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Dossier
#18
La biodiversité :
un nouvel horizon
pour les villes
RÉSUMÉ > Le citadin veut une nature de proximité, riche en espèces animales et végétales. Plus précis que le terme « nature », celui de « biodiversité » désigne la richesse en espèces. Pour la développer, on supprime les pesticides, on privilégie des plantes locales… On ne créé plus un parc pour des seules raisons hygiénistes et esthétiques. On le créé dans l’optique d’un développement durable. La diversité des végétaux locaux est alors un gage de stabilité et de résistance aux maladies et aux espèces invasives.

     La ville est visiblement plus « naturelle » qu’autrefois, elle peut être considérée comme un réel écosystème. Il possède en effet ses propres caractères, que ce soit du point de vue de la climatologie (températures plus élevées), des sols (déstructurés), de la luminosité (quasi permanent), des perturbations (voitures, pollution), etc. L’installation progressive des espaces verts en a été l’un des éléments les plus significatifs. Nous pouvons même parler d’un ensemble d’écosystèmes - forestier, prairial, aquatique, montagnard, c’est-à-dire d’un paysage écologique.

     Avant le milieu du 19e siècle, les jardins, parcs et promenades étaient rares. Ces parcs, d’abord très entretenus, avec leurs paysages de mosaïques de fleurs, ont ensuite évolué vers les jardins anglais, plus romantiques, puis vers des zones de plus en plus naturelles. Au fur et à mesure, ces espaces de détente se sont ainsi rapprochés d’une végétation plus sauvage. Des arbres sont aussi plantés en abondance sur les boulevards et les jardins privés abandonnent progressivement leur caractère de potager. Ces espaces et leur gestion, de plus en plus écologique, offrent de nouveaux abris et de nouvelles ressources à des espèces animales et végétales qui colonisent la ville à partir des campagnes proches, puis s’y installent.
     Cette évolution du milieu urbain accompagne une demande sociale également en pleine transformation. Le citadin veut une nature de proximité, riche en espèces animales et végétales, et pas n’importe quelles espèces: il préfère généralement celles qu’il connaît et qui composent le cadre campagnard de sa région. La nature est souhaitée comme un élément essentiel de la vie quotidienne, comme en témoigne l’enquête menée en 2008, par l’Union nationale des entrepreneurs du paysage qui a montré que, pour 72 % des personnes interrogées, la présence d’espaces verts à proximité de leur habitation a été un critère essentiel dans le choix de leur lieu de vie.

     Le terme de « biodiversité » est beaucoup plus précis que « nature » qui semble pouvoir désigner tout se qui entoure l’homme (depuis les cailloux, les plantes, les animaux, les paysages, jusqu’au temps qu’il fait). La biodiversité désigne la richesse en espèces, la variabilité génétique et la diversité des fonctions écologiques et des écosystèmes. Elle tient compte à la fois des relations entre ces divers niveaux d’organisation et des enjeux pour la population humaine. Elle ne peut en aucun cas être restreinte à une liste d’espèces. D’ailleurs pour obtenir beaucoup d’espèces, il suffit d’en introduire ou bien de perturber le milieu, gage d’apparition d’espèces généralistes, c’est-à-dire d’espèces qui peuvent occuper des habitats très différents.
     De plus en plus, les écologues soulignent l’importance de la biodiversité fonctionnelle intégrant, par exemple, la cohérence des chaînes alimentaires et la présence des espèces rares qui sont le plus souvent des espèces spécialistes, c’est-à-dire adaptées à l’utilisation d’un seul type d’habitat dans lequel elles sont très performantes. La biodiversité, c’est donc un ensemble d’espèces végétales et animales et leurs interrelations.

     Cette notion de fonctionnement de la biodiversité devient centrale aujourd’hui dans l’analyse et la gestion des espèces sauvages. C’est parce qu’on la prend enfin en compte que l’on protège aujourd’hui des espaces et non plus des espèces. La conservation de la nature est passée récemment d’une approche centrée sur les espèces (on protège l’ours) à une approche centrée sur les processus (on protège les capacités des animaux à se déplacer en identifiant des couloirs de dispersion).
     En ville, la biodiversité s’installe progressivement, mais reste difficile à définir. Des espèces que l’écologue étudiait peu vont devenir ici des composantes incontournables de la biodiversité urbaine. Par exemple le chat, espèce domestique, est le premier prédateur dans la ville et à Rennes l’absence des lézards des murailles dans la plupart des quartiers s’explique par la prédation des chats. Il n’est donc pas possible d’omettre cet animal qui n’est pourtant pas « sauvage ». De même, la majorité des plantes à fleurs sont des espèces horticoles. Or elles participent bien évidement au processus de pollinisation, elles doivent donc être intégrées à la biodiversité urbaine.
     Un certain consensus existe pour dire que se sont les espèces sauvages qui sont à favoriser mais que la biodiversité urbaine implique aussi une gamme d’espèces exotiques et domestiques. Il n’est pas question de remettre en cause les patrimoines horticoles et paysagers de nos parcs mais d’y inclure de nouvelles préoccupations.

     Autre changement, la prise en compte de la biodiversité à l’intérieur des jardins et des parcs. On limite les intrants, on supprime les pesticides, on privilégie certaines plantes locales… Les villes ont d’ailleurs créé des labels de qualité pour affirmer leurs nouveaux modes d’entretien. Ces actions qui découlent souvent d’une gestion écologique intégrée dans une gestion différenciée (on gère différemment l’espace depuis le très entretenu jusqu’au fauchage annuel), se fait à l’échelle du parc ou du jardin.
     Il existe une autre échelle plus globale, indispensable à la compréhension des maintiens et des déplacements des espèces : c’est l’échelle de la ville, voire de l’agglomération ou du département. En effet, les zones sources d’espèces sont souvent extérieures à la ville et les possibilités de cheminement des animaux non volants ou de nombreuses plantes sont très limitées en ville. Il faut prendre en compte alors les distances entre les sites, l’existence et la qualité des continuités vertes au sein du bâti.
     L’éclogie du paysage qui a travaillé essentiellement sur les fragmentations des habitats par l’agriculture s’intéresse aujourd’hui aussi au fonctionnement des paysages urbains. La création ou la restauration de corridors écologiques peut compenser en partie l’isolement de parcs ou de boisements et permettre la reconstruction d’une biodiversité plus cohérente, c’est-à-dire plus fonctionnelle. La gestion s’exerce alors au niveau du projet urbain et sur un temps long. Le Grenelle de l’Environnement (2007) a dynamisé cette perception et les nouvelles notions de trames vertes et bleues, même en ville, pourraient répondre aux attentes de plus de nature en ville, plus organisée et plus fonctionnelle.

     Beaucoup de questions se posaient et se posent toujours aux scientifiques comme aux gestionnaires de l’espace urbain sur cette biodiversité. De façon très originale en Europe (seule l’université d’Humboldt de Berlin lançait alors un travail similaire), nous nous sommes retrouvés entre écologues, géographes, climatologues et sociologues en 2002 pour défricher les relations entre biodiversité et urbanisation en travaillant sur les villes de Rennes et d’Angers et, cela pendant dix ans. Le long terme était indispensable à une connaissance des trajectoires et à une généralisation possible des résultats.
     Ce programme s’appelait Ecorurb. L’appui de Rennes Métropole a été déterminant à la fois dans l’engagement des chercheurs et dans l’instrumentation des sites étudiés. Des résultats ont été obtenus dans chaque discipline et ont conforté les variabilités de fonctionnement selon les secteurs de la ville et selon les groupes d’espèces considérées. Ce programme a aussi fait émerger de nouvelles hypothèses sur les notions de filtrage des espèces, sur les perceptions des citadins ou sur l’évolution des étalements urbains, hypothèses qui ont servi de base à la construction de nouveaux programmes de recherche.
     Parmi ces nouveaux programmes, le programme national « TramesVertesUrbaines » (Agence nationale pour la recherche, 2009-2012) qui regroupe plus de 50 chercheurs de 11 laboratoires de disciplines différentes, a testé bon nombre de ces hypothèses en allant beaucoup plus loin sur l’effet des structures de paysage, des difficultés de gouvernance et des appréciations des citadins. Ce sont les résultats déjà obtenus qui permettent de proposer certaines stratégies de mise en oeuvre et de lister comme cidessous les intérêts d’une biodiversité dans la ville.

     La création d’espaces verts pour des seules causes hygiéniste et esthétique semble donc dépassée et prend aujourd’hui toute une valeur intrinsèque dans le cadre d’un développement durable qui peut aller jusqu’à proposer de nouvelles formes d’urbanisme. Il faut cependant reconnaître que développer de la biodiversité en ville, c’est avant tout pour l’homme, même si les retombées sont réelles pour la biodiversité.
     L’intérêt de développer une biodiversité en ville est multiple. Une classification du Millenium Ecosystem Assessment (2005) distingue trois grands types de services écologiques : l’approvisionnement, les services culturels et les régulations environnementales.
     L’approvisionnement concerne la fourniture directe de biens. Dans nos villes, cette fonction est surtout celle des jardins qui produisent des fruits et légumes. On peut aussi y rattacher la fourniture en eau, les fleuves et les rivières étant des espaces à caractère naturel3…

     Les services culturels, éthiques, sont parmi les valeurs les plus reconnues actuellement. Le citadin souhaitant améliorer son cadre de vie grâce à une nature « de proximité », les paysagistes y répondent en jouant sur les aspects esthétiques et les urbanistes en y intégrant les fonctions de récréations. Les relations entre qualité naturelle de l’environnement et bien-être moral et physique des citadins sont maintenant bien connues. Les espaces à caractère naturel peuvent aussi favoriser le développement des liens sociaux à travers leur usage collectif voire leur entretien par les citadins. Les expériences du jardin naturel consistant à laisser une petite partie de son jardin privé avec un minimum d’entretien réalisées notamment à Bruxelles dans les années 1970 ont été un succès autant pour l’augmentation du nombre d’espèces « sauvages » que dans le renforcement des liens de voisinage.

     Les services de régulation environnementale liés aux espaces naturels. Il s’agit par exemple du rôle des espaces verts dans la régulation hydrique. Dans certaines régions très urbanisées, les effets d’imperméabilisation ont été suffisamment démonstratifs pour imposer des contraintes d’urbanisme (par exemple la Ruhr qui est à l’origine d’une taxe sur l’imperméabilisation des sols en Allemagne). Le rôle des végétaux dans les villes pour lutter contre les pollutions atmosphériques (par exemple la production d’oxygène ou la fixation des particules aériennes sur les feuilles) est également connu.
     On sait aussi que les arbres sont les meilleurs moyens de rafraîchir l’air sur un boulevard ou une place mais on n’a toujours pas vraiment fait le lien entre ce service et une possible adaptation des villes au réchauffement climatique par des plantations ciblées. Pourtant ce tamponnage thermique peut devenir aujourd’hui une justification importante aux plantations de végétaux dans toute la ville et aussi sur les bâtiments. Enfin on cite de plus en plus le rôle des arbres en ville dans une capture importante de CO2.

     La difficulté est aujourd’hui de coupler l’attente de ces services avec une biodiversité qui se maintienne. Il ne suffit pas de planter quelques arbres qui résistent à la sécheresse. On sait qu’une microfaune du sol est à même de restructurer le sol et décomposer une litière nécessaire à l’installation de nombreux végétaux. La diversité des végétaux locaux est alors un gage de stabilité et de résistance aux maladies et aux espèces invasives. Le désherbage et l’entretien seraient alors limités. En même temps, la faune des herbes et des arbustes s’installent et régulent les ravageurs et assurent la pollinisation.
     On peut aussi se poser de nouvelles questions au regard du déplacement des aires de distribution des espèces qui glissent progressivement vers le nord avec le réchauffement climatique. Ainsi les oiseaux ou les papillons montrent des tendances significatives à se reproduire dans des zones plus septentrionales qu’avant. Face à ces dispersions différentes, on peut se demander si les grandes métropoles ne joueraient pas le rôle de barrières aux dispersions régionales au moins pour les espèces moins mobiles. Donc à une échelle régionale, la mise en place de trames vertes dans les zones suburbaines très étendues des grandes mégapoles permettraient aussi une mobilité des espèces à grandes échelles.

     La ville ne peut plus être regardée comme un espace non naturel et son expansion géographique régulière repose de plus en plus la responsabilité de l’urbanisme dans la conservation de la biodiversité. Tout comme on a imposé à l’agriculture une série de contraintes environnementales, il faudra inclure dans les projets d’urbanisme des règles de protection de la nature. C’est déjà le cas dans de nombreuses chartes de l’environnement élaborées par les municipalités elles-mêmes. Mais il faudrait aller plus loin en intégrant le fonctionnement de cette biodiversité. Le développement des connaissances doit permettre de fournir des éléments de réponse mais l’organisation même de l’espace urbain peut être aussi repensée notamment dans l’augmentation et l’organisation des espaces à caractère naturel.

     Par exemple une solution alternative au zonage (parc et jardin public) pourraient être la mise en place de liaisons vertes qui permettent des jonctions entre ces parcs et constitueraient les trames vertes. A priori en augmentant l’interface entre citadin et nature, ces infrastructures vertes permettraient de répondre à la contradiction: développer des surfaces de nature dans la ville mais conserver une densité indispensable à un développement durable. Ce développement de trames vertes dans les villes et entre ville et campagne pourrait devenir un nouvel élément structurant les futurs aménagements du territoire et les prochaines formes urbaines.