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Histoire & Patrimoine
#36
L’architecte des grands chantiers rennais du 17e siècle
RÉSUMÉ > Pierre Corbineau (1600-1678), originaire de Laval, obtient la direction du chantier du Parlement de Bretagne à Rennes en 1646. Fort de cette commande prestigieuse, il décide de s’installer dans la ville et y devient rapidement un acteur incontournable. Il dirige alors, jusqu’à sa mort, un important atelier où plusieurs membres de sa famille figurent en bonne place. On lui doit notamment la réalisation de la fa- çade de la cathédrale, de plusieurs hôtels particuliers et de nombreux retables.

     Tout au long du 17e siècle, des dizaines de chantiers animent la ville de Rennes. Outre la construction du Parlement de Bretagne (1618-1655), la population regarde s’élever la façade de la cathédrale. Elle constate également que les abbayes Saint-Melaine et Saint-Georges se transforment, que l’hôpital SaintYves s’agrandit… À cela s’ajoute l’installation de nouveaux ordres religieux, qui entraîne la construction de chapelles et de bâtiments conventuels (Visitandines, Catherinettes, Carmélites, Ursulines, Capucins, Carmes…). Des parlementaires se font édifier des hôtels particuliers et la demande pour les nouveaux retables (ceux de la Contre-Réforme) est très forte. C’est ainsi que plusieurs architectes s’établissent en ville, tel Germain Gaultier (dès 1609), ou les Lavallois Tugal Caris et Pierre Corbineau, qui sont à la fois retabliers et architectes. Ce dernier remporte de très nombreux chantiers dès 1646, date à laquelle il prend la direction des travaux au Parlement et où il s’installe dans la cité.  

     Fils d’architecte, Pierre Corbineau est sans doute le neveu de Jacques Corbineau, architecte des seigneurs de Cossé-Brissac. Il participe avec son père à la construction du couvent des Ursulines de Laval (1617), puis réalise entre autres celui des Bénédictines dans la même ville (1630). Vers 1627, il épouse Marie Beaugrand alors qu’elle était veuve de l’architecte François Houdault et maman d’un petit François, futur retablier formé par Pierre Corbineau, en même temps que son propre fils, Gilles. Selon Jacques Salbert, Pierre Corbineau aurait réalisé 29 retables, dont ceux de la cathédrale et de l’église des Cordeliers à Laval, qui ont fait sa notoriété.

     À partir de 1646, il installe un atelier à Rennes où exercent son fils Étienne, François II Houdault et plus tard le gendre de celui-ci, François Huguet. Le fonctionnement de cet atelier est difficile à saisir car l’architecte pouvait simplement fournir les plans d’un bâtiment ou d’un retable, ou encore diriger l’ensemble d’un chantier et s’occuper de l’achat des matériaux et de leur acheminement. Il avait des contacts avec sa ville natale, notamment avec les marbriers, mais aussi avec l’Anjou d’où provenait le tuffeau. Ceci explique avec quelle facilité ces matériaux ont pu être introduits dans tout le Grand Ouest.

     En 1668, au décès de sa femme, le règlement de succession nous apprend que le couple possédait le manoir de la Talmouzière en Montgermont, ainsi que trois autres demeures à Laval, que Pierre ne conservera pas. Il s’éteint en 1678 et est enterré dans la chapelle des Cordeliers, qui était située en face le palais.  

     Mais revenons à ses réalisations emblématiques rennaises, le Parlement de Bretagne et la façade de la cathédrale. En 1624, suite au décès accidentel de l’architecte du Parlement Germain Gaultier, le maréchal de Cossé-Brissac, gouverneur de Bretagne, propose Jacques Corbineau pour le remplacer. Il est donc probable que celui-ci ait alors fait venir son frère Pierre et son neveu sur ce chantier. Cependant, trois ans plus tard, les travaux s’arrêtent. Après de nombreux atermoiements, ils ne reprennent vraiment qu’en 1640 avec Tugal Caris, autre architecte lavallois déjà titulaire du chantier de la cathédrale de Rennes. Peu apprécié, il est finalement remplacé par Pierre Corbineau en 1646. Le 11 novembre 1655, les parlementaires s’installent enfin dans leur palais, bien qu’il ne soit pas achevé. L’architecte y travaille encore plusieurs années et conserve un logement dans « l’enclos du palais » jusqu’à sa mort.

     L’autre grand chantier de Pierre Corbineau est celui de la façade de la cathédrale, qui avait été détruite en 1540. Bien que des travaux de reconstruction aient démarré dès 1541, ils ne devaient vraiment se concrétiser qu’à partir de 1640, sous la direction de Tugal Caris, qui achève les trois premiers niveaux. Cependant, après son éviction du Parlement, il part s’occuper du chantier de la cathédrale de Nantes, et se montre beaucoup moins présent à Rennes. En 1654, Pierre Corbineau le remplace. Il commence par reprendre le portail central et installe la grande verrière au-dessus de celui-ci. Puis il élève les deux tours et met en place les colonnes des étages. À sa mort, en 1678, la façade est presque achevée. François Huguet, le gendre de son beau-fils, prendra sa suite et terminera le haut des tours en ajoutant les pots à feu et en plaçant le fronton central aux armes de Louis XIV. Cet ensemble de plus de 40 mètres de haut n’est pas sans rappeler les retables des Lavallois.  

     En 1654, à la demande des sœurs Augustines, arrivées en 1644 pour desservir l’hôpital Saint-Yves, Pierre Corbineau intervient dans l’enceinte de l’hôpital. D’août 1656 à 1662, il réalise ainsi l’église et divers bâtiments du couvent des Visitandines, dont la chapelle présentait un plan en croix latine avec une abside et un transept à pans coupés. Cette dernière a été détruite partiellement en 1950, puis totalement en 2004, pour la construction du centre commercial « la Visitation » (lire l’article de Gauthier Aubert, Place Publique n° 35, pages 41 et suivantes).

     En 1661, il construit un important corps de logis (le long de la rue de Paris) pour les Catherinettes, que la ville transformera en hôpital général pour les femmes, avant que l’édifice ne soit détruit en 1901-1902, après l’ouverture du nouvel hospice de Pontchaillou. En 1670, il dirige, pour les sœurs de l’abbaye SaintGeorges, le chantier de l’imposant bâtiment que nous admirons encore aujourd’hui. Cet édifice présente un rez-de-chaussée percé de dix-neuf arcades, et au-dessus, une suite d’ancres forme le nom de l’abbesse : « Magdelaine DL Fayette ». En 1674, l’architecte percevait 3 000 livres de la « dame bourcière » pour ces travaux.

     Enfin, selon Raymond Cornon, il est l’auteur d’un hôtel particulier, dit maison de la Houblonnière (58, rue d’Antrain). Cet historien ajoute que « certainement Pierre Corbineau eut de nombreux chantiers privés en ville, sans qu’on puisse les déterminer exactement ». Cette assertion est juste, et pas seulement à Rennes : son atelier est vraisemblablement intervenu sur de nombreuses demeures autour de la ville, la plupart commandées par des parlementaires.  

A-t-il dessiné des retables à Rennes ?

     On lui attribue le maître-autel de la chapelle des Cordeliers en 1637 (détruit), et nous savons, grâce à un document des Archives départementales, qu’il a aussi dessiné un retable pour la chapelle du couvent des Grands Carmes de la rue Vasselot en 1649 (également détruit). À la cathédrale, dans les quinze chapelles de l’ancien édifice, de nombreux retables avaient été repris au 17e  siècle et il est probable que « l’équipe Corbineau » en ait réalisé quelques-uns. Malheureusement, tous les retables antérieurs à la Révolution ont disparu.

     Du clan Corbineau, il ne subsiste à Rennes que les deux autels latéraux de la chapelle du collège des Jésuites (aujourd’hui église Toussaints). Réalisés par François II Houdault en 1674, ce sont les seuls retables lavallois qui subsistent à Rennes.

     La liste des réalisations rennaises de Pierre Corbineau est telle – et elle pourrait s’allonger encore – que l’on comprend que celui-ci se soit installé dans la capitale bretonne, et ce dès l’instant où il obtient le chantier du Parlement de Bretagne, en 1646. Son atelier a ainsi profondément marqué l’architecture rennaise, que ce soit dans le domaine religieux comme dans le domaine civil. Il est indéniable que la ville lui doit beaucoup, et d’ailleurs la municipalité le reconnaîtra en accordant en 1957, une (petite) rue à Pierre Corbineau, au nord, près du parc de Maurepas.