérateur. « Dans une équipe, le cadreur s’occupe de la caméra. Le rôle du directeur photo, c’est la signature de l’image et la mise en lumière du film, mais il ne cadre pas. Le chefopérateur de prise de vue, lui, fait les deux. C’est cela mon métier ». Le péché mignon du « chef-op’ » ? Le film d’animation en volume, avec ses personnages en pâte à modeler ou en marionnettes tels les célèbres Wallace et Gromit. « Sur ces tournages, vous êtes le maître des lumières. C’est vraiment sympa d’éclairer des maquettes car vous pouvez être beaucoup plus précis. Et le travail est très technique : tous les mouvements de la caméra sont décomposés, image par image. Vous devez calculer des phases d’amorti, des paraboles… », s’enthousiasme-t-il en traçant du doigt des courbes sur la table. Et les films dans tout ça, a-t-il le temps d’en regarder ? « Oui j’adore ça, je vais très souvent au cinéma. Quand j’ai des périodes calmes, je peux y aller six fois dans la semaine sans problème. Mais là j’ai du retard : avec tous ces films qui sortent, il faut avoir une discipline de fer ! C’est un loisir tout de même assez chronophage… », s’amuse-t-il. Mais n’allez surtout pas le décrire comme un cinéphile avec un grand C. « Je ne cours pas forcément derrière les films rares », précise-t-il. Ses derniers coups de coeur ? Argo, de Ben Affleck, La prochaine fois je viserai le coeur, avec Guillaume Canet, ou encore le film de science-fiction sud-africain District 9. Là encore, un seul leitmotiv : l’éclectisme.