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Dossier
#15
RÉSUMÉ > Au cours du printemps 2012, le Fonds régional d’art contemporain (Frac) de Bretagne rejoindra le quartier de Beauregard pour prendre possession d’une nouvelle structure de plus de 3 800 m2, à la hauteur de ses ambitions. L’architecture d’Odile Decq a été pensée à l’échelle d’un projet régional, outil de conservation et de diffusion des arts visuels contemporains. Rencontre avec sa directrice Catherine Elkar qui évoque aussi le rapprochement avec la Criée souhaité par la Ville de Rennes.

     « Symboles de la décentralisation culturelle en matière d’art contemporain, les Fonds régionaux d’art contemporain, associations créées en 1982, sont aujourd’hui identifiés comme des acteurs essentiels de la politique d’aménagement du territoire menée par l’État et les Régions », écrit Jean-Pierre Plancade, sénateur de Haute-Garonne, dans son rapport d’information sur le marché de l’art contemporain en France, déposé au sénat en octobre dernier. « Les Frac ont deux missions principales: le soutien de la création contemporaine, dans le domaine des arts plastiques, par l’enrichissement de leurs fonds d’œuvres d’art et par la sensibilisation du public aux formes contemporaines des arts plastiques ». Un maillage dans l’Hexagone de 22 Frac, cofinancés par l’État à hauteur de 51 % et par les Régions, à hauteur de 46 %. Ajoutons les Frac de Corse et de Martinique qui ne reçoivent pas de subventions du ministère de la Culture. « Fin 2010, ces structures étaient dotées d’un patrimoine de près de 25000 œuvres, représentant près de 4850 artistes. Les artistes français représentant 56 % des œuvres achetées ».

     Le Frac Bretagne, créé en 1981, fut « précurseur de ce réseau national de soutien à la création contemporaine inscrit dans la politique de décentralisation culturelle ». Il est fort de quelque 4000 oeuvres, représentant 500 artistes.
     Les politiques d’acquisition des Frac ont souvent été stigmatisées comme répondant à des effets de mode du microcosme de l’art, avec ses artistes « officiels ». « Il a été dit que les Frac achetaient tous la même chose et qu’on pouvait en dresser la « playlist »: Buren, Boltanski, Le Gac, Morellet… c’est en partie vrai, mais reconnaissons qu’il s’agit là d’artistes majeurs pour notre pays. Il était important aux moments de la fondation de nos institutions, de faire ces acquisitions », explique Catherine Elkar, directrice du Frac Bretagne.
     « Aujourd’hui, l’inverse nous est reproché. Le nombre d’artistes achetés pour la première fois, est un chiffre très important qui nous a valu, en interne, le feu des critiques ». Et Catherine Elkar d’insister sur la nécessité de soutenir une scène française. « Nous faisons en sorte que l’enrichissement du patrimoine contemporain national soit cohérent et non pas redondant et, en même temps, nous travaillons sur notre spécificité régionale avec des projets que nous menons avec nos partenaires, en regardant aussi la création des jeunes artistes sortis des écoles d’art et en visitant les ateliers. Nous avons la chance en Bretagne d’avoir un tissu riche d’artistes, de lieux de formation et de lieux de diffusion ».

     À l’été 2013, le trentième anniversaire des Frac de France sera l’occasion de mesurer la force de leur travail de terrain et « souterrain », précise Catherine. « Nous serons à la fois inscrit dans un réseau national et un réseau régional. Pendant cette période touristique pour la région Bretagne, nous organiserons des parcours d’art contemporain pour nos visiteurs de l’été. » Ce sera aussi l’occasion pour ces derniers de découvrir le nouvel écrin du Frac Bretagne. Car une nouvelle phase de développement arrive. L’ouverture de Frac de « deuxième génération », comme celui de Rennes, signe l’heure d’équipements à la visibilité accrue.
     Au printemps 2012, le Frac Bretagne quittera donc Châteaugiron pour rejoindre le quartier rennais de Beauregard et y prendre possession d’une nouvelle structure de plus de 3 800 m2, à la hauteur de ses ambitions. Une architecture pensée à l’échelle d’un projet régional, comme un outil de conservation, de diffusion et de connaissance de l’art contemporain, qui fait face à l’oeuvre monumentale d’Aurélie Nemours, L’Alignement du XXIème siècle. Tout un symbole ! « L’équipement conçu par l’agence OBDC – Odile Decq Benoît Cornette – ménage bien des surprises. À l’intérieur d’une boîte noire, un bloc monolithique, fendu en deux parallélépipèdes par une percée verticale qui ouvre sur l’intérieur, Odile Decq a privilégié la lumière et les circulations », commente Catherine Elkar.

     Pas question pour l’équipe de muséifier sa collection, mais de la faire vivre pour lui donner « tout son éclat ». « Nous n’avons pas souhaité organiser une exposition permanente. Le permanent, ce sont nos réserves aménagées au sous-sol. Sous certaines conditions, nous souhaitons les rendre visibles au public, pour qu’il y ait toujours ce lien avec les collections. Nous voulons accueillir nos partenaires de la diffusion devant les oeuvres pour en parler. Nos réserves sont le corps vivant du Frac. La vie du Frac, ce sont toutes les expositions et les animations qui se dérouleront dans le nouveau bâtiment. » Dotée d’une salle de 500m2 d’un seul tenant, d’une salle de 400m2 et d’un espace de 100 m2, la configuration de la structure doit permettre d’articuler des expositions de format et de périodicités différentes : « Tout a été pensé comme de grands plateaux modulables selon les projets ». De la même façon, l’équipe a été attentive au développement d’outils pédagogiques adaptés. « La superficie de la documentation est triplée et un espace spécifique est dédié au jeune public. Deux salles sont consacrées au service éducatif pour permettre l’expérimentation et l’accrochage, et mener des ateliers ».
     Et Catherine Elkar d’ajouter : « C’est un musée du 21e siècle avec une notion d’ouverture et une collection toujours en mouvement ». Défi à relever et pas des moindres : faire vivre un tel lieu avec une équipe qui de 15 passera à 23 personnes à l’ouverture.

Une exposition cet été pour l’ouverture

     Le premier temps fort, proposé dès le début de l’été 2011, est une exposition d’ouverture imaginée pour « rendre sensible les lignes de force de la collection et une façon d’agir sur un territoire ». Une volonté de réaffirmer les principes qui relient la programmation de ce nouveau lieu à sa collection, « le coeur vivant de l’institution ». « Les expositions qu’elles soient monographiques ou thématiques, auront comme points d’origine ou comme finalité la collection. Ce lien organique est important ». La diffusion de la collection du Frac se fait dans toute la Région Bretagne. Chaque année la structure organise entre 15 et 20 expositions et 50 à 60 accrochages réalisés par le service éducatif dans le milieu scolaire et médico-social. « En édition et coédition, nous participons à une quinzaine de projets par an. Pour les conférences, nous en organisons entre dix et vingt chaque année ». Et de citer des partenariats avec la ville de Pontivy, Saint-Briac, le Centre Hospitalier de Cornouaille à Quimper…
     Outil régional, le Frac Bretagne a largement contribué à l’émergence d’un réseau régional d’art contemporain. « Nous avons donné naissance au projet du centre d’art contemporain du Domaine de Kerguéhennec où nous avons posé les nouvelles bases d’un travail avec les artistes, invités à venir créer pour un lieu, avec des expositions monographiques d’envergure internationale qui nous ont permis d’acquérir des pièces majeures, dans la collection ». Et de citer la naissance du Quartier de Quimper, de la galerie du Dourven à Locquémeau…

     Autre grande entrée de la programmation à venir de cet outil régional, la volonté de renvoyer l’ascenseur à nombre de partenaires de la région qui ont jusqu’à présent accueilli les expositions du Frac. Citons les musées, les centres d’art, les collectivités, les associations… « Sur des projets pertinents, le Frac s’associera, au travers de ses espaces, en donnant une ampleur nationale voire internationale à certains des projets portés par nos collègues. Au premier rang desquels, il y a la Biennale d’art contemporain de Rennes ».
     La directrice souligne l’importance pour les acteurs rennais mais aussi régionaux de se mobiliser devant un tel événement, dû à « une initiative privée généreuse ». « On voit bien par exemple comment une manifestation comme Estuaires, à Nantes, a su fédérer les grands outils de diffusion artistique. » Et de citer d’autres partenariats possibles avec le centre d’art Passerelle à Brest. « Nous nous sommes associés, l’an dernier, pour accueillir deux grandes expositions, en lien avec le centre d’art contemporain de Moscou, dans le cadre de l’année France-Russie. Faire écho et donner de la résonance à nos partenaires est un axe fort de nos actions futures ».
     Appelé à travailler avec la plupart des structures d’art contemporain de la région, le Frac jouant le rôle d’observatoire, peut favoriser la synergie entre les projets. « Nous ne sommes qu’un maillon de la chaîne, il est important de travailler en maillage avec nos collègues, avec des structures d’envergure différentes. Par exemple, j’ai participé dernièrement au comité des résidences d’artistes à Pont-Aven, c’est important pour le rayonnement de notre région que d’autres artistes d’autres régions tissent des liens avec les artistes implantés en Bretagne ».

     À côté de la diffusion, la pédagogie de l’art est l’autre mission du Frac. Elle vise à favoriser la compréhension de l’art contemporain. « Les artistes sont les derniers aventuriers de notre société. » Chaque projet d’exposition avec un partenaire donne lieu à une façon de sensibiliser le public qui est adaptée au contexte. « Nous essayons de rester ouverts et réactifs. » Tout en évitant les malentendus fréquents en matière d’art contemporain. Il s’agit aussi « d’expliquer ce qu’est une oeuvre, un artiste… ce qu’il peut et ne peut pas faire. » La démarche consiste souvent à « adapter la proposition de l’artiste tout en restant exigeants sur le plan artistique. Il y a par exemple des lieux où ne nous pouvons pas présenter les oeuvres. Nous devons veiller à préserver l’intégrité matérielle des oeuvres et à respecter le projet des artistes. Ainsi naviguons-nous à l’intérieur de cette double mission de collection et de diffusion. Et parfois, c’est antinomique ».
     Pour Catherine Elkar, les Frac restent des outils exceptionnels, organisés collectivement au sein de l’association Plateforme. « Cette association nous permet de diffuser les oeuvres à l’étranger où le modèle des Frac suscite beaucoup d’intérêt. On a souvent parlé d’exception française et ces outils de décentralisation et de démocratisation artistiques, mis en place par des politiques bien inspirées, sont toujours valides trente ans plus tard ».

     « Dès 1981, les fondateurs du Frac Bretagne ont réfléchi aux principes de développement et d’enrichissement de la collection en fonction du contexte de la région Bretagne, sa place dans l’art contemporain et sa relation avec les autres régions et en particulier, Paris sur laquelle se focalisait toute l’actualité artistique », explique la directrice Catherine Elkar. Soulignons un point majeur : « Notre région a été marquée par la présence d’artistes importants, à la fin du 19e siècle, et le traumatisme est fort de ne pas avoir su en garder quelques oeuvres marquantes. J’appelle cela le “syndrome de Pont-Aven” ».
     L’intuition géniale des premiers membres du comité technique était de se dire que la Bretagne n’avait pas de musée d’art contemporain et pas de collections publiques d’art contemporain. Que voyait alors le public dans les salles consacrées au 20e siècle, dans les musées des Beaux- Arts? « Des oeuvres éparses qui émaillent le siècle, souvent en provenance du dépôt du Fonds national d’art contemporain, mais rien qui ne soit susceptible de former une histoire cohérente de la création artistique depuis la Seconde guerre ».
     L’idée est alors d’enraciner la collection du Frac Bretagne dans les années 1950, avec deux moments clefs. L’un autour de la personnalité de Charles Estienne, critique d’art d’origine brestoise, proche de Pierre Soulages et Pierre Tal-Coat, qui défendait une forme d’abstraction lyrique avec de jeunes artistes comme Jean Degottex, René Duvillier, Simon Hantaï, Charles Lapique… « Charles Estienne a souvent proposé à ces artistes un voyage en Bretagne, sur ses propres terres du Finistère nord ». L’autre temps fort s’articule autour des affichistes Jacques Villeglé et Raymond Hains, nés en Bretagne en 1926, des figures majeures du Nouveau Réalisme. Ces deux piliers historiques ont permis de planter le décor et d’organiser la collection du Frac. Autour de Charles Estienne, entre abstraction et paysage: « De l’abstraction lyrique, paysagiste, nuagiste à une abstraction plus froide, monochrome et une attention au paysage de l’autre, sous toutes ses formes aussi, avec tous les supports utilisés aujourd’hui, de la peinture à la sculpture, en passant par la vidéo et la photographie ». Autour de Hains et Villeglé, avec une approche de la société d’aujourd’hui, sur le thème « Mon atelier, c’est la rue », cher à Jacques Villeglé.

     « C’est peut-être dans cette veine-là que l’on peut parler d’une spécificité bretonne ». Catherine Elkar évoque l’exposition, organisée fin 1998 par le Frac Bourgogne, intitulée: « L’avant-garde est-elle bretonne? ». Un état d’esprit repéré alors autour de neufs artistes de Bretagne « sur la question du rapport de l’artiste à l’espace commun, à la collectivité, notamment par une attention constante à l’image et à ses modes de production dans la société contemporaine. Citons Jacques Villeglé, Raymond Hains, Gilles Mahé, Jean-Yves Brelivet, Pascal Rivet, Yves Trémorin, Yvan Le Bozec, Jean-Philippe Lemée, David Zerah, « tous artistes vivant en Bretagne, avec un sens de l’humour et des oeuvres remarquables ».
     Neuf artistes masculins… Est-ce à dire que les artistes femmes non ni le sens de l’humour ni la capacité de produire des oeuvres remarquables ? Si le sexe ou le genre n’est pas un critère d’achat des oeuvres, on notera au passage que la gente féminine souvent sur-représentée dans la médiation artistique, l’est en revanche très peu dans la famille des artistes. Sur les 75 oeuvres acquises en 2011, moins de 10 étaient oeuvres de femmes.
     Chaque acquisition faite par le Frac aujourd’hui se fait au regard de toute la collection. « Nous pouvons acquérir une oeuvre d’un très jeune artiste, car il peut être très intéressant de la présenter avec une oeuvre d’un artiste plus renommé. » Toute exposition permet de re-questionner la collection et de tenter des rapprochements inédits.

     Les Amis du Frac Bretagne
     L’association Les Amis du Frac Bretagne, présidée par Anne-Marie Conas entend participer au développement du Frac Bretagne et contribuer à l’enrichissement de la collection; soutenir le programme d’expositions et de diffusion de la collection; participer au rayonnement du Frac; élargir le public de l’art contemporain. L’association propose des visites privilégiées des expositions organisées par Frac, des rencontres avec les acteurs de l’art contemporain, des visites d’ateliers d’artistes, des voyages…