Allez savoir pourquoi, Rennes a le chic pour couver des écrivains traditionnalistes et réactionnaires. Jean de la Varende (1887-1959), l’auteur de Nez-de-Cuir, entre dans cette catégorie. On peut y classer aussi le très royaliste Paul Féval, nostalgique acharné de l’Ancien régime. Ou encore Alphonse de Chateaubriant, admirateur d’Hitler et collaborationniste. Comme lui, La Varende qui était pétainiste et monarchiste eut à rendre quelque compte à la Libération. Après-guerre sa réputation d’écrivain en fut affectée.
Quel rapport eut avec Rennes cet auteur considéré comme le type même du gentilhomme normand? Natif du château de Chamblac dans l’Eure, La Varende perdit son père en bas âge. Aussi sa mère, bretonne, revintelle habiter chez ses parents, dans l’hôtel particulier du 1, rue du Contour de la Motte à Rennes. C’est là qu’il passa son enfance et son adolescence de 1899 à 1905 auprès de son grand-père, l’amiral Fleuriot de Langle, descendant d’un compagnon de La Pérouse. Avant de se lancer dans l’écriture avec un certain succès, La Varende fut connu comme peintre-portraitiste. Il avait été formé à l’École des beaux-arts de Rennes. Il quitta la ville assez vite, mais on retrouve l’univers de la cathédrale de Rennes dans un roman intitulé Le Roi d’Écosse, paru en 1941. Pourquoi parler aujourd’hui de Jean Balthazar Marie Mallard de La Varende Agis de Saint-Denis ? Parce qu’un éditeur d’Ille-et-Vilaine – Charles Hérissey à Janzé – vient de publier sous le titre Promenades, un recueil d’articles, préfacé par Michel Déon. C’est une série inédite de chroniques que La Varende publia entre 1955 et 1959 dans l’hebdomadaire La Nation Française. Un journal royaliste où émargeaient également Michel de Saint-Pierre, Antoine Blondin, Roger Nimier et Louis Pauwels.
On ne peut pas dire que ces chroniques soient d’une qualité renversante. On pressent que ces vagabondages répondent au besoin alimentaire d’un écrivain sur le déclin. Si l’inspiration n’est pas toujours au rendez-vous, ce n’est pas grave car ce qui nous intéresse ici, c’est un texte intitulé « Rennes ». Il ne manque pas de saveur. De retour dans sa ville, le vieux conservateur y peste contre les défigurations que nous inflige l’époque moderne. Air connu.
Côté pile, il dit sa considération pour son Rennes avec, d’emblée, une remarque bien troussée. Les Rennais ne savent pas apprécier la beauté très 17e siècle de leur ville. Se souvenant de son enfance, La Varende écrit qu’à l’époque « les habitants montraient une triste gloriole à dédaigner leur ville parlementaire. Ils lui reprochaient sa froideur, sans voir qu’ils restaient insensibles à sa haute distinction. » Il ajoute cette remarque qui, à notre sens, reste d’actualité: « La noble cité, si digne, ne se répandait pas, et ils lui tenaient rigueur de sa réserve. »
Puisque l’on est à l’heure des bons points, relevons aussi cette description imagée de l’hôtel de ville: « deux ailes autour d’un haut beffroi, comme un court empennage près d’un long col d’oiseau de mer dressé vers la rue ». La Varende adore le Thabor, met l’abbaye Saint- Georges au rang de chef-d’oeuvre. Aime les quais de la Vilaine. Malheureusement, « on ne voulait pas reconnaître la noblesse des quais, dont Léonard de Vinci, paraît- il a donné le dessin, ni leur mélancolie souveraine. Il était de bon ton de dénigrer la capitale de la Bretagne. »
Le reste du texte fait sourire à cause de sa rouspétance anti-urbaine, pas toujours injustifiée, d’ailleurs. Ce qui ne va pas ? Le Palais du commerce (qui n’existait pas du temps de son enfance) : « un monceau de belles pierres abusées, centré par un donjon au casque à pointe hydropique… »
Quoi encore? La couverture de la Vilaine: on a « d’un seul trait transformé la rivière en égout ». Et ceci : « On a permis à la limite de la vue, la construction d’un gratte-ciel sans toit, d’un silo à locataires deux fois plus haut que le reste… » On réfléchit. La Varende parle-t-il des Horizons ? Ça ne colle pas : les hautes tours sont de 1970, or l’article date des années cinquante. Alors il ne peut s’agir que de la Tour Maillols érigée en 1950 par l’architecte du même nom au bout du quai de Richemont. Décidément, les immeubles ne plaisent pas à notre hobereau normand car derrière l’Orangerie du Thabor, « on a laissé construire, dans la rue voisine, une autre cage à lapins qui pique au-dessus des serres et les réduit à néant ».
Enfin, ce qui ne va pas, mais vraiment pas, c’est la circulation automobile! C’est vraiment le désordre et cela empêche Rennes de devenir « la plaque tournante du voyage breton ». Pensez, « pour imiter Paris, on y interdit le klaxon, mesure inutile et dangereuse… ». Pire, on nous « inflige des circuits invraisemblables » et qui sont « à contresens de la beauté rennaise ». Les voitures ne peuvent plus passer par le centre. Adieu escalier du Thabor, la Motte et le Parlement. Adieu cathédrale et même le Mail. Conclusion désespérée du vieil écrivain: « La désaffection est générale. Le pèlerin s’enfuit ». Sauve qui peut !