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Histoire & Patrimoine
#26
Hyppolyte Béziers-Lafosse, à la croisée des styles
RÉSUMÉ > Place Publique poursuit sa galerie de portraits des grands bâtisseurs rennais avec une figure importante, mais peu connue, de la fin du 19e siècle. Après avoir oeuvré de nombreuses années sur la côte d’émeraude, Hippolyte Béziers-Lafosse est nommé architecte départemental d'Ille-et-Vilaine, poste qu’il conserve près d’un quart de siècle. à ce titre, il érige de nombreux édifices (mairies, écoles, églises, chapelles…) dans un style éclectique épousant les ambitions du pouvoir en place.

     En cette fin d’année 1860, la succession au poste d’architecte départemental n’attire pas l’attention, pas même celle des cercles de l’élite rennaise. Il faut dire que la préfecture a, sur la question, toute latitude et que ni concours, ni débats ne sont exigés. Du reste, pour le préfet Paul Féart, la nomination à ce poste clef s’inscrit dans la continuité de son action politique, initiée dans le département depuis que Napoléon III l’y a envoyé afin de préparer son voyage d’août 1858. Il n’y a donc pas, ou trop peu, de surprise, lorsqu’Hippolyte Béziers-Lafosse est annoncé comme le nouvel homme fort – en matière de travaux publics – , d’Ille-et-Vilaine.

     La famille Béziers-Lafosse donne en effet des gages de garantie que le pouvoir ne peut ignorer : Victor, le père, entrepreneur des Ponts-et-Chaussées à Versailles puis architecte installé à Rennes, s’est lié à la famille Lepord en épousant le 11 mars 1838, Eugénie Noblet, fille cadette de François-Julien Noblet, docteur en chirurgie à la faculté de médecine de Rennes, et belle-soeur de François Lepord. Ce dernier, polytechnicien et ingénieur, professeur de mathématiques à l’école royale d’artillerie et au collège royal de Rennes, siège au conseil municipal et en ouvre les portes à Victor qui y entre sous le mandat d’Emmanuel Pongérard, maire de 1843 à 1853, dans la période de transition qui voit s’écrouler la monarchie de Juillet et l’avènement du second Empire. Les liens familiaux se resserrent encore lorsque, six mois après son père, Hippolyte épouse Sophie, la fille cadette de François Lepord.
    Les amitiés politiques de la famille Béziers-Lafosse servent directement les vues de la préfecture, dans le maintien de relations stables avec l’évêque Brossay- Saint-Marc, depuis que ce dernier, figure éminente du parti orléaniste, s’est rallié au régime. Un sérieux avantage donc, si l’on considère que la mission de l’architecte départemental le destine à intervenir, de près comme de loin, sur les nombreux projets d’églises, de chapelles, de presbytères…

     Qui plus est, l’architecte de 46 ans, bien que formé sur le tas, a déjà montré son efficacité sur la côte malouine, là où il s’est établi avec son épouse en 1839. Dès son installation à Saint-Servan, le département le charge de conduire les travaux sur les bâtiments publics de l’arrondissement. C’est ainsi qu’il supervise la construction du tribunal et de la sous-préfecture de Saint-Malo, sous la direction des architectes Louis Richelot puis Léonce Couëtoux. Capitaine des pompiers de la cité, c’est à lui que revient encore la délicate mission du maintien de l’ordre lors des cérémonies publiques, y compris celles données à l’occasion du passage du couple impérial à Saint-Malo en août 1858.
    Qualifié pour la conduite des chantiers et pour les levés de plans, rompu à la sécurité publique et à la paperasse administrative, Hippolyte apparaît donc comme le candidat tout indiqué à la succession du service départemental d’architecture. Promu le 2 novembre 1860, il occupera ce poste pendant 23 ans.

De l’inspiration néo-classique aux références du Grand Siècle

     L’activité d’Hippolyte, surtout en matière d’architecture civile, est représentative des grandes tendances du siècle. Ainsi, la mairie-école de garçons de Plerguer (1850-1855) constitue un bel exemple du néoclassicisme régional, style que son père avait déjà lui-même adopté pour le projet de lotissement du Mail-Donges, à Rennes, et dont il nous est resté les n° 8 à 12 et 16 à 20 de la rue de Paris. L’édifice, à rez-de-chaussée surélevé, comprend deux étages carrés ; le rythme des cinq travées est interrompu par un léger avant-corps, sommé d’un fronton surbaissé. La composition est certes dépouillée, mais elle ne manque pas de noblesse : l’escalier à double volée donne de la majesté à la volumétrie imposante de l’édifice.
    On retrouve la même amplitude dans l’hôtel de ville de Saint-Servan, dont il dirige les travaux de 1858 à 1867, et pour lequel il conçoit une adroite combinaison entre le maniérisme de la seconde Renaissance et la recherche de grandeur du classicisme français. Le résultat est probant : l’équilibre des masses et la rationalité des proportions, ses lignes nobles et simples en font un panégyrique du style Louis XIII, dans lequel alternent brique, pierre et haute toiture d’ardoise.

Une architecture de l’efficience et de la grandeur

     Architecte au service de la préfecture, Hippolyte manifeste le souci de répondre au plus près des exigences administratives, mettant l’accent sur d’autres valeurs que le monumentalisme. Si la grammaire architecturale de l’école normale d’instituteurs (1863) ou du pavillon des archives départementales (1885), s’inspire tantôt du rationalisme bourgeois des lycées parisiens, tantôt du néogothique troubadour, elle n’est qu’un leurre. Les volumes sont organisés en fonction des équipements qu’ils doivent recevoir, percés de grandes baies et de verrières. Il n’hésite pas à utiliser les armatures de fer et de fonte pour renforcer les planchers, équipe les salles du chauffage central, épure le décor intérieur. Modernité, rigueur et fonctionnalité attestent que la priorité est donnée au service.
    La vocation administrative de la préfecture, installée dans l’ancien hôtel de Ruberso, conduit encore le trio formé de Béziers-Lafosse, Martenot et Langlois à reprendre cette même logique lorsqu’ils sont appelés à l’agrandir en 1872. Mais, épicentre du pouvoir, la préfecture doit aussi servir d’autres intérêts, politiques notamment. Dans le méli-mélo produit par les reprises du noyau d’origine et l’adjonction des ailes neuves, la galerie des fêtes constitue une apothéose du goût officiel, sa décoration réunissant tout ce que les arts décoratifs produisent alors de plus somptueux : sculptures, marbres et stucs, fresques, boiseries et marqueteries participent, outre à reproduire le lustre des salons parisiens, à donner une image ambitieuse du régime. Ce petit Versailles ne pouvait que convenir à l’esprit démonstratif d’une époque qui se caractérise par le goût du spectacle et de la savante culture.

Hippolyte Béziers-Lafosse, architecte de mode ?

     Jean-Yves Veillard n’hésite pourtant pas à qualifier cette dernière réalisation d’« imitation plus complaisante de la mode ». Il est vrai que le milieu du siècle à Rennes est le théâtre d’un débat architectural animé, entre partisans du néo-gothique et du néo-classicisme, du rationalisme et de l’éclectisme. Pour Hippolyte, le meilleur parti consiste donc à proposer toutes les formules en vigueur, d’où une production qui apparaît finalement comme une tentative de globalisation de la problématique architecturale. Or, si le poids des convenances, accru par la cohésion sociale des acteurs, maintient encore Hippolyte au service départemental d’architecture au début de la Troisième république, c’est à Jean-Marie Laloy, jeune rationaliste convaincu, que revient le poste en 1883, et non à son fils Albert, malgré la collaboration de 17 ans qui le liait à son père. À la paix bourgeoise succède en effet une nouvelle guerre de styles, chargée de significations idéologiques : dans la course qui oppose le religieux et le laïc, la République se cherche de nouvelles figures militantes.