<
>
Dossier
#06
Faire de Nantes, chaque jour une capitale européenne de la culture
RÉSUMÉ > Il a inventé Les Allumées, le Lieu Unique et Estuaire. Jean Blaise va désormais diriger à Nantes une nouvelle structure en charge à la fois du tourisme, de la culture et du patrimoine. S’agit-il d’une astucieuse mise en cohérence ou bien d’un insupportable mélange des genres ?

PLACE PUBLIQUE> Comprenez-vous que cette nomination puisse surprendre voire inquiéter? Le tourisme culturel, ça existe, mais cela ne représente qu’une faible part du tourisme. Quant à la culture, elle est loin de se réduire au tourisme…

JEAN BLAISE > Quand vous allez faire du tourisme dans une ville, c’est parce qu’elle est atypique. Il peut s’agir de villes hors du commun comme Venise ou Paris, dotées d’une architecture remarquable, mais aussi de villes où l’on s’amuse, qui fourmillent d’initiatives en tout genre. Au fond, c’est toujours la culture qu’on recherche dans une ville, la culture au sens large: l’histoire, l’architecture, l’art… Qui peut nier que le tourisme culturel ait un très grand avenir?  

PLACE PUBLIQUE > N’empêche que la plupart des touristes sont d’abord attirés par les plages, le soleil, des sites naturels remarquables…

JEAN BLAISE >
Précisément, les touristes de La Baule, nous les attirerons aussi à Nantes.

PLACE PUBLIQUE > Avec quels atouts ?

JEAN BLAISE >
Projetons-nous en 2013. À Nantes, nous aurons un nouveau musée des Beaux-Arts, le Château, le Lieu unique, un parcours d’art public étonnant qui se sera enrichi au Bouffay et à la Petite-Hollande de nouvelles oeuvres léguées par la prochaine édition d’Estuaire, des monuments remarquables comme le Passage Pommeraye, le Mémorial de la Traite, les Machines… Ajoutons- y les architectures nouvelles de l’Île de Nantes comme le Palais de Justice de Jean Nouvel, la Fabrique, l’immeuble Coupechoux… Bref, l’atout de Nantes sera son offre culturelle, considérable par rapport à d’autres villes de la même taille.

PLACE PUBLIQUE > Ce sera suffisant ?

JEAN BLAISE >
Nous n’aurons pas un musée Guggenheim comme à Bilbao ou un Centre Pompidou bis comme à Metz. Ce n’est pas le choix qui a été fait. Plutôt qu’un monument, c’est un parcours que nous allons offrir, un ensemble de propositions multiples qu’il s’agit de coordonner. Et c’est cet ensemble qui fera figure de monument. Nantes n’offre pas l’évidence de Bordeaux, de Marseille, de Lyon ou du centre de Lille. C’est une ville qui a quand même été légèrement déformée par les bombardements et les comblements de la Loire! Elle n’est pas immédiatement séduisante. Elle est, comment dire, diluée. Eh bien, faisons de cette dilution une qualité. Montrons que Nantes est une ville aérienne, habitée de lumières, qu’il faut parcourir pour y découvrir plein de choses remarquables. Mettons en valeur son ambiance, son climat, sa poésie.

PLACE PUBLIQUE > Connaissez-vous d’autres exemples de professionnels de la culture qui se changent en professionnels du tourisme?

JEAN BLAISE >
Mais je reste un professionnel de la culture ! Simplement, le tourisme culturel, c’est une des manières de mettre la culture à la portée de tous, mon obsession de toujours. Je ne sais pas comment vont s’y prendre les autres grandes villes de France, à quelles compétences vont-elles faire appel. Mais ce que je sais, c’est que les métropoles françaises sont toutes en compétition dans ce secteur d’activité.

PLACE PUBLIQUE > Oui, mais une ville est d’abord faite pour ses habitants. Et toutes les statistiques le montrent: le tourisme à Nantes est d’abord un tourisme de proximité.

JEAN BLAISE >
C’est vrai, une ville ne peut pas être compétitive si elle n’est pas d’abord une ville où ses habitants aiment vivre. Moi, j’ai toujours travaillé du proche au lointain. Les Allumées, c’était d’abord fait pour les Nantais. Estuaire aussi : cette invitation à la promenade le long d’un fleuve dont les habitants avaient été dépossédés. Je ne connais pas d’autre biennale d’art contemporain accueillant ainsi des oeuvres in situ. Elles poussent sur un territoire, elles racontent son histoire. Elles sont là, et nulle part ailleurs. C’est pourquoi la population s’en empare. Ce qui ne nous a pas empêchés de faire appel à des artistes connus dans le monde entier parce qu’ils répondaient le mieux aux questions que nous leur posions. Alors voilà, à la fin de la prochaine édition d’Estuaire, de Nantes à Saint-Nazaire, nous posséderons une collection de vingtdeux oeuvres dont les créateurs parlent au monde entier. Nous pourrons dès lors espérer attirer les touristes du monde entier, du moins ceux qui s’intéressent à l’art.

PLACE PUBLIQUE > N’empêche qu’Estuaire a, jusque-là, attiré surtout les gens d’ici.

JEAN BLAISE >
Du Grand Ouest, c’est vrai. Même si un tiers des visiteurs de 2009 étaient extérieurs à la région des Pays de la Loire et qu’une quantité non négligeable d’entre eux venaient de Paris. Nous avons l’ambition d’élargir cette population en faisant un gros travail de communication à Paris et dans les pays européens reliés directement à Nantes par l’avion.

PLACE PUBLIQUE > Vous parlez beaucoup d’Estuaire… Mais enfin l’attractivité touristique de Nantes ne se limite pas à cela!

JEAN BLAISE >
Je parle d’Estuaire parce que cela nous a permis d’expérimenter l’idée de parcours, cette envie de se balader, de découvrir, d’aller vers… Pour cela, il faut savoir conjuguer une envie et une promesse. Mais c’est l’ensemble de la métropole Nantes/Saint-Nazaire et de son littoral que nous avons à faire valoir. Autour de Nantes peuvent s’organiser quatre parcours. L’un, le plus connu aujourd’hui, consiste justement à descendre ou à remonter l’estuaire. L’autre concerne l’Erdre puis le canal de Nantes à Brest. Le troisième, c’est la Loire en amont, encore bien mal exploitée. Et puis au Sud, une route du vin qui conduit à Clisson et pour laquelle il reste beaucoup à faire aussi.

PLACE PUBLIQUE > Des initiatives communes avec Rennes?

JEAN BLAISE >
Pourquoi pas? Mais je n’y ai pas encore réfléchi.

PLACE PUBLIQUE > Diriez-vous que vous êtes un metteur en scène de la ville?

JEAN BLAISE >
Oh, je ne suis pas le seul! Il y en a beaucoup d’autres… Mais je conçois en effet mon rôle comme une mise en valeur, une révélation de la ville. Il s’agit de recommencer Estuaire et Les Allumées, mais à une autre échelle. Je crois que c’est cela que Jean-Marc Ayrault avait en tête quand il m’a proposé ce poste. C’est un tourisme d’intelligence que nous allons développer. En venant à Nantes, vous serez comme dans un film, vous allez découvrir des images, et ça commencera dès la gare, quand elle aura une autre allure qu’aujourd’hui…

PLACE PUBLIQUE > Mais le tourisme, c’est autre chose que des images ! C’est aussi des chambres d’hôtel, des emplacements de camping, toute une industrie plutôt prosaïque… Êtes-vous prêt à faire face à cet aspect des choses ?

JEAN BLAISE >
Ça ne me fait pas peur. Vous savez, dans le domaine de l’action culturelle et du spectacle, c’est pareil, il faut savoir mettre les mains dans le cambouis. Nous avons la chance de posséder un office du tourisme qui fonctionne très bien au plan commercial. Un tel savoirfaire n’existe pas dans toutes les villes. Seulement, il faut mettre ce savoir-faire au service d’un projet.

PLACE PUBLIQUE > L’ancien directeur de l’office du tourisme, Jean-Marc Devanne, classe d’ores et déjà Nantes parmi les cinq premières villes de France au plan touristique, devant Bordeaux par exemple… Cela ne va pas si mal…

JEAN BLAISE >
Mais oui, les choses vont bien! La mise en tourisme de la ville – une expression que je n’aime pas trop – ne date pas de 2007, de la réouverture du Château et d’Estuaire. Même si, depuis, les chiffres que j’ai vus témoignent d’une progression intéressante. Il y avait déjà des événements comme La Folle Journée ou comme les parades de Royal de Luxe, même s’ils concernent d’abord la population locale.

PLACE PUBLIQUE > Est-ce vous désormais qui allez décider du sujet des expositions organisées au château en fonction des flux touristiques qu’elles pourraient susciter ?

JEAN BLAISE >
Bien sûr que non! Le château est dirigé par une conservatrice qui fait son travail. Je ne vais pas me couvrir de ridicule en lui disant ce qu’elle doit faire. Je ne vais pas non plus apprendre leur métier à Pierre Oréfice et François Delarozière qui dirigent les Machines. Bref, ce n’est pas moi qui vais décider des contenus. Mon travail, encore une fois, c’est de créer un ensemble, de mettre en place une coordination – harmoniser par exemple les tarifs ou les jours d’ouverture. Mon travail, c’est aussi de communiquer, et cela à la tête d’une équipe de près de 200 personnes. Animer une équipe, ça, je crois que je sais faire. En d’autres termes, je suis là pour faire valoir le travail des professionnels.

PLACE PUBLIQUE > Votre calendrier ?

JEAN BLAISE >
Je me donne un peu de temps puisqu’il faudra attendre janvier 2011 pour que je prenne complètement la tête de la nouvelle structure que nous sommes en train de créer. Mon premier objectif, c’est Estuaire, à l’été 2011, Estuaire que je continue à diriger. Second objectif: une grande campagne de communication en 2012 dans l’Ouest et en Région parisienne. Troisième objectif : 2013 avec la réouverture du musée des Beaux-Arts. Là, on devra vraiment sentir la cohérence et la richesse de l’offre touristique nantaise.

PLACE PUBLIQUE > À quelle aune mesurera-t-on votre succès?

JEAN BLAISE >
Nous aurons réussi si Nantes devient une capitale européenne de la culture. Pas une fois en passant, mais tous les ans, tous les jours !