Ville de l’arrière, Rennes n’en connaît pas moins une mobilisation d’ampleur durant la Première Guerre mondiale, du fait notamment de la présence en ses murs d’un arsenal d’importance. Quoique disposant de locaux de grandes dimensions sur son site d’origine et plus encore sur celui de la Courrouze, l’arsenal rennais n’arrive pourtant pas à répondre à une demande grandissante en armements et en munitions à mesure que le conflit se poursuit. Très rapidement alors, les installations de l’usine à gaz, situées boulevard Voltaire, sont utilisées en ce sens comme nous le montre cette photographie contemporaine de l’événement. Usine à gaz, boulevard Voltaire La halle aux douilles pendant la Grande Guerre
Au cœur de l’enceinte de l’usine, on observe, en effet, un amoncellement de caisses et de douilles d’obus, sans doute de 75, destinées à être retravaillées afin de les rendre à nouveau utilisables et de les renvoyer au front. Cette opération du recuit est la fonction dévolue à l’usine à gaz au prix de l’adaptation d’un de ses fours. Les douilles arrivent par milliers dans les wagonnets que l’on distingue au premier plan mais aussi à l’arrière, entre les deux cheminées. Elles viennent de l’arsenal, où elles ont été préalablement triées, et empruntent pour cela, à une cadence incessante, de petites voies ferrées qui font le lien entre ces deux emplacements. On produit ainsi plus de 60 000 douilles par jour en 1915. Ce n’est qu’une fois retravaillées qu’elles sont mises en caisse pour être réexpédiées sur un autre lieu afin d’être rechargées en explosif.
L’impression générale d’accumulation qui règne en ces lieux indique l’ampleur de la tâche à accomplir et la confusion des fonctions anciennes et présentes de ce site industriel. La photographie donne, en effet, à voir une partie de l’usine, construite en 1884, afin de produire du gaz, pour les fonctions d’éclairage urbain, à partir de la distillation de la houille. On observe ainsi deux des quatre grandes halles de l’époque avec leurs pignons en façade, en schiste, rythmés par une travée centrale, percée de deux larges ouvertures superposées, flanquées, de part et d’autre, de baies géminées en plein cintre. Leur qualité architecturale fait qu’elles ont été conservées et restaurées. Elles sont aujourd’hui encore visibles sur les lieux occupés actuellement par EDF. Sur la droite, juste devant une des halles, se dressent deux imposantes cheminées qui servent au traitement des gaz et à l’évacuation des fumées produites par les fours de distillation.
Au sein de cet environnement industriel, trois personnages rappellent l’importance de l’activité humaine que nécessite une telle production. Deux d’entre eux sont des « travailleurs coloniaux ». Leur présence souligne les besoins croissants en main-d’œuvre pendant la guerre alors que le front mobilise un nombre considérable d’hommes. Outre l’appel à la main-d’œuvre féminine – les fameuses munitionnettes –, il a fallu faire appel à près de 2 000 travailleurs coloniaux et étrangers sur les différents emplacements de l’arsenal. Le regard las et vaguement interloqué de ces deux hommes témoigne des conditions de travail difficiles qui régissent cet univers, peut-être aussi du déracinement géographique et culturel qui leur a été imposé. L’officier qui les accompagne, l’air faussement détaché, rend compte, quant à lui, de la dimension militaire qui prévaut désormais dans cet établissement industriel de l’arrière.