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Dossier
#34
Atouts et faiblesses de la recherche rennaise
RÉSUMÉ > La publication du premier tableau de bord de l’observatoire métropolitain de l’enseignement supérieur, de la recherche, de l’innovation et de la vie étudiante par l’Audiar, en décembre 2014, fournit l’occasion d’apporter un éclairage nouveau sur l’identité du pôle de recherche et d’innovation rennais. L’analyse détaillée de son contenu confirme que Rennes dispose d’un potentiel scientifique de haut niveau, avec de nombreux domaines d’excellence, pour certains largement méconnus du grand public. Mais il pointe aussi la nécessité d’accentuer les efforts dans les partenariats et les échanges internationaux. Une condition indispensable pour que Rennes rejoigne le club des plateformes d’innovation incontournables dans la France de 2040.

     L’accélération récente de la globalisation de l’économie, on le sait, marque l’avènement de l’urbain et des échanges, que traduit la métropolisation des territoires. Elle entraîne surtout de profondes mutations des systèmes d’organisation de la création de richesse, favorisant les territoires les plus engagés dans l’économie de la connaissance, en premier les grandes métropoles comme Rennes. L’aventure rennaise dans l’économie de la connaissance ne date pas d’hier. Elle s’inscrit dans une histoire déjà très ancienne, commencée en 1735 par le transfert de l’université de Bretagne depuis Nantes.
     Elle se traduit aujourd’hui par une concentration élevée des forces de recherche sur le territoire métropolitain, des liens avec le monde économique et socioculturel nombreux et fertiles, stimulés par un foisonnement des initiatives publiques ou privées sans cesse renouvelé.
Comme ont pu le révéler les récentes analyses de la Datar à travers sa démarche « Territoires 2040 », Rennes figure parmi les aires métropolitaines françaises à fort potentiel d’innovation capable de figurer parmi les rares plates-formes motrices de l’écosystème « innovation » national. Il n’empêche que pour y parvenir, le monde de la recherche et de l’innovation rennais doit composer avec la concurrence accrue des autres grandes métropoles françaises pour attirer les talents, les investissements publics et privés, qu’ils soient nationaux ou internationaux.
     À en croire les nombreux classements nationaux et internationaux comme ceux de Shanghai ou du Times Higher Education, Rennes semble distancée – comme les autres sites français – en termes d’attractivité de ses activités de recherche et d’innovation. Mais les critères d’appréciation de ces classements demeurent très discutables et souvent approximatifs (lire l'article page 20). C’est pourquoi, en raison de l’enjeu que représentent l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation pour le territoire rennais, il est apparu nécessaire de se doter d’un outil permettant de mieux connaître et d’objectiver le potentiel local, de le comparer, et d’étudier plus finement son impact sur le développement du territoire : création d’activité, d’emploi, de brevets, conditions d’accueil des publics, ouverture internationale, etc. C’est ce qu’apporte désormais le tableau de bord statistique de l’observatoire métropolitain de l’enseignement supérieur, de la recherche, de l’innovation et de la vie étudiante, élaboré par l’Audiar en 2013 et 2014, en partenariat avec Rennes Métropole, les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, le CROUS, Rennes Atalante, la SATT Ouest Valorisation, le Rectorat et la DRRT Bretagne.

Premier pôle de recherche publique du Grand Ouest

     La métropole rennaise accueille actuellement près de 5 8001 personnes dédiées à la recherche publique et à l’innovation dans les universités, les grandes écoles et les grands organismes de recherche. S’il est difficile de tenir la comparaison face à certains pôles nationaux comme Grenoble (15 000 personnes2), Rennes s’impose comme la principale concentration de compétences scientifiques du Grand Ouest, devant Nantes (environ 4 500 personnes3) et Brest (3 200 personnes4). Ces 5 800 personnes exercent leurs activités scientifiques dans 71 laboratoires de recherche, répartis sur les quatre grands campus de l’agglomération.
    Les indicateurs du tableau de bord soulignent l’attractivité du pôle rennais vis-à-vis de la communauté scientifique. Sur la période 2008-2013, les effectifs de recherche de l’agglomération ont légèrement augmenté, de 200 personnes. Ces effectifs progressent plus vite dans l’agglomération qu’à l’échelle nationale, plus particulièrement les enseignants-chercheurs des universités et les chercheurs des organismes de recherche. Aussi, le taux de recrutement externe pour des postes d’enseignantschercheurs dans les deux universités figure au 2e rang national derrière Paris et devant Grenoble, confirmant la capacité de Rennes à attirer de nouvelles compétences. L’agrégation des effectifs de chercheurs et d’enseignantschercheurs des laboratoires par domaine scientifique permet d’apprécier le potentiel humain important du pôle rennais dans les sciences humaines et sociales (740 personnes), les sciences de l’ingénieur et le numérique (490), l’agronomie/écologie/environnement (330), ou la recherche médicale (270). Pour mener à bien ses activités de recherche, la communauté scientifique peut s’appuyer sur 60 plateformes de recherche ou grands équipements scientifiques. Certaines de ces plateformes sont uniques en France. C’est le cas d’Immersia sur la réalité virtuelle et augmentée, de LOUSTIC, dédiée aux usages des technologies numériques, de TherA-Image, dédiée à la thérapie assistée par les technologies de l’image, ou encore la plateforme LAIT de l’INRA, qui permet de réaliser, à l’échelle pilote, des opérations technologiques appliquées industriellement au lait : traitement thermique, fabrication fromagère, séchage, etc.

     La combinaison des moyens humains et techniques génère un niveau de production scientifique et technologique important, en lien étroit avec les acteurs économiques locaux et régionaux. L’ensemble de la communauté publique et privée locale a ainsi déposé en 2011 près de 250 brevets et publié 1 300 articles scientifiques en 2012, ce qui fait de Rennes le 8e pôle d’innovation français, devant Lille, Nantes ou Strasbourg, mais loin derrière Grenoble et Bordeaux.
    Le potentiel scientifique et d’innovation de Rennes se concentre toutefois très clairement dans quelques domaines : le numérique, l’agronomie/alimentation, la chimie, les mathématiques, ou les sciences de la terre et de l’univers. Si l’on se réfère au niveau de participation des acteurs de l’innovation dans le 7e PCRD5 de l’Union Européenne, Rennes se positionne au 4e rang national dans le numérique derrière Paris, Grenoble et Nice, et au 6e rang national dans l’agronomie et l’alimentation, derrière Nantes et Toulouse. Rennes se distingue dans les domaines de la chimie, les mathématiques, ou les sciences de la terre et de l’univers, grâce notamment aux activités de l’ISCR6, l’IRMAR7, et Géosciences Rennes. Ces trois laboratoires, dans lesquels le CNRS est fortement impliqué, comptent parmi les plus influents dans leur domaine, et se distinguent par leur part nationale importante en termes de publications scientifiques (respectivement 3,6 %, 3,2 % et 2,8 %).

     Au-delà de son potentiel scientifique indéniable dans de nombreux domaines, le pôle rennais tient plus que la comparaison quant à l’excellence de ses laboratoires, évaluée tous les cinq ans sur un certain nombre de critères8 par le haut conseil d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES). Un système de notation, en vigueur jusqu’en 2012, a attribué une note globale à chaque laboratoire : C et B pour les moins bien lotis, et A ou A + pour les meilleurs d’entre eux. L’analyse exhaustive de ces notations sur l’ensemble des laboratoires des grandes métropoles régionales françaises positionne Rennes au 2e rang national pour la part de ses laboratoires notés A ou A + derrière Grenoble mais devant Nantes, Montpellier ou Lille.
    Sur les 54 laboratoires rennais évalués, 10 sont notés A +. On peut citer l’IRISA9, un des plus gros laboratoires informatiques de France en pointe sur la recherche en bio-informatique, la sécurité des systèmes, les nouvelles architectures logicielles et la réalité virtuelle, mais aussi des laboratoires de taille plus modeste, qui mettent en lumière des spécificités rennaises méconnues. Le laboratoire LTSI10 est par exemple devenu en quelques années un acteur majeur de la recherche à l’interface des technologies numériques et de l’ingénierie appliquées à la médecine, alors que dans le domaine des technologies de l’alimentaire, le laboratoire STLO11 de l’INRA s’impose comme le leader français sur les questions dédiées à la composition, la structure et la transformation du lait et de l’oeuf. Dans les sciences humaines et sociales, le CREAD12 de l’université de Rennes 2 excelle dans les sciences de l’éducation avec ses travaux sur les processus de transmission et d’apprentissage, les usages des objets techniques éducatifs, et les dynamiques des institutions d’éducation et de formation.

Un rayonnement scientifique supérieur à la moyenne nationale

     L’excellence scientifique des laboratoires rennais se confirme à travers l’analyse de l’audience des publications scientifiques. En la matière, Rennes présente un indice d’impact mondial13 des publications scientifiques bien supérieur à la moyenne nationale, tiré par les publications dans les domaines de la chimie, de la biologie, de l’agronomie/ écologie/environnement et de la recherche médicale. L’écart à la moyenne nationale est particulièrement important dans les domaines de la chimie et de la santé (biologie fondamentale et recherche médicale), et à un degré moindre dans les sciences de la terre et de l’univers.

     La métropole dispose, on l’a vu, d’un potentiel de recherche publique important et de haut niveau, dans de nombreux domaines scientifiques. Ce potentiel gagnerait toutefois à s’internationaliser davantage pour accroître son rayonnement et attirer les talents du monde. Les coopérations à l’échelle européenne et internationale se sont fortement accrues ces dernières années, mais restent proportionnellement modestes comparée à d’autres métropoles. La concurrence est féroce avec ces dernières pour profiter des financements et des collaborations internationales au sein des programmes-cadres de recherche & développement de l’Union Européenne. Sur le dernier programme-cadre (7e PCRD, 2007-2013), Rennes ne se positionne qu’au 10e rang en termes de projets financés, derrière des métropoles de taille comparable comme Montpellier et Grenoble. Quant au nombre de bourses ERC qui récompensent les chercheurs européens talentueux, Rennes n’obtient que 1,3 % des 595 bourses attribuées à des chercheurs au niveau national entre 2007 et 2013, et pointe seulement au 11e rang national, devancé par des pôles plus modestes comme Nancy ou Nice.
    En termes d’effectifs, l’accueil de chercheurs de nationalité étrangère dans la communauté scientifique locale facilite le développement de collaborations à l’international. En la matière, Rennes est en retard, avec une part de chercheurs ou d’enseignants-chercheurs de nationalité étrangère plus faible comparée à la moyenne nationale (5,9% à Rennes contre 10,1 % en moyenne nationale).
    Pour autant, sur certains indicateurs d’internationalisation, Rennes se positionne honorablement ou comble son retard. C’est le cas du nombre de structures de coopération internationale du CNRS et de l’INSERM (UMI, LIA, GDRI, etc.14), pour lesquelles les acteurs rennais se sont montrés plus actifs ces dernières années que leurs homologues grenoblois, bordelais ou lillois, avec 5 structures supplémentaires en trois ans. Dans les sciences humaines et sociales, l’internationalisation de la recherche peut profiter de la présence d’un Centre d’Excellence Jean Monnet15 à Rennes depuis 1998. Fin 2014, il accueillait huit chaires d’excellence Jean Monnet, positionnant Rennes au second rang national en nombre de chaires actives derrière Paris.

Développer les liens avec les acteurs socio-économiques

     Assurément, le renforcement de l’internationalisation de la recherche du pôle rennais constitue un des défis majeurs à venir, en s’appuyant sur des compétences scientifiques de haut niveau, dont certaines manquent paradoxalement de visibilité au sein de la communauté scientifique ou du monde économique.
    Cela passe notamment par une inscription plus forte dans l’espace européen de la recherche, pour profiter de son potentiel considérable de partenariats scientifiques, et des moyens financiers importants de l’Union Européenne dans un contexte d’affaiblissement accéléré du financement de la recherche au niveau national (baisses des dotations de l’ANR et des grands organismes comme le CNRS). Cela passe aussi par un soutien accru aux talents locaux, tout en en attirant davantage au-delà de nos frontières, ceux-là même qui feront les futurs ambassadeurs de la recherche rennaise.
    Sans oublier de doper les partenariats avec les entreprises et les acteurs socioculturels, dans un accord gagnant-gagnant stimulant l’innovation technologique et sociale du territoire métropolitain et régional.
    Pour répondre à ces défis, les acteurs du territoire se préparent activement : élaboration d’un schéma de développement universitaire, construction de la cité internationale Paul Ricoeur, pour accueillir en court séjour les chercheurs et doctorants étrangers, création de la COMUE UBL16, montée en puissance de structures et dispositifs de valorisation de la recherche académique (SATT Ouest Valorisation, pôle d’entreprenariat étudiant PEPITE, etc.)… autant de projets qui contribueront à faire de Rennes une plaque incontournable de l’écosystème « innovation » national.