Rennes est la ville la plus étudiante de France si l’on rapporte ses effectifs à sa population alors qu’elle n’est que la 20e agglomération française par la taille1 (voir tableauci-contre ).
Or, une ville universitaire est forcément jeune, animée, riche en festivals et manifestations culturelles, en bars et restaurants. L’ambiance qui en résulte n’est pas neutre dès qu’il s’agit d’attirer des « talents » et des personnes« créatives », pour reprendre les termes en vogue du polémiste américain Richard Florida qui a tenté demontrer qu’une atmosphère favorable à l’installation des créatifs était facteur de développement. Même si cette théorie est contestée, on constate empiriquement depuis au moins trente ans en France que ce sont les technopoles, ces villes innovantes grâce à leur recherche,qui ont connu la plus forte croissance démographique et économique. Cette technopolisation – l’effet positif del’orientation technopolitaine d’une ville sur son développement – est bien plus nette que la métropolisation,à savoir le prétendu lien de cause à effet entre taille et développement urbain, nullement avéré : un simple graphique montre que les grandes métropoles se sont développées moins rapidement que nos technopoles (voir ci-contre).
Cette dynamique technopolitaine explique pourquoi les autorités locales attachent autant d’importance au développement de leur appareil de recherche, censé avoir un effet dynamisant en attirant étudiants, chercheurs et personnels administratifs et techniques. Le taux de recrutement externe des laboratoires de Rennes,le plus élevé de tous les centres universitaires régionaux, traduit son attractivité.
L’impressionnant travail de collecte et d’analyse réalisé par l’AUDIAR (lire contribution de Ronan Viel, page 12) est d’autant plus justifié que la recherche a aussi un impact sur la compétitivité. Ainsi le nombre de Cadres des fonctions métropolitaines (CFM) a encore progresséà Rennes de 29 400 à 34 300 entre 2007 et 2011, malgré la crise. Parmi ces emplois stratégiques, la recherche et la conception occupent une place équivalente à ce qu’on observe dans de grandes métropoles comme Lyon ou même Paris ou dans une technopole comme Montpellier, même si cette orientation scientifique est nettement plus marquée à Grenoble et Toulouse.Rennes Atalante rassemble ainsi plus de 19 000 emplois privés dont 80 % d’ingénieurs et de techniciens. L’Ille-et-Vilaine (essentiellement Rennes) peut se targuer d’être une des principales terres d’inventeurs d’Europe grâce à ses dépenses en Recherche et développement (R & D) : au vu du nombre de brevets déposés par rapport à sa population, notre département n’est en effet précédé que par le plateau de Saclay et Grenoble, devançant Toulouse, les Alpes Maritimes (Sophia-Antipolis), la région lyonnaise et l’Ile-de-France. Rennes dispose ainsi de forces importantes en dépit de faiblesses à l’international auxquelles la Métropole entend apporter une réponse avec un équipement d’ores et déjà envié par les autres villes universitaires, à savoir la future Cité internationale Paul Ricoeur qui permettra d’héberger chercheurs et doctorants étrangers dans des conditions appropriées (lire page 40). Le Centre d’excellence Jean Monnet, cité par la Commission européenne comme modèle de success story dans une brochure sur l’Action de Jean Monnet mondialement diffusée, montre que Rennes est sur la bonne voie. Bertrand Moro a montré dans sa thèse que les laboratoires bretons (et donc rennais) sont déjà insérés dans de multiples réseaux internationaux.
Pour autant, l’AUDIAR déplore une moindre capacité à répondre avec succès aux appels à projet européens. Cela requiert une ingénierie de haut niveau et des forces quelquefois hors d’atteinte. Peut-être cette faiblesse a-t-elle un lien avec la part modeste des chercheurs étrangers, limitant les réseaux internationaux utiles pour répondre aux critères exigeants de tels programmes tandis qu’en retour l’insertion moyenne de la recherche rennaise au niveau européen la pénaliserait pour attirer les chercheurs étrangers malgré l’efficacité d’un dispositif enviable, l’allocation d’installation scientifique de Rennes Métropole, dont ont profité nombre de scientifiques venus d’autres pays (lire article page 24).
Mais cette moindre aptitude ne traduirait-elle pas surtout le défaut de « masse critique » de la recherche rennaise ? La question revient à se demander si le volume (de chercheurs) ne fait pas la puissance scientifique, auquel cas il faudrait militer pour l’expansion du site rennais et le regroupement de ses établissements. Car si chaque centre universitaire exprime sa défiance à l’égard du classement de Shanghai des 500 meilleurs établissements du globe6 en raison de multiples biais et incertitudes, chacun espère bien malgré tout y accéder. Cette ambition justifierait les projets de fusion engagés partout en France qui ont effectivement permis d’y faire apparaître non plus seulement de gros établissements aussi prestigieux que Paris 6 ou Paris-Orsay (Paris 11) mais aussi désormais de nouvelles universités comme celles de Strasbourg (95e), Aix-Marseille, Bordeaux, Lorraine, Auvergne ou encore l’ESPCI Paris Tech et les Écoles Normales Supérieures de Paris et Lyon. Y figurent toutefois également d’autres établissements restés autonomes : Grenoble 1, Paris 7, Lyon 1, Toulouse 3, Montpellier 2, Polytechnique, Paris-Dauphine, Nice et… Rennes 1 (entre le 401e et le 500e).
Notons que la hiérarchie alternative du Times7, appréciée en raison du caractère explicite et modulable de ses critères, classe en tête pour le volume de publications, la réputation et le revenu des chercheurs (vu comme un signe d’excellence) Polytechnique (61e) et l’ENS Paris (78e), soit deux Grandes Écoles qui ne se distinguent pas par l’importance de leurs effectifs (respectivement 2 900 et 2 300), puis Paris 6, Paris 11, l’ENS Lyon, Grenoble 1 et Paris 7. L’effectif moyen de ces établissements français est de 15 000 (moins de 25 000 pour les seules universités).
Ces classements suggèrent ainsi que la performance a peu à voir avec la taille, ce que confirment des collègues faisant autorité en la matière qui démontent un certain nombre de croyances relatives à la géographie de la science, et en particulier l’idée communément admise selon laquelle l’excellence croît avec la dimension des centres de recherche8. À partir d’une analyse quantitative exhaustive des publications scientifiques parues dans le monde depuis les années 1970 et indexées dans les bases de référence, cette équipe fait la démonstration qu’il n’y a aucune relation entre la taille d’un pôle de recherche (ou d’une ville universitaire) et la qualité des travaux puisque le nombre de publications recensées dans les revues de valeur est tout simplement proportionnel à celui des chercheurs et des ingénieurs : cette seule variable explique 95 % du volume de publications réalisé par les vingt plus grandes agglomérations françaises… La très légère avance des plus gros centres tend même à s’effacer9.
Les universités du haut du panier ne sont en effet pas de grande taille. Ainsi avec 21 000 étudiants, Harvard, 1re dans le classement de Shanghai, pèse autant que Rennes 1 (près de 22 000) ou Rennes 2 (20 000), tout comme Stanford (2e) ou Cambridge (4e) (18 000 chacune). Le MIT (Massachusetts Institute of Technology (3e) et Princeton (5e) sont sensiblement plus petits avec 11 000 inscrits pour l’une et moins de 8 000 pour l’autre. L’effectif chute même à 2000 pour le California Institute of Technology (6e). Si la suivante Columbia (8e) est plus importante (29 000), la 9e (Chicago) et la 11e (Yale) le sont moins (respectivement 15 000 et 12 000), tandis qu’Oxford (9e ex aequo) retrouve l’ordre de grandeur des universités rennaises (22 000). Bref, on ne voit pas que la taille d’un établissement ait quoi que ce soit à voir avec son rayonnement. Si la plus grosse du lot, l’université publique de l’État de Californie à Berkeley (12e), atteint les 36 000, celle de San Francisco (18e) ne compte même pas 3 000 inscrits ! La moyenne s’établit à 18 000 étudiants parmi les vingt premières universités du classement, soit le gabarit des universités rennaises actuelles.
Il semblerait même que l’excellence en recherche soit souvent inversement proportionnelle à la dimension de l’établissement. Ainsi les plus grosses universités des États-Unis – pays qui truste 16 des 18 premières places du classement de Shanghai – brillent surtout par leur absence10… La plus grande, celle de Phoenix, forte de 442 000 inscrits, n’y figure pas, et pas davantage Ivy Tech (2e, 175 000 étudiants) ou Ashford (3e) malgré ses 170 000 élèves. Parmi les 15 premières par la taille, seule l’université d’Arizona (82 000 étudiants) parvient à s’immiscer dans la liste de Shanghai (86e) mais elle n’est que la 48e université américaine du classement…
En revanche, au niveau mondial, « le nombre de publications tend vers une fonction linéaire de la production de richesse et de l’investissement8 ». La même règle se vérifie selon toute vraisemblance et en toute logique au niveau local : plus les laboratoires et les enseignants-chercheurs disposent de moyens, plus ils excellent. Ainsi, sans même évoquer ses vertigineux fonds propres de 32 milliards d’euros, Harvard a dépensé 3,88 milliards d’euros en 2013, soit théoriquement plus de 183 000 euros par étudiant11, sachant que selon elle chaque étudiant coûte 56 600 euros, chiffres à comparer aux 391 millions de budget des deux universités rennaises ou aux 551 millions de dotation de la totalité de l’enseignement supérieur rennais, soit 8 700 euros par étudiant. Plus encore que les écarts des frais d’inscription, ces différences traduisent avant tout des taux d’encadrement sans commune mesure et une intensité d’effort de recherche difficilement comparable.
Ainsi donc, les performances des chercheurs ne sont pas corrélées au degré de concentration géographique des laboratoires. L’excellence d’une institution universitaire et le renforcement de sa notoriété comme de sa productivité ne dépendent pas non plus tant de son effectif étudiant que de son budget de fonctionnement et d’investissement. La recherche rennaise rayonnera d’autant plus qu’elle disposera de ressources supplémentaires, sachant que des douze villes étudiées par l’AUDIAR, c’est celle qui a connu la plus forte augmentation des dotations financières versées aux universités (+ 11,4 % en 5 ans).