Compagnie Vertigo -Vertigo, film culte d’Hitchcock et son procédé optique… Vertige du jeu théâtral entre l’abandon et la conscience … le groupe Vertigo comme le nom imaginaire d’un réseau de résistance, théâtrale… et au final, une compagnie voulue par Guillaume Doucet et Faye Anatossava Gatteau, en 2007. Avec une première pièce Europeana montée un an plus tard, d’après le livre de Patrick Ourednik, le ton est donné: « Avec des textes d’auteurs contemporains et le langage mué par une grande force d’écriture, nous questionnons le présent de la représentation et le trouble entre réalité et fiction ».
Pour la troisième année consécutive, le groupe Vertigo est artiste associé du Théâtre de La Paillette. Une résidence- mission de deux années, renouvelée une fois, soutenue par le conseil général. « J’ai choisi par exemple de travailler en atelier avec les étudiants de Rennes 2 et de monter un cabaret avec les habitants du quartier sur les questions d’actualité ». Ateliers lecture, petites formes, rencontres… Guillaume Doucet irrigue de ses propositions le temps du théâtre ici, mais aussi ailleurs. Histoire de vases communicants.
« Être artiste associé, c’est gigantesque! Il n’y a pas de théâtre sans lieu de théâtre. C’est avoir du temps et des espaces pour répéter, expérimenter. Ce sont de petits riens qui gonflent d’année en année et au quotidien, un milliard de choses : prendre le plateau une heure comme bénéficier de l’accompagnement en production d’Isabelle Renaud et avoir accès à un réseau de professionnels, via La Paillette… » Un soutien indispensable que salue le jeune professionnel. « Dans le même temps, la situation de La Paillette est incroyable. Elle a pour mission l’accompagnement des compagnies émergentes de la deuxième ville de France en nombre de compagnies, avec les moyens d’une MJC, peau de chagrin ». Un sentiment partagé précise Guillaume Doucet qui évoque une réunion organisée entre les compagnies rennaises: « À l’évidence pour nous tous, il manque un lieu intermédiaire entre le TNB qui oeuvre à l’international et La Paillette, afin de permettre aux compagnies professionnelles implantées en région de se produire. À moins que La Paillette ne puisse jouer ce rôle. À Nantes, il existe cinq lieux de théâtre! ». Deuxième constat : « Il n’existe aucun lieu ouvert pour permettre aux compagnies de travailler, comme il en existe en danse avec Le Garage ». Et la demande est forte avec 80 compagnies professionnelles implantées dans l’agglomération rennaise. « Certains départements n’atteignent même pas ce nombre! ».
Compagnie Zusvex - Zusvex? Un jeu d’écriture surréaliste et, en 2004, un nom de compagnie comme « un laboratoire mobile d’expérimentations artistiques et poétiques ». Zusvex a sa Maison à Parigné, près de Fougères, ses artistes à résidence, six, et en résidence, au fil des rencontres. Zusvex a sa directrice artistique, Marie Bout, l’ancienne maîtresse de maison qui, en 2006 au début de l’été, invite d’autres artistes pour une quinzaine. Derrière chez elle, il y a une voie ferrée et l’envie de l’explorer par de petites formes théâtrales, trois soirs durant : « Nous avons eu 300 spectateurs ». Avec la certitude « qu’il faut faire des choses ici », Marie et la compagnie réitèrent tous les étés Les petites pauses poétiques. Une quarantaine d’artistes invités investissent la commune par petites touches spectaculaires. À l’année, ce sont une dizaine de rencontres croisées chez l’habitant, à La Maison de Zusvex pour une restitution des résidences d’artistes, en partenariat avec les écoles et la maison de retraite… « Nous pensons et construisons nos spectacles à partir d’un accompagnement, d’un accueil et d’un échange étroit avec le public. Notre projet est devenu le projet des habitants… c’est réjouissant. L’envie des gens de nous accueillir donne de la densité à notre projet. ».
Soutenue par les tutelles pour une Résidence mission de deux fois deux ans, plus une année, la compagnie Zusvex attend désormais le soutien du Fonds d’accompagnement culturel et territorial pour poursuivre son projet artistique sur Parigné. Forte de son ancrage et depuis son port d’attache, la compagnie vit d’autres escales artistiques. Citons une résidence artistique menée avec l’école Trégain à Maurepas, soutenue par Lillico, ou encore des projets partagés avec le Théâtre du Cercle, à Rennes, L’Agora au Rheu, Le Volume à Vern-sur- Seiche… et plus loin encore Le Grand Théâtre à Lorient. « Ce sont autant de lieux qui nous sont fidèles, mais nous aimerions élargir notre cercle. » La compagnie Zusvex peine en effet à diffuser ses spectacles: « Nous n’avons présenté que sept fois notre cinquième création Cent culottes et sans abris, troisième texte de Sylvain Levey joué par la compagnie. Nous aimerions désormais sortir de la Bretagne ».
Compagnie KF - Avec pour idéogramme un K et un F retourné dans un complice dialogue néanmoins distancié, le ton de la compagnie KF association est donné. Il y a douze ans, Camille Kerdellant et Rozenn Fournier, avec chacune sous le coude une décennie de plateaux régionaux, décident de mener un compagnonnage artistique. Elles ouvrent ensemble « un terrain de jeux » et expérimentent à bras le corps de nouvelles voies, l’une, comédienne et l’autre, metteuse en scène. « Nous avons commencé avec peu de moyens et surtout l’envie de créer ».
Avec une analyse fine et lucide, sans fard, les deux actrices esquissent les années passées à frapper aux portes des théâtres et des institutions, bien souvent sur la pointe des pieds, pour obtenir un appui technique ou financier. Elles évoquent l’indifférence de ceux qui un jour, soutiennent, et le lendemain, ignorent, taclant sans tact les années filantes, avides de jeunes pousses. « Dans le spectacle vivant, il y a deux matières : l’argent et l’artistique. Elles cohabitent difficilement. Avec les décideurs, institutions et structures, rarement la question artistique est abordée ou, si elle l’est, il faut justifier de son intérêt avant même de l’avoir expérimenté sur le plateau avec l’équipe artistique ». Le précieux sésame obtenu, la création « labellisée », « cela a été un crève-coeur d’utiliser de l’argent public pour des spectacles trop souvent représentés pour moins de cinq dates ». Sans compter les territoires aux prés carrés et chasses-gardées qu’induisent les rapports de pouvoir entre les décideurs financeurs.
De guerre lasse, refusant que la litanie administrative ne prenne le pas sur l’artistique, les deux artistes décident l’autoproduction pour questionner le modèle ambiant: « Aujourd’hui, nous avons choisi de travailler dans des conditions modestes, tout en restant fidèles à notre esthétique » Une mise en danger salvatrice pour l’art des tréteaux : « Réduire l’espace », leur permet « d’agrandir l’imaginaire ». « C’est étonnant de voir aujourd’hui comment nous sommes accueillis par les programmateurs. Nous nous sommes délestés du poids des responsabilités qui nous éloignait de l’artistique et nous tournons depuis plus d’un an notre dernier spectacle ». La liberté retrouvée au prix de quelques sacrifices, mais le double appui d’une administratrice de tournées et une chargée de production, le tandem se sent pousser des ailes. À l’affiche dans un « Spectacle à deux voix, un livre, une table, deux têtes, quatre pieds : une famille », les deux comédiennes prennent plaisir à partager leur métier de saltimbanques avec « un conte généalogique truculent et cruel » tiré du texte Ma Famille de Carlos Liscano. « Nous sommes presque désormais d’égal à égal avec ceux qui choisissent d’acheter nos spectacles ! ».
Compagnie Légitime Folie - Filles d’un instituteur partisan des projets pédagogiques lié au spectacle, Blandine et Hélène Jet se prennent au mot. L’expérimentation devient expérience professionnelle. La première choisit l’écriture comme médium, la seconde, les arts du spectacle. Vincent Burlot, compositeur, prend à coeur le projet. Le trio dénonce l’exploitation des enfants comme des singes savants voire leur infantilisation, et crée la compagnie Légitime Folie, en 1992, à leur adresse, comme un manifeste. Objectif : « Offrir aux enfants des conditions professionnelles de travail ». Les soutiens ne se font pas attendre, en particulier celui de la Maison du Champ de Mars. « Malgré notre peu d’expérience, on nous a fait confiance ». Durant dix ans, la troupe et les familles oeuvrent de concert. Dans le bagage des enfants : trois créations majeures et un échange en Roumanie. Début des années 2000, la Fondation de France donne un sérieux coup de pouce. Se pose alors la question des tournées hors Bretagne. « Nous avons fait le pas de salarier tous les enfants pour devenir une compagnie professionnelle. Un an après, c’était devenu obligatoire! ».
La compagnie de théâtre musical et chorégraphique fédère une dizaine d’enfants et de jeunes âgés de 10 à 18 ans. Son credo: « un théâtre ouvert pluridisciplinaire d’échange et de découverte ». Sa spécialité: « la direction d’acteurs enfants au sein de créations professionnelles ». En chemin, la compagnie rencontre le soutien du comédien Jacques Gamblin. L’engagement sans compter porte ses fruits. « C’est notre grande bataille de faire reconnaître les enfants comme des acteurs à part entière ». Une résidence mission soutenue par le conseil général, avec l’espace Beausoleil à Pont-Péan débute en septembre. « En même temps qu’une création, cela permet d’élargir les propositions faites au public, en partageant nos productions, nos processus de travail ou un atelier avec les habitants ». La question de l’intergénérationnel est la thématique partagée, en lien avec Alice, dernière création. « L’implication sur le territoire favorise l’interpénétration entre nos créations et ce que vivent les habitants ».
Toute la difficulté de la compagnie est de pouvoir faire tourner ses créations. « Avec seulement 10 % du budget subventionné, le nerf de la guerre est la diffusion ». Il n’est pas toujours simple de défendre ce type de théâtre musical qui plus est joué par des enfants. « Et pourtant, notre travail touche un public familial qui apprécie l’authenticité de la parole d’enfants ». Et de conclure: « Les acteurs enfants n’ont ni préjugés ni représentation à défendre, il s’agit pour nous de les accompagner en leur faisant confiance, mais sans complaisance ou angélisme. »
Compagnie La Station Théâtre - Une station service désaffectée à l’entrée de la commune de La Mézière. La voiture en boycott et le vélo convaincu, le comédien, metteur en scène et auteur, Gwenaël De Boodt et la plasticienne Marion Derrien s’engagent sans concession pour recycler la friche en Station Théâtre. Un projet de vie autant qu’un projet artistique. À force de volonté, d’huile de coude, d’utopie, de ‘pataphysique et de débrouilles, d’une seule voix, le tandem lance le 4 octobre dernier une première saison par « un feu d’artifice de la langue »!
Dans ce lieu atypique et décalé s’entend « l’or noir de la langue ». Les deux complices revendiquent un théâtre porteur « d’humanité et de sens », riche d’une parole libre et travaillée au corps par le texte d’auteur incarné par le jeu d’un acteur. « Le théâtre permet l’échelle humaine, il a vocation de travailler avec les corps et les esprits et de les questionner », commente Marion. Un engagement hors normes et hors modes défendu en état d’urgence, car menacé un temps d’expropriation dans le cadre de l’aménagement urbain. « Notre vision de l’avenir s’est consolidée devant ces attaques urbanistiques et nous interpelle sur la façon dont la ville se développe aujourd’hui », affirme Gwenaël. Le projet urbain est aujourd’hui suspendu. Avec une cinquantaine d’adhérents sur la dernière saison, l’association veille au grain. LaStation Théâtre joue un « rôle d’espace de création pour les artistes professionnels et de lieu d’appréciation des oeuvres d’art pour le public », soutenue par la communauté de communes du Val d’Ille. Avec une jauge de 49 places, une entrée à moins de dix euros et une dizaine de spectacles dans l’année, la prise de risque est réelle: « Le théâtre n’est jamais rentable, donc nous ne nous refusons rien, surtout pas la qualité des textes et des acteurs ». Théâtre à l’année, festival Augustes pédales en mai 2014, mais aussi Ciné club ou encore lieu de débat, La Station Théâtre ne s’embarrasse ni de la langue de bois, ni de la pression sociale. Ici, les ami(e)s de Gaston Couté, d’Alfred Jarry, Antoine Blondin, Lucien Suel ou encore Fernando Arrabal seront servis pour le meilleur et pour le dire. Qu’on se le dise!
Compagnie Le Théâtre à l’Envers - Marqué en chair et en os par le théâtre sensoriel d’Enrique Vargas, il y a trois lustres, Benoît Gasnier fondait le Théâtre à l’Envers avec Julie Seiller, fidèle collaboratrice artistique. « Il y a deux ans, j’ai réglé la question artistique, en enlevant le mot théâtre. Ce qui nous intéresse dans les arts vivants, c’est la place du spectateur au sein d’un dispositif, qu’il soit théâtral, visuel, musical… et comment on raconte des histoires ». La révision du glossaire d’une tête à l’endroit s’impose: « L’acteur devient « un habitant », celui qui habite le dispositif que nous travaillons. Le spectateur est « un imaginant » et ce que nous créons, « une oeuvre ». Et le metteur en scène de la compagnie d’ajouter: « C’est en fait le lieu même du théâtre qui m’intéresse pour en faire un lieu de vie ouvert sur une ville. Je garde en mémoire l’appréhension, plus jeune, que j’avais de pousser les portes du TNB ».
Pour la compagnie, créer c’est mettre en scène des espaces d’expérimentation où les formes artistiques proposées ne peuvent exister que par « l’agir du spectateur ». Citons par exemple « Les rendez-vous sous la couette, espace spectaculaire de repos »…
En juillet, la compagnie achèvera une résidence de six mois sur le site Guy-Ropartz, à Maurepas. « C’est une résidence mise en place par la Ville de Rennes, au départ de trois mois. C’était pour nous trop court, avec le même budget, nous avons fait le choix de prolonger. » Dans la démarche artistique, il y a les temps d’ateliers, la cantine de Guy qui est « un endroit de vie et une forme de mise en scène de la résidence », les propositions faites par les artistes invités, les projets menés avec les « imaginants »…
Benoît Gasnier bannit le mot quartier de son glossaire, « trop ghettoïsant ». Il se méfie du mot galvaudé de « territoire ». Il s’inquiète de « la saturation » possible d’une population qui voit arriver de nouvelles équipes artistiques tous les trois et six mois. De ces dernières qui, sans coordination entre les résidences, ne retirent pas assez les fruits des expériences antérieures. L’endroit de la transmission, coopération ou partage d’un langage artistique, est en effet pour la compagnie une posture de questionnement. Avec un ancrage local et un engagement européen, la compagnie trace son chemin, sur des carnets de route qui raturent ou surlignent les frontières.