de La Criée ?
L’adjoint calme le jeu
PLACE PUBLIQUE> Parlons de l’affaire de la Criée. Ce centre d’art contemporain municipal va-t-il rejoindre la future Brasserie Saint-Hélier comme c’était prévu? Va-t-il disparaître?
RENÉ JOUQUAND > C’est un dossier assez complexe. En premier lieu, il faut réaffirmer le choix de la Ville, déjà ancien, mais toujours avec la même vigueur, de porter La Criée, centre d’art aujourd’hui municipal. Il faut qu’il puisse y avoir création artistique à Rennes. Pour cela, il faut faire vivre un certain nombre d’outils et de dispositifs. Un centre d’art à Rennes, lieu de production d’œuvres, lieu de travail pour des artistes d’ici et d’ailleurs porteurs de projets qui amènent à coopérer avec d’autres centres d’art en Europe ou dans le reste du monde, lieu d’exposition ouvert à tous les publics: ce rôle joué par La Criée n’est absolument pas remis en question.
PLACE PUBLIQUE > Ce qui est remis en cause est son déménagement à La Brasserie Saint-Hélier ?
RENÉ JOUQUAND > Il devait y avoir une implantation de La Criée à La Brasserie, pour développer ce projet de centre d’art dans des espaces plus vastes. Chacun comprend que c’est obligatoirement un budget augmenté. Nous étions sur ce schéma. Mais par ailleurs, le Frac Bretagne arrive sur le territoire rennais porté par deux acteurs principaux que sont la Région et l’État.
PLACE PUBLIQUE > Pas la Ville de Rennes ?
RENÉ JOUQUAND > Non pas la Ville comme porteur de projet. En revanche, la Ville a participé de manière significative aux premières phases, en particulier sur le foncier et dans l’investissement. Certains pourront reprocher à la Ville de ne pas être à la hauteur souhaitée, mais notre participation a été actée avant l’actuel mandat municipal, sur la base d’un forfait Ville établi sur les estimations originelles. Le budget d’investissement a connu des dépassements significatifs. Les deux partenaires ont appelé la Ville à bouger. Celle-ci a tenu à respecter ses engagements premiers
PLACE PUBLIQUE > Et sur le fonctionnement ?
RENÉ JOUQUAND > Ce Frac de nouvelle génération avec d’autres fonctions, devient en particulier un lieu d’exposition des oeuvres, ce qui demande des budgets importants et une infrastructure en personnel développée. La Ville est naturellement sollicitée pour devenir partenaire. Il est difficile de répondre négativement, même si c’est le cas dans d’autres régions pour d’autres Frac, où les collectivités locales ne participent pas au budget de fonctionnement. La Ville, car elle entend être présente dans ce champ de l’art contemporain, ne souhaite pas se dédouaner. Partie prenante du Frac Bretagne, il nous faudra cependant voir comment mettre cet établissement en synergie et en complémentarité avec notre propre centre d’art contemporain. Ce sont deux outils qui sont dans la même ville et qui travailleront, pour partie, avec les mêmes publics et sur le même territoire. Les projets doivent se compléter, s’articuler. Notre souhait, c’est de répondre positivement aux sollicitations, de la Région et de l’État mais dans un dispositif qui amène à une coopération renforcée entre la Criée, centre d’art, et le Frac. Nous souhaitons, mettre en place des partenariats, des mutualisations, par exemple sur le volet éducatif. Nous nous donnons deux ans pour réfléchir à ces modes partenariaux.
PLACE PUBLIQUE > Cela veut dire perte d’autonomie pour La Criée?
RENÉ JOUQUAND > Ces questions d’autonomie et de liberté d’action sont évidemment des questions centrales. Nous tenons à qu’il y ait un centre d’art, avec son autonomie. La question c’est de savoir quel mode de gouvernance adopter pour que La Criée ne perde pas son autonomie en matière de production et de création, et s’inscrive dans un projet pour l’art contemporain, sur la ville et le bassin rennais en complémentarité avec les nouvelles missions du Frac.
PLACE PUBLIQUE > Et l’espace brasserie Kronenbourg Saint- Hélier ?
RENÉ JOUQUAND > Dès lors, il importe de savoir comment on joue au mieux la question des lieux. Nous étions sur la perspective d’une double mutation: d’une part celle de La Criée et de l’autre, celle du Frac. Dans ce système de coopération renforcée avec le Frac, l’une des questions majeures réside dans la question du ou des lieux de travail de la Criée. En effet, nous ne renonçons pas à La Brasserie qui offrira un espace de 700 m2 destiné à devenir un lieu d’exposition. Mais il ne serait pas exclusivement réservé au centre d’art Criée. Nous souhaitons profiter des atouts de ce lieu pour répondre à un besoin dans la ville pour de grandes expositions. Pour des expositions temporaires du Musée des Beaux-Arts. Pour la Biennale d’art contemporain. Pour la photographie et ses grands rendez-vous d’octobre. Pour des festivals comme EletroniK… La Brasserie reste un lieu destiné à accueillir des grandes expositions d’art visuel.
PLACE PUBLIQUE > Quel mode de gestion envisagez-vous ?
RENÉ JOUQUAND > Nous sommes sur une ouverture en 2016-2017, dans un bâtiment qui doit faire l’objet d’un projet de réhabilitation et d’aménagement. La réflexion n’est donc pas complètement aboutie.
PLACE PUBLIQUE > Qu’est-ce qui fait objection à cette démarche?
RENÉ JOUQUAND > C’est peut-être la peur. Peur de perdre son autonomie ou sa liberté. Il y a aussi la crainte de voir disparaître le centre d’art, comme c’est le cas actuellement dans d’autres villes, pour des raisons budgétaires. Mais, bien évidemment, telle n’est pas l’intention de la Ville de Rennes.
PLACE PUBLIQUE > Comment expliquez-vous le départ de Larys Frogier, directeur de La Criée.
RENÉ JOUQUAND > Quand j’ai engagé cette réflexion, la première personne que j’ai consultée, c’était lui, le directeur de la Criée. De lui-même, il considérait que ces outils devaient pouvoir évoluer et qu’on ne pouvait pas continuer à rester sur un modèle qui a prévalu, il y a une quinzaine d’années. Il estimait que de se remettre en question et en perspective était important. Comme il a pu nous en entretenir, son départ n’est pas seulement lié à un désaccord, mais aussi à une très belle opportunité qui se présentait à lui.
Directeur de la Criée depuis douze ans, Lary Frogier a annoncé son départ le 9 novembre 2011 par un laconique communiqué de presse. S’agit-il d’un limogeage, comme certains le pensent ? D’une démission liée à un désaccord avec la ville ? Ou de l’opportunité pour Larys Frogier d’occuper un nouveau poste prestigieux à Shanghai ? La réunion des deux dernières hypothèses sont les plus probables. Officiellement, on ne saura rien. L’intéressé lui-même, par choix et par tempérament, a cultivé la plus grande discrétion dans cette affaire qui suscite émotion et regret tant le travail de Larys Frogier était apprécié des connaisseurs. Tout juste s’est-il exprimé dans Ouest-France quelques jours avant son départ de Rennes, le 16 décembre. Il explique d’abord sa satisfaction d’occuper à compter du 1er janvier le poste de directeur du Rockbund art museum de Shanghai. S’il n’est pas parti en «claquant la porte », Larys Frogier reconnaît toutefois que pour lui « l’année 2011 a été très éprouvante. Le Frac a toute sa place bien sûr à Rennes, mais l’idée de mutualisation- fusion avec La Criée, est une forme de repli, et non une manière d’innover en termes de créativité ». Il regrette « une rupture entre le politique et l’artistique », une « gestion administrative et financière des équipements », bref il considère que dans le projet de mutualisation avec le Frac « on n’identifie pas de vrai désir de consolidation du paysage rennais de l’art contemporain ».
Le poste de La Criée est donc vacant, l’intérim étant assuré par Carole Brulard. Dans une newsletter, le personnel rend hommage à Larys Frogier qui « a su donner une identité forte à La Criée en construisant un projet artistique prospectif et innovants », en faisant découvrir « des démarches artistiques singulières, parfois transdisciplinaires », en soutenant « un programme ambitieux de productions d’oeuvres d’artistes peu montrés en France ou émergents », enfin en développant « un réseau de partenariat très riche… »
Et que pense Catherine Elkar, la directrice du Frac Bretagne, du projet de «mutualisation» avec La Criée ? Pour Place Publique, elle réaffirme un principe de base : « Le Frac est d’abord un outil voulu par l’État et la Région. Les collectivités locales ne se sont pas vraiment investies dans cet outil, sauf pour des opérations particulières. Quand il a été question de choisir une ville pour implanter le Frac Bretagne, il y a eu des débats. » Le choix de Rennes s’est imposé pour sa position de capitale régionale. « Les premières réflexions datent de 2001. Depuis longtemps, la Ville de Rennes s’est associée à ce projet, notamment à travers l’investissement. La proposition de la Ville de Rennes d’une mutualisation avec La Criée a été pour nous une surprise totale et de dernière minute. »
Chacun son travail
Inconcevable pour la directrice qui souligne que le projet du Frac a été établi sur les missions… d’un Frac. « J’ai rappelé à la Ville, qu’il y a quelques années, nous avions sauvé la Criée en assurant un intérim de 1995 à 1999. Nous avions été très heureux que soit prise la décision de nommer une nouvelle direction, avec l’arrivée de Larys Frogier. Pendant dix ans, ce dernier a construit un programme qui a compté pour la communauté artistique de Rennes et bien au-delà. C’est un outil reconnu à l’international ».
La vocation d’un centre d’art est d’être un laboratoire de recherche et d’accompagnement des artistes dans la réalisation d’un projet. « Nous ne nous situons pas au même endroit de la chaîne artistique. Pour nous, le travail d’un centre d’art est fondamental par son attention accordée au projet de l’artiste. La Ville de Rennes doit être fière de son centre d’art, qu’elle a porté et qui est bien doté. J’espère que cette hypothèse de travail est aujourd’hui écartée. »
Catherine Elkar rappelle les partenariats tissés de longue date avec les acteurs locaux, bien sûr La Criée, mais aussi l’université, le centre culturel Colombier, le Grand Cordel, la galerie 40mcube. « Dans les mois qui viennent, je pense qu’il est important de laisser le Frac développer son programme, en parfaite intelligence avec les partenaires de la région, et au premier chef avec les centres d’art qui ont un rôle important à jouer. La Criée est l’un d’eux ».