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Contributions
#11
La recherche publique
en Bretagne : largement ouverte sur le monde
RÉSUMÉ > À l’heure où les pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) breton (Université européenne de Bretagne, UEB) et ligérien (Université Nantes Angers Le Mans, Unam) proposent une initiative d’excellence commune dans le cadre du Grand emprunt national (voir Place Publique Rennes n° 9), regardons de plus près la recherche en Bretagne et mesurons son ouverture sur l’extérieur. Nous éclairerons ainsi les choix stratégiques actuellement en cours.

     Depuis 1996 où elle évoquait une « économie fondée sur le savoir et sur l’apprentissage » jusqu’en 2010 où elle développe toute une stratégie pour l’innovation, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) place l’économie de la connaissance au cœur du progrès social. En mars 2000, l’Union européenne adoptait la stratégie de Lisbonne, qui visait à « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique » du monde à l’horizon 2010. Si les objectifs n’ont pas été atteints, ils gardent néanmoins toute leur place dans la nouvelle stratégie Europe 2020 aux côtés de la croissance verte et de l’emploi.

     L’ambition explicite consiste à tenir tête aux autres grandes puissances dans un espace mondialisé particulièrement concurrentiel. La formation de personnels hautement qualifiés, l’attractivité des territoires, l’échange des idées ou la coordination des travaux font partie des principales pistes retenues.
     Les mesures engagées accordent une place prépondérante à la recherche publique. Il s’agit notamment de construire un véritable Espace européen de la recherche, au sein duquel les dimensions régionale et locale sont appelées à jouer un rôle majeur puisqu’elles correspondent au cadre privilégié pour le renforcement des réseaux d’échange et puisque l’impact sur le développement s’y ressent de manière plus directe.

     Aussi apparaît-il primordial de bien cerner les forces en présence dans un contexte de difficultés pour une recherche française en proie à de sérieux doutes et recompositions (« Etats généraux de la recherche » en 2004, loi de programme en 2006, loi relative aux libertés et responsabilités des universités en 2007…) et souffrant d’une complexité préjudiciable, brouillant les cartes par sa double dualité (universités – grandes écoles et universités – organismes de recherche). C’est ce que nous avons proposé dans une analyse approfondie de la recherche publique bretonne.

Régions et métropoles jouent un rôle plus important

     Cette étude inédite vise à déterminer si la Bretagne se distingue par une organisation scientifique, spatiale et institutionnelle particulière de sa recherche, constituant ainsi un système territorialisé. À partir d’une base de données originale, nous déterminons d’une part ses forces et faiblesses par rapport aux autres régions françaises. D’autre part, nous questionnons l’impact exercé par les effets de polarisation et de proximité dans les collaborations des chercheurs à toutes les échelles.
     Pour autant, un véritable système de recherche ne saurait s’édifier et se pérenniser sans l’impulsion donnée par les stratégies institutionnelles. C’est pourquoi un volet important de l’étude se consacre à la gouvernance de la recherche publique, qui apparaît toujours plus ramifiée. L’Etat reste prédominant puisqu’il décide des grandes orientations et gère la majeure partie des financements. Mais on voit grandir le rôle de l’Union européenne, des régions et des métropoles, devenues incontournables aujourd’hui. Dans un processus de coordination, tous les échelons participent ainsi à la mise en place des systèmes territoriaux de la connaissance.
     Et, finalement, l’enjeu réside dans la compréhension des interactions politiques et scientifiques déterminant l’insertion du territoire dans l’économie de la connaissance par le biais de la recherche. Enjeu qui, dans un contexte de mondialisation, se combine à ceux de compétitivité et d’attractivité internationales, se heurtant parfois à l’autre versant de la dialectique propre à l’aménagement du territoire, celui de l’équité.
     Il n’est pas question de détailler ici l’ensemble des résultats obtenus, mais plutôt de donner un aperçu de la recherche publique bretonne et de son ouverture sur l’extérieur afin d’éclairer les choix stratégiques actuellement en cours.

Rennes et Brest concentrent les trois quarts de la recherche publique

     L’organisation territoriale de la recherche publique en Bretagne se singularise par un certain équilibre régional (figure 1, p. 118), qui se concrétise à la fois par une rare bipolarité puisque Rennes et Brest se partagent la majorité des 175 laboratoires bretons (respectivement 52 % et 34 %) et une certaine dispersion suivant l’armature urbaine littorale de la région (l’ensemble Lorient – Vannes regroupe 10 % des équipes, d’autres sites relativement nombreux étant plus spécialisés).
     Quant à la répartition des chercheurs bretons dans le prisme des champs disciplinaires et des différents types d’établissements, elle manifeste une indéniable diversité. Les quatre universités complémentaires (Rennes 1, Rennes 2, Université de Bretagne occidentale, Université de Bretagne Sud) exercent leur tutelle sur près des trois quarts des équipes de recherche publique.

Organismes nationaux : un éventail élargi

     Les organismes nationaux n’en sont pour autant pas absents, loin s’en faut. En effet, presque tous sont représentés dans la région et certains y disposent même d’un de leurs principaux centres. C’est notamment le cas de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) à Rennes et de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) à Brest. À cet éventail s’ajoutent également de nombreuses écoles supérieures, ainsi que des unités d’écoles militaires (École navale à Lanvéoc, Écoles de l’armée de terre à Saint-Cyr Coëtquidan).
     De même, certaines structures très peu déconcentrées dans le pays, telles que l’Inria (Institut national de recherche en informatique et en automatique), l’Ehesp (École des hautes études en santé publique) ou Supélec (École supérieure d’électricité), sont installées à Rennes. Ce dispositif explique que tous les champs disciplinaires sont fortement représentés et emploient près de 2 500 personnels scientifiques en équivalent temps plein recherche.
     La dispersion géographique des sites pourrait laisser croire qu’elle constitue un obstacle aux relations entre les laboratoires. Au contraire, toutes les structures partagent l’ambition d’une coopération régionale et d’une visibilité internationale. Ainsi, les relations se multiplient avec le soutien croissant des pouvoirs institutionnels. L’objectif principal réside dans une notion de masse critique en moyens humains et matériels permettant de mener des travaux d’envergure. Au-delà, l’enjeu consiste à créer un effet d’entraînement sur le développement économique et social de la région, conformément aux principes de l’économie de la connaissance.

     Les collaborations scientifiques (réseaux officiels, conventions, co-publications) ont constitué le premier indicateur pour apprécier le rayonnement international de la recherche bretonne. Toutefois, afin de préciser davantage la diffusion des travaux des chercheurs bretons, nous avons recensé en parallèle les conférences invitées, c’est-à-dire une partie des communications, à même de représenter significativement une véritable coopération. Ainsi, par exemple, la simple participation des chercheurs bretons à des colloques n’a pas été retenue car elle ne prouve pas nécessairement une réelle association dépassant le seul partage d’idées. Enfin, un croisement a aussi été opéré avec les échanges de personnels répertoriés.
     Quelle que soit la discipline considérée, la recherche publique bretonne étend ses collaborations sur une large partie de la planète. Dans une bonne cohérence des indicateurs, les Etats-Unis s’affichent de loin comme le premier pays partenaire (21 % des collaborations scientifiques, 22 % des conférences invitées et 18 % des échanges de personnels hors Union européenne).
     En-deçà, les valeurs baissent sensiblement sans toutefois connaître d’écarts trop importants entre les critères observés. Un groupe se détache ainsi en conservant des proportions relativement élevées. Il est constitué du Canada (respectivement 13, 12 et 11%), du Brésil (6, 5 et 7 %), de la Suisse (4, 9 et 3 %), du Japon (3, 6 et 4 %), du Maroc (4, 3 et 6 %), de la Chine (2, 6 et 5 %), de la Russie (3, 2 et 7 %), de l’Algérie (3, 1 et 7 %) ou encore de l’Australie (4, 4 et 3 %).

Mathématiciens et informaticiens voyagent beaucoup

     On note cependant certaines particularités. Par exemple, la Russie doit principalement son classement à un nombre élevé de personnels échangés en mathématiques et informatique tandis que l’Australie est très présente dans les collaborations scientifiques en sciences de la vie et de la terre (SVT). A contrario, une zone s’étendant du Moyen-Orient à l’Afrique orientale et méridionale, à laquelle on peut ajouter quelques petits Etats d’Amérique Latine, n’offre qu’une faible proportion de coopérations avec les chercheurs bretons. On constate surtout que ce sont les pays les plus pauvres qui entretiennent les relations les plus limitées, le plus souvent en SVT, ainsi qu’en sciences humaines et sociales (SHS).
     Globalement, le domaine des mathématiques et de l’informatique contribue fortement aux échanges de personnels (32 % des échanges mondiaux). De même, les chercheurs bretons en SVT et chimie coopèrent avec un nombre élevé de pays (27). On peut également observer l’importance des relations avec le Maghreb, notamment pour les Lettres, Langues et Arts. Concernant les deux autres indicateurs, ils font la part belle aux SVT sur l’ensemble de la planète (38 % des collaborations scientifiques mondiales et 34 % des conférences invitées). L’excellence bretonne dans les recherches agronomiques et marines se double ainsi d’un logique mais non moins notable rayonnement international. On remarque aussi l’extension dans une quarantaine de pays des relations propres aux Sciences humaines et sociales.

Des relations encore plus fortes au sein de l’Union européenne

     Même en se cantonnant aux seules relations contractualisées, l’Union européenne constitue la zone d’échanges la plus usitée par les chercheurs bretons. Ainsi, vingt-cinq des vingt-sept Etats membres sont concernés. Comme au niveau mondial, c’est à nouveau avec ceux dont la recherche est la plus complète, notamment en termes de moyens, que les coopérations apparaissent les plus riches. Cependant, l’effet proximité semble jouer ici un rôle plus important puisque l’on retrouve au premier rang le Royaume-Uni avec 26 % du total des collaborations scientifiques, 12 % des conférences invitées et 17 % des échanges de personnels. Puis, un groupe assez homogène rassemble l’Allemagne (15 % des liens pour les trois indicateurs), l’Italie (respectivement 10, 15 et 14 %), et l’Espagne (11, 13 et 12 %).
     Mais surtout, les relations s’inscrivent pratiquement toujours dans une remarquable pluridisciplinarité. Tous les champs thématiques sont exploités pour huit Etats (Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Espagne, Belgique, Pologne, Pays-Bas et Portugal). On retrouve également des résultats déjà observés à l’échelle mondiale, tels que l’importance des échanges de personnels en mathématiques et informatique (33 %), celle des collaborations scientifiques et conférences invitées en SVT et chimie (29 % et 30 %) ou la grande dissémination des Sciences humaines et sociales.