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Dossier
#05
Guy Canu : « Les réussites économiques ont souvent des bases culturelles »
RÉSUMÉ > Ingénieur de formation, Guy Canu, 60 ans, est chef d’entreprise. Co-fondateur de la Sogica puis directeur général, il est depuis 2007 gérant de la société CV Clim à Pacé. Il est président de la Chambre de commerce et d’industrie de Rennes depuis 2005, et président, depuis mars 2009, du réseau « Si tous les ports du monde »

PLACE PUBLIQUE > En tant que Président de la CCI Rennes-Bretagne, vous devez être très sollicité par les associations. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser à l’association « Si tous les ports du monde » plutôt qu’une autre? 

GUY CANU >
En premier lieu, la curiosité! Mais c’est surtout une histoire de rencontre. En 2004, j’ai participé à un voyage organisé par l’Union patronale. Loïc Frémont était l’un des participants. Le personnage m’avait intéressé, voire intrigué… À l’époque, je n’étais pas encore président de la CCI mais j’étais déjà membre du bureau; il m’a expliqué la démarche qu’il développait depuis peu avec « Si tous les ports du monde ». Cette recherche d’échanges culturels et économiques entre les ports a eu un écho très fort en moi. Je me suis immédiatement souvenu d’une phrase qu’avait prononcée en 1988 Loïc Bazantay (ancien président de la CCI) dans son programme. Il disait déjà: « Les CCI seront culturelles ou ne seront pas! » C’était très osé à l’époque, car le mécénat n’était pas encore développé. 

PLACE PUBLIQUE > Une loi favorise maintenant le mécénat d’entreprise…

GUY CANU >
Oui, depuis 2003. D’ailleurs, nous avons en Ille-et-Vilaine des exemples remarquables d’entreprises qui écodéveloppent des actions pérennes dans le domaine de l’art et de la culture. Je pense notamment au groupe agroalimentaire Norac qui, via son association Art Norac, a créé en 2008 « Les Ateliers de Rennes », une biennale d’art contemporain dédiée aux relations entre art et économie. Dans le cadre de la seconde édition (avril 2010), Bruno Caron, le PDG de Norac, a même proposé à ses salariés de choisir une oeuvre au Frac Bretagne et d’argumenter leur choix, avec un prix à la clé. C’est une belle façon d’amener la culture dans l’entreprise. Sans oublier l’association des Entrepreneurs mécènes de Châteaubourg qui fédère, autour de sa présidente Gisèle Burel, des acteurs économiques prolongeant leur mission par une dynamique créative. Depuis 2004, l’association monte chaque année au printemps un magnifique « Jardin des Arts » dans le parc d’Ar’Milin qui se pare pour l’occasion d’une vingtaine de sculptures monumentales réalisées par des artistes de l’Ouest. C’est une façon originale de rendre le territoire visible et attractif.

PLACE PUBLIQUE > Mais il y en a d’autres… Qu’aviez-vous en tête quand en 2005 vous avez été invité par Loïc Frémont à participer au Conseil d’Administration de « Si tous les ports du monde »?

GUY CANU >
Franchement, je me suis dit : « Qui donc va bien pouvoir être présent un samedi midi ? ». Et à ma grande surprise, ce jour-là à Saint-Malo, j’ai découvert que même des gens très occupés comme Georges Coudray (CMB), Jean-Guy Le Floch (Armor-Lux), Roland Beaumanoir (Prêt-à-porter), Serge Raulic (Thermes Marins), Michel Menny (Sofisme), Christophe Bernardini (Sabena Technics) ou bien encore le groupe Roullier étaient là pour cette association. A ce moment précis, j’ai compris qu’il y avait dans l’équipe présente un très fort potentiel. Si les liens culturels commençaient à se nouer activement entre les ports membres, les échanges économiques avaient eux réellement besoin d’être musclés et des partenariats durables établis.

PLACE PUBLIQUE > Comment définiriez-vous le réseau « Si tous les ports du monde »?

GUY CANU >
C’est vaste mais pour aller à l’essentiel, je dirais que c’est un vecteur de communication et même un « facilitateur » d’échanges et de contacts, un accompagnateur et un coordinateur de projets, un créateur d’événements à la demande des membres et des partenaires et enfin, un centre-ressources mis à la disposition de ses membres.

PLACE PUBLIQUE > Vous avez pris la présidence de l’association en mars 2009. Restez-vous aujourd’hui fidèle à vos objectifs de départ ?

GUY CANU >
Oui, plus que jamais! Je me suis promis d’avoir un rôle d’accélérateur alors je m’y emploie. Toute la difficulté, c’est d’enclencher des actions concrètes économiquement parlant, sans rentrer dans l’institutionnel. Cela signifie entre autres donner une plus grande visibilité au réseau et l’alimenter. Nous avons, par exemple, depuis l’été 2009 un site Internet trilingue français-anglais- espagnol. Au-delà, les efforts que nous déployons pour attirer dans le réseau de nouvelles entreprises françaises et étrangères commencent à porter leurs fruits, notamment au Québec. Enfin, ça y est, nous avons mis en place des bourses « Compagnons des ports du monde » destinées aux jeunes qui veulent faire des stages ou concrétiser un projet personnel de type culturel ou économique dans l’un de nos ports membres à l’étranger. La sélection se fait sur dossier, avec une aide à la clé de 1000 € par jeune.

PLACE PUBLIQUE > On sait qu’à la CCI Rennes-Bretagne, 2010 est l’année de l’international ; c’est important pour vous de prendre part à une action concrète de cette nature et de cette ampleur ?

GUY CANU >
C’est non seulement important, mais cela répond à de réelles convictions chez moi. Nous devons internationaliser nos entreprises. Vous savez, j’ai monté avec des partenaires une société au Vietnam. On apprend vite qu’en Asie, on ne vous dit jamais non… Alors, il faut peu à peu parvenir à décoder certains oui qui veulent en fait dire non! Donc c’est flagrant, quand on a une bonne connaissance de la culture de l’autre, c’est beaucoup plus facile de faire des affaires. C’est même obligatoire si l’on souhaite établir des échanges économiques équilibrés et pérennes. Grâce à un réseau comme « Si tous les ports du monde », les membres peuvent se retrouver en situation privilégiée sur un marché par rapport à un concurrent, juste parce que des contacts économiques se seront noués sur tel ou tel festival ou manifestation à Cadix, Glasgow ou Gênes. Les réussites économiques sont souvent liées à des bases arrière de liens culturels.

PLACE PUBLIQUE > Pour vous, qu’évoquaient les ports avant même de prendre la présidence de l’association?

GUY CANU >
Les ports sont un des grands symboles de l’ouverture et du brassage des populations ; des lieux magiques, des lieux de croisement, des lieux de réseaux en quelque sorte…

PLACE PUBLIQUE > Justement, au-delà du réseau, quel type de valeur ajoutée peut apporter l’association « Si tous les ports du monde » aux entreprises ?

GUY CANU >
« Si tous les ports du monde » est un réseau un peu particulier, plutôt dans l’esprit d’un réseau de relations personnelles que dans celui d’une institution avec des objectifs. Et pourtant, l’association peut amener aux entreprises une vraie valeur ajoutée, en leur permettant par exemple d’attirer des talents et de tout faire pour les retenir. Je m’explique. Dans une sous-préfecture de province, les entreprises ont parfois du mal à attirer des ingénieurs hautement qualifiés. Pourquoi? Parce que quand vous voulez recruter un polytechnicien, il ne suffit pas de lui proposer un bon salaire. Il faut aussi être en mesure de lui garantir un environnement culturel et une ouverture sur l’international. Vous voyez, par exemple, quand Loïc Frémont fait venir les ballets de Montréal à Saint-Malo, c’est important. Et ça peut être un argument pour les entreprises.

PLACE PUBLIQUE > Et au niveau purement économique? Vous avez eu écho d’affaires qui se soient conclues grâce au réseau?

GUY CANU >
Oui, mais je ne vous dirai pas lesquelles… Bien entendu, un réseau comme « Si tous les ports du monde » permet d’avoir accès à un carnet d’adresses très ciblé et de toucher des décideurs politiques et économiques dans les villes du réseau. Le retour sur investissement n’est pas immédiat bien entendu; il faut du temps mais ça en vaut la peine.

PLACE PUBLIQUE > Vous insistez sur la transversalité entre l’économie et la culture; selon vous, que s’apportent-elles mutuellement ?

GUY CANU >
La création artistique est un laboratoire de prospective et l’entreprise, comme l’individu, peut y trouver matière à réflexion et à action, tout en y associant une dimension humaine. Nous avons changé d’ère. Aujourd’hui, on le voit bien, la culture et l’économie peuvent partager des domaines de connaissance et de compétence.

PLACE PUBLIQUE > « Si tous les ports du monde » a adopté le principe d’une présidence tournante (comme l’Union Européenne) et vous passerez la main en juin prochain à un Président danois. Que souhaitez-vous à votre successeur ?

GUY CANU >
Bon courage! Parce qu’il reste encore beaucoup de travail… Après Saint-Malo et les présidences de Georges Coudray et moi-même, cette première présidence extra-française marquera une nouvelle orientation car le Danemark est très axé sur le développement durable. Après Sonderborg, ce sera au tour de Cadix de prendre la tête du réseau en 2012 (avec une thématique dominante sur les liens entre Europe et Amérique Latine), puis de Marseille en 2013, année où la ville sera la capitale européenne de la culture. Je souhaite à mon successeur de réussir à mobiliser les chefs d’entreprises danois afin qu’ils s’impliquent dans de réels échanges. Car, l’efficacité d’un réseau se mesure à la force de ses échanges. Un réseau avec une liste de noms énorme mais des gens qui ne communiquent pas entre eux, ça ne vaut rien! De notre côté, nous sommes loin d’être une armée mexicaine mais nous nous connaissons bien et nous cherchons à mettre du concret dans les tuyaux.