Il est bientôt midi et le couloir du Fourneau ressemble à une ruche. Retrouvailles entre habitués pour les uns, découverte des lieux pour d’autres : la file s’étire le long du couloir jusqu’au guichet de la cuisine. Certains sont arrivés dès l’ouverture à 8h30, pour le petit déjeuner. D’autres consultent les journaux, ou se connectent à l’ordinateur en libre-service. Ce jour-là, une centaine de repas chauds seront servis sur place, auxquels s’ajoutent une trentaine de plats à emporter. Le rythme quotidien d’une journée d’hiver.
Derrière la vitre de son bureau minuscule qu’il partage avec deux autres collègues, le responsable Jean- François Perrin veille à tout, n’hésitant pas à mettre la main à la pâte pour servir les repas au moment du coup de feu du déjeuner. Dans cette petite rue tranquille à deux pas du boulevard Voltaire, le Fourneau fait partie des lieux incontournables de l’errance rennaise. On y croise essentiellement des hommes, pas forcément très jeunes, avec des parcours de vie variés.
« Leur point commun, c’est qu’ils sont tous en autonomie réduite. La plupart sont sans revenu, ou en situation de non-recours, c’est-à-dire qu’ils n’exercent pas les droits dont ils pourraient pourtant bénéficier, faute de les connaître ou d’être en capacité d’engager les démarches. Ici, nous sommes fédérateurs de contacts ! », résume Jean-François Perrin, à la barre du Fourneau depuis dix ans. Son credo : « aider sans assister, faire avec, plutôt que faire pour ». Comme son nom l’indique, le restaurant social met l’accent sur la convivialité et l’importance du repas chaud. Cuisinés « comme à la maison », les plats - servis pour 1 euro - sont consistants et les portions généreuses. « Nous souhaitons faire de l’alimentation un levier d’insertion », affirme le responsable.
Et de la nutrition à la santé, il n’y a qu’un pas, vite franchi. La présence de l’infirmière durant les heures d’ouverture permet de faire le point et d’identifier les soins prioritaires. « Il s’agit de faire prendre conscience de l’importance du corps et de son éventuelle dégradation, afin que la personne devienne acteur de sa propre santé », résume Jean-François Perrin. Dans l’arrière-bureau, Florence, l’infirmière, enchaîne les rendez-vous, à l’abri des regards. Elle peut aussi proposer d’organiser des bilans médicaux complets et gratuits avec le centre de sécurité sociale du Colombier, en constituant un groupe volontaire.
Le Fourneau, qui fonctionne toute l’année du lundi au samedi, offre ainsi bien plus qu’une soupe fumante : il permet au public de la rue de rencontrer des travailleurs sociaux, d’obtenir une information ou d’être accompagné dans une démarche personnelle. Comme cet ancien détenu à qui l’on propose de visiter un logement à sa sortie de prison, mais qui n’ose y aller seul et qui se fera accompagner par un membre de l’équipe. Le référent du dispositif Sortir de la rue, Damien Morineau, y tient quant à lui permanence deux lundis par mois pour informer les jeunes des possibilités de renouer avec un logement et une formation (voir page 49).
Quarante-cinq ans après sa création par la ville de Rennes, le restaurant social réfléchit à présent à de nouveaux projets. L’équipe souhaite s’investir pleinement dans la relance de la « plateforme de l’errance » qui pourrait réunir les principales structures intervenant dans le champ de la précarité. Ce lieu, dont l’emplacement reste à trouver, permettrait de croiser les expériences dans les domaines de la santé, de l’emploi, de l’accès au droit, de l’usage de l’espace public… Jean-François Perrin rêverait de voir cette plateforme s’arrimer à bord d’une péniche ancrée sur les rives de l’Ille et ou de la Vilaine, avec un espace pour les chiens des sans-abri, mais pour l’instant, le projet reste… à quai.
Autre piste, à plus long terme : la modernisation et peut-être même l’extension des locaux de la rue Clémence- Royer, dont la capacité d’accueil arrive à saturation. Plutôt que déménager dans un autre quartier, ce qui impliquerait de repartir de zéro, les responsables du Fourneau préfèrent capitaliser sur le travail d’écoute et de partenariat mené depuis des années avec les riverains pour faire comprendre et accepter leur travail. Une relation de proximité qui porte ses fruits, à l’image de l’action de médiation réalisée avec les habitants du quai d’Auchel, tout proche. Certains d’entre eux s’étaient émus des nuisances causées par les marginaux, qui investissent les rives de la Vilaine lorsque le Fourneau ferme ses portes à 13 heures. Avec pédagogie et dialogue, les équipes du restaurant social ont réussi à apaiser la situation de part et d’autre. Et aux pétitions de riverains en colère, ont alors succédé des messages de remerciements. Une forme de reconnaissance, qui elle aussi, fait chaud au coeur.