<
>
Dossier
#33
Mille et Une. Films produit des fictions sans frontières
RÉSUMÉ > En vingt ans, Gilles Padovani, entouré d’une équipe de deux ou trois collaborateurs en fonction des projets, a produit une cinquantaine de documentaires, une dizaine de courts-métrages et trois longsmétrages de fiction, sous le label de sa société de production .Mille et une. Films. À travers un parcours professionnel qui se double d’un choix de vie, le producteur rennais défend une écriture cinématographique exigeante autant que socialement engagée.

     « J’ai toujours été cinéphage, au moins depuis mon entrée au collège à Nantes. J’ai vu par exemple Les Damnés de Luchino Visconti à l’âge de 11 ans : un choc visuel et psychologique ! » Pour autant, Gilles Padovani se souvient ne jamais s’être autorisé à penser pouvoir travailler un jour dans le cinéma. Question de culture familiale, sans doute. Alors qu’il étudie la gestion à Paris, un copain immergé dans le milieu cinématographique lui ouvre la porte des possibles. À la fin des années 80, le jeune homme a désormais un pied dans la place et oeuvre sur des longs-métrages de fiction.
    Pour raisons personnelles, il s’installe à Rennes. En 1995, il monte sa propre société de production .Mille et Une. Films. « J’avais toujours voulu être producteur ! J’ai commencé par le documentaire, avec la volonté de produire des documentaires à l’écriture cinématographique exigeante », confie-t-il. Premiers films de jeunes réalisateurs tels Didier Nion ou Olivier Hems… ou production de personnalités confirmées, comme Gulya Mirzoeva, Xavier Villetard ou Stéphane Mercurio… La ligne choisie est celle de films d’auteur, d’une part, et de films aux sujets sociétaux, d’autre part. Au catalogue, une cinquantaine de productions explorent la parole d’ici et d’ailleurs. Citons par exemple celle de deux Rennaises avec Pascaline et Klara de Céline Dréan, ou encore le film-enquête de Maturin Peschet sur la pollution du littoral par les algues vertes, L’enfer vert des Bretons. Sans oublier Mikhail Gorbatchev, simples confidences de Gulya Mirzoeva.

     Les années 2000 marque un tournant pour .Mille et Une. Films. Gilles Padovani choisit de franchir le pas de la fiction, via des films courts : « Le court-métrage est une école et pas une économie ! » Un militantisme cinématographique qui le conduit à produire les sept films actuellement au catalogue. Y figurent notamment Dourga d’Antoine Vaton ou encore Avec mon p’tit bouquet de Stéphane Mercurio qui aborde le thème de la prison et dans lequel joue la chanteuse Zazie.
    Avec .Mille et Une. Films, les fidélités se tissent au fil des productions. À force de s’éprouver, on s’approuve ! C’est le cas de la rencontre avec Bénédicte Pagnot, réalisatrice de La pluie et le beau temps et de Mauvaise graine. En 2016, sortira L’invitation au voyage, une plongée subjective au coeur de l’Islam et sa civilisation. La jeune professionnelle nourrissait un projet de longmétrage de fiction : Les lendemains. Le long-métrage est une carte marine qui a sa météo vue de Paris, ses îles et ses récifs. Gilles Padovani le sait, amariné par une décennie en apnée dans le grand bain parisien. « Produire de la fiction longue en région est plus compliqué que la production du documentaire qui coûte moins cher et bénéficie du soutien de la télévision locale TVR ou de France 3 Bretagne », souligne-t-il. Neuf ans ont été nécessaires pour donner corps à ce premier film d’auteure. « Entre le moment où le film est terminé et sa sortie, de manière générale il faut presque compter un an ! », note le producteur. Une logique économique fragile qui exige de solides assises. « J’étais redevenu un jeune producteur dans cette économie du long-métrage avec de nouveaux circuits et réseaux à créer. On nous disait que nous n’avions pas de casting et que le film était sombre. »

     Têtu et convaincu, Gilles Padovani ne désarme pas. « Bénédicte étant rennaise, j’ai voulu que les techniciens soient en majorité bretons. » Le casting a lieu à Paris, dirigé par Christel Baras, directrice de casting de Bande de filles de Céline Sciamma. « Nous avons auditionné un grand nombre de comédiennes. Pauline Parigot est apparue comme une évidence ! Nous avons fait sa connaissance et découvert avec amusement qu’elle était rennaise et petite fille de Guy Parigot… » La postproduction a pu être réalisée localement grâce à l’implantation rennaise d’AGM Factory, prestataire technique pour le cinéma et la télévision. Un outil rare pour les professionnels ! « Ce film a bénéficié, et c’est une première en France, du soutien de chaînes de télévision locales à hauteur de 60 000 euros, c’est presque qu’autant que Ciné+ et surtout cela a eu un effet démultiplicateur sur l’avance sur recettes du Centre national du Cinéma, le CNC. Sans oublier le soutien de la Région Bretagne, trois fois plus important. Historiquement celle-ci a toujours été attentive au développement de notre secteur. » Avec le Prix du Public au Festival Premiers Plans d’Angers 2013 et un Prix d’interprétation pour Pauline Parigot au Festival international du film de Rabat 2013, la reconnaissance a été au rendez-vous.

     Gilles Padovani poursuit sur sa lancée, tout en prenant le temps de la maturation. En projet : le long-métrage Belle famille de Mathilde Mignon, en recherche de casting, de financements et de distribution.
    En parallèle, .Mille et Une. Films joue la carte de la coproduction. « Produire un long-métrage prend du temps. Entre le moment où on étudie le scénario du film, la recherche des financements et la distribution, pas moins de quatre années peuvent s’écouler. Je n’ai pas envie de faire seulement un film tous les cinq ans ! », lance-t-il. Gilles Padovani coproduit en ce moment un film palestinien, Dégradé. Réalisé par les deux frères gazaouis Arab et Tarzan Abunasser, le film raconte une journée dans un salon de coiffure pour dames à Gaza. Le tournage en Jordanie vient de se terminer. La postproduction commence en janvier chez AGM Factory et va durer trois mois. Le film a bénéficié du soutien de Breizh Film Fund. « Ce tout nouveau fonds de dotation a été créé sur le principe de l’économie sociale et solidaire et l’intérêt général. Ce devrait être un formidable outil de développement pour le cinéma en Bretagne ! ».
    Autre coproduction : le film belge, luxembourgeois, français et breton Melody de Bernard Bellefroid, primé à Montréal, Namur, sélectionné à Rotterdam. Il est déjà vendu dans plus de dix pays. « La Région Bretagne nous a soutenus à hauteur de 110 000 euros. » Mais le retour sur investissements est bien réel : « C’est au final trois fois plus qui revient à la région en termes d’euros dépensés », calcule le réalisateur. Le film sortira au printemps, dans un premier temps en Bretagne puis dans le reste de la France.
    Et Gilles Padovani de souligner le dynamisme cinématographique de la région où d’autres sociétés bretonnes s’engagent dans le long-métrage de fiction, d’animation ou documentaire. Avec la création du Breizh Film Fund et le soutien affirmé de la Région, la Bretagne a une petite avance sur d’autres territoires. Dans ce contexte, Rennes ne pourrait-elle pas jouer un rôle moteur ? Gilles Padovani insiste sur le potentiel cinématographique de la capitale bretonne : « L’implantation locale d’AGM Factory a changé la donne. Le film palestinien que j’ai coproduit, je n’aurais pas pu le faire sans cette compétence ! Il y a à Rennes une réelle marge de manoeuvre pour rendre la ville plus attractive pour les tournages, la prestation, la postproduction… À une époque où l’économie change, Rennes a la chance d’avoir un secteur cinématographique très riche qui ne demande qu’à être développé. Bientôt à 1 h 30 de Paris, cette ville a tous les atouts pour attirer les talents, en particulier des Parisiens qui cherchent à s’implanter ailleurs, car les gens du milieu apprécient de venir travailler ici ». La preuve