et Pierre-Jack Laloy :
un engagement laïc
et républicain de père
en fils
Si Jean-Marie Laloy (1851-1927) peut être considéré comme un des architectes majeurs du tournant des 19e et 20e siècles à Rennes, son fils Pierre-Jack (1885-1962) laisse également une empreinte non négligeable. Bien que leurs travaux pour les particuliers soient nombreux, l’œuvre des Laloy reste profondément liée à l’architecture publique. Combien d’écoles, de postes ou encore de gendarmeries, portent la signature de ces deux architectes dont l’œuvre est résolument attachée à la République? Leurs ouvrages, qui allient un souci d’architecture régionale et une part de modernité, marquent le paysage rennais. Ces deux architectes sont aussi des notables de la ville, des personnalités dont la force de caractère égale la qualité professionnelle.
Jean-Marie Laloy est né à Fougères, le 29 novembre 1851. Après sept années de brillantes études à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris (Ensba), il retourne en Bretagne, en 1878, pour s’installer à Rennes dans un hôtel de style néoclassique qu’il se construit, 18 rue de Viarmes. Jean-Marie Laloy est alors le premier diplômé de l’Ensba rennais (le diplôme date de 1867).
C’est un parcours sensiblement identique que suit son fils Pierre-Jack Laloy, né à Rennes, le 5 décembre 1885. Après d’honnêtes études à l’Ensba, entreprises dès 1905, il revient dans sa ville natale, en 1910, et s’installe dans le cabinet de son père, rue de Viarmes. Après dix années de pratique, interrompues par la Grande Guerre au cours de laquelle il est blessé, son père le recommande au préfet pour prendre sa succession à la tête des différentes fonctions qu’il occupe.
Franc-maçon, Jean-Marie Laloy est aussi laïc et républicain. Il est élu en 1881 sur la liste de la municipalité d’Edgar Le Bastard. Cette proximité politique franchit les générations puisque Jean Janvier (maire de Rennes de 1908 à 1923) appuie la candidature de Pierre-Jack Laloy en tant qu’architecte des Postes. Cependant, ce dernier, bien que proche de la gauche radicale, ne s’engage pas en politique.
Les Laloy ont occupé la charge d’architecte du département d’Ille-et-Vilaine pendant 63 ans, de 1884 à 1947. À son entrée en fonction, Jean-Marie Laloy est déjà architecte du palais de justice et des bâtiments de l’État, postes qu’il conserve jusqu’en 1920. A cette date, son fils Pierre lui succède à ces différents emplois, jusqu’en 1947. Il cumule cette activité avec celle d’architecte régional des Postes, à partir de 1923, et d’architecte de l’Office départemental des habitations à bon marché (HBM), de 1929 à 1934. Cette longévité leur a permis de réaliser des bâtiments remarquables.
Le premier édifice d’envergure de Jean-Marie Laloy est l’École normale d’institutrices établie, en 1882, boulevard de la Duchesse Anne. Ce chantier, sur lequel il rencontre l’entrepreneur Jean Janvier, marque le début de sa carrière et illustre parfaitement ce style IIIe République qu’il traite sur un ton personnel. Comme architecte du département, on lui confie par la suite d’autres monuments prestigieux comme l’École nationale d’agriculture en 1892 ou encore l’austère prison départementale en schiste de Pont-Réan, érigée en 1900, où le seul décor s’exprime dans la mise en oeuvre des matériaux locaux. Au même moment, Jean-Marie. Laloy modernise et agrandit l’asile Saint-Méen. Comme architecte du palais de justice, il souhaite rendre au parlement de Bretagne son aspect d’origine et complète son programme décoratif par la commande de tapisseries pour la grand’chambre. Jean- MarieLaloy est surtout l’auteur de 95 écoles dans le département qu’il a construit selon un plan-type. En plus de nombreux édifices élevés à Fougères, comme le théâtre (1880-1886), il bâtit également 25 gendarmeries et 43 bâtiments publics divers. Il s’éteint le 2 janvier 1927, au terme d’une belle carrière.
De son côté, Pierre-Jack Laloy est, comme son père, à l’aise dans tous les répertoires, des villas qu’il érige sur la côte d’Émeraude aux programmes publics pour l’administration des Postes en passant par les HBM. En tant qu’architecte de l’Office public d’HBM, Pierre-Jack Laloy édifie plusieurs maisons selon un principe rationnel, en usant de matériaux locaux comme la brique, le schiste violet de Pont-Réan et le granit. En parallèle, Pierre-Jack Laloy poursuit les oeuvres de son père. Il réalise la fermemodèle de l’École d’agriculture et l’annexe de l’asile Saint-Méen, en 1927, boulevard de Vitré, dans un style régionaliste. C’est le même esprit qui le guide pour la construction de la prison de Saint-Malo, en 1929, où il reprend le motif du toit de tuiles rouges.
Par ailleurs, les deux architectes obtiennent la confiance des élites locales, comme les administrateurs de la Société économique de Rennes qui possèdent leurs bureaux près de la gare (reconstruits en 1950), ou encore Jean Prost pour son garage Ford sur le Mail, agrandi au milieu des années 1930 (détruit). De son côté, Pierre- Jack Laloy établit dans un style régionaliste la clinique du docteur Marquis, rue Jean Macé (aujourd’hui disparue). Après la Seconde Guerre mondiale, il conserve ses différentes fonctions, mais ne se reconnaît plus dans un marché où les statuts de la commande ont changé. Il poursuit néanmoins son activité dans les années 1950 pour des chantiers publics principalement finistériens. Il décède à Rennes, le 11 avril 1962.
Leurs programmes rationalistes expriment parfaitement le projet politique qui sous-tend la commande. Les écoles de Jean-Marie Laloy, comme les postes de Pierre- Jack Laloy, s’intègrent au contexte (de la bourgade au chef-lieu de département) et donnent à la fois une image de modernité et de régionalisme. Cependant, si Jean-Marie Laloy est tenté par le vernaculaire pour ses villas balnéaires, il n’en fait pas usage en milieu urbain. De son côté, Pierre-Jack Laloy, par sa formation, oscille entre Art déco et régionalisme breton vers lequel il a su rallier une partie de sa clientèle. Il conjugue de manière inspirée l’emploi de matériaux modernes, comme le béton armé, et celui de motifs régionalistes. Il est une des figures de l’Art déco breton, à l’instar de son ami Yves Hémar. Les Laloy ont également transmis ce goût pour le régionalisme aux nombreux architectes formés au sein de leur agence qui ont contribué, comme eux, à modeler la ville de Rennes. Mais Pierre-Jack Laloy savait aussi parfois répondre à des désirs plus proches du mouvement moderne, comme l’indiquent ses réalisations privées, dans le quartier de Sévigné, dans les années 1930. Après-guerre, ses dernières réalisations observent une tendance comparable.